À travers un important ensemble de pièces nouvelles, Adel Abdessemed propose au Magasin une exposition radicale et violente, réplique au monde qui nous entoure.
GRENOBLE - Les images reviennent en boucle sur les écrans de télévision. Jour après jour, d’Israël à l’Irak, de l’Inde à l’Algérie, les attentats terroristes se succèdent, avec toute leur horreur aveugle, leurs lots de victimes du fanatisme religieux. Dans ce monde post-11-Septembre, dont la violence peut frapper à tout instant chaque individu à n’importe quel endroit de la planète, un monde entré dans une guerre sans nom et sans visage, rares sont les artistes à prendre en compte ce basculement. Adel Abdessemed est indéniablement l’un de ceux-là. Marqué par l’histoire du pays de son enfance et adolescence – l’Algérie enfoncée dans la guerre civile –, son travail réarticule la brutalité politique, économique et religieuse, dans un combat où l’artiste aurait troqué le treillis pour le bleu de travail.
Son exposition, actuellement présentée au Centre d’art du Magasin, à Grenoble, se construit avant tout sur une mise en danger de lui-même. Suspendu la tête en bas, accroché par les pieds à un filin directement relié à un hélicoptère, l’artiste dessine de façon nécessairement aléatoire sur de grandes plaques de bois au format du Radeau de la Méduse de Géricault. L’art ne tient plus qu’à un fil dans cette vidéo où la moindre rafale de vent aurait pu être fatale. Travail en lévitation qui prend aussi à rebours le romantisme d’un autre siècle, la querelle du dessin et de la couleur, même si le combat pour la survie garde toute son actualité. L’œuvre définitive viendra plus loin rythmer de ses arabesques une autre séquence de l’exposition. Ici – tout comme pour Also sprach Allah (« Ainsi parle Allah »), sur laquelle nous reviendrons – sont présentées tout à la fois la pièce et une vidéo montrant son processus de réalisation, cette dernière ne se résumant pas à une documentation mais faisant avec beaucoup de force œuvre par elle-même. À tel point que chacune trouve son autonomie, sa propre cohérence, comme si le rapport de filiation, évident par ailleurs, pouvait voler en éclats. Telle mère, tel fils constitue justement le titre de la pièce la plus importante de l’exposition, trois avions dont les fuselages s’enchevêtrent sur une longueur de vingt mètres, allégorie de l’union et de la séparation, de la force et de la fragilité, du rapprochement et de l’éloignement. Tout autour se déploie sur des écrans plats le spectacle insoutenable d’animaux frappés à coup de marteau. Filmées au Mexique, ces images d’exécutions sommaires, dénuées de mise en scène, animées par le bruit sourd du coup puis de la chute, se situent entre le rite du sacrifice et la violence gratuite. Avec pour titre cette mise en garde : Don’t Trust Me (« Ne me faites pas confiance »).
La question de la part de l’animal en l’homme revient de manière récurrente, avec cette mariée épousant un gorille, ce grand néon jaune accroché dans la « rue » [l’espace situé directement sous la halle], jusqu’au titre même de l’exposition, « Drawing for Human Park » (Dessin pour un parc humain). Le religieux n’est jamais très loin non plus, avec ce tapis de prière recouvert de l’inscription hésitante Also sprach Allah, une œuvre d’une grande puissance née d’une performance durant laquelle l’artiste est littéralement jeté en l’air. Ailleurs se déploie la trame d’un cercueil, écho manifeste à un fameux squelette, et dont le titre est ici encore suffisamment explicite : Messieurs les Volontaristes.
Échappant à tout maniérisme, Adel Abdessemed offre à Grenoble, à travers un ensemble de pièces nouvelles, l’expression d’un art sans concession, radical et violent, riposte à un monde qui ne l’est pas moins. Une réplique aux fanatismes, d’où qu’ils viennent.
ADEL ABDESSEMED, DRAWING FOR HUMAN PARK, jusqu’au 27 avril, Le Magasin, Site Bouchayer-Viallet, 155, cours Berriat, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, tlj sauf lundi 14h-19h, www.magasin-cnac.org
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Ainsi parle Allah
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Ainsi parle Allah