La Maison rouge, à Paris, expose les développements irrévérencieux, absurdes et parodiques du mouvement Sots Art. Un concentré de fraîcheur salutaire.
PARIS - La Maison rouge, à Paris, n’a peut-être jamais mieux porté son nom que cette saison, où elle accueille des artistes russes dans la totalité de ses espaces, non sans avoir échappé à la censure (lire le JdA no 267, 19 oct. 2007, p. 39). Y compris dans son patio, d’où s’échappe une musique populaire aux relents de marche soviétique grand teint, qui insuffle aux prémices de l’exposition une atmosphère empreinte d’un archaïsme bon enfant. S’y trouve reconstituée la réponse d’Ilya Kabakov à son invitation à la Biennale de Venise de 1993 (Le Pavillon rouge). L’artiste avait installé une sorte de « pavillon dans le pavillon », ou, plus précisément, dans la cour du pavillon russe, alors en travaux de rénovation. Vestige étrangement rutilant d’une époque révolue, en cette période post-perestroïka, cet édifice d’opérette dans le plus pur style soviétique semble surseoir à sa renaissance : « Il ne fait qu’attendre son heure pour reprendre la place d’où il a été récemment expulsé », affirmait Kabakov, gardant espoir en un retournement politique et doctrinal.
Fondé en 1972 par Vitaly Komar et Alexandre Melamid, Sots Art est un mouvement protestataire qui ne s’est jamais éteint et offre un spectre temporel élargi. Certains de ses membres des débuts sont encore actifs, et le mouvement a fait des émules dans la scène contemporaine, comme en témoignent les travaux d’Oleg Kulik ou des Blue Noses qui clôturent le parcours. Ces derniers livrent ici une compilation de leurs vidéos d’une absurdité drôle et sidérante, alors que Kulik interroge dans des photographies la perfidie, les trucages et le double langage employés par les élites politiques (Kulik est votre député, 1995 ; L’Animal politique, 1995-1996).
Un état d’esprit
Dans sa diversité, Sots Art incarne un état d’esprit plus qu’un mouvement stylistique. Komar et Melamid, dans le « Manifeste du Sots Art » de 1974 qu’ils n’ont jamais signé, affirment sans ambages que « le Sots Art n’a pas de rapport avec les notions de beauté et d’émotions esthétiques. Ce n’est pas le tableau qui importe, mais les discussions qu’il suscite, ce n’est pas le procédé artistique qui importe, mais la confrontation des styles et la réaction attendue à cette confrontation ».
C’est le pop art qui, à l’origine, inspire les protagonistes du Sots, désireux de créer un art socialiste (Sots). Mais, en lieu et place des codes et objets de la consommation de masse, le Sots se saisit des images et de la rhétorique du pouvoir soviétique pour mieux les tourner en dérision : une thérapeutique en quelque sorte luttant contre les relations sociales totalitaires.
De pouvoir et de puissance, il est en effet beaucoup question dès l’entrée de l’exposition, où nombre de manifestations ont trait au politique : ses hommes, son phrasé et ses organes. Quand Komar et Melamid proposent de dévorer le quotidien de la Pravda le temps d’une action (On mange la Pravda, 1976-1977), Boris Orlov dresse un Autoportrait de style Empire (1997) et Alexandre Kosolapov [présenté jusqu’au 19 janvier à la galerie Vallois Sculpture] s’empare du Mythe soviétique (1973) dans une peinture en relief outrancière, où se côtoient sous-marin, missiles, danseuse et cosmonaute.
La propagande sociale et productiviste est également raillée par le biais d’objets souvent grinçants et savoureux, telle la Serrure absurde de Leonid Sokov (1978), l’incroyable Canon-charrue. Objet idéologique non identifié « Tirer plus loin ! Labourer plus profond ! » (1990) d’Orlov, ou encore l’hilarant Catalogue des super-objets de super-confort pour les super-personnes (1976-1977) de Komar et Melamid, tous d’un grotesque confondant.
Nous interpelle particulièrement, chez ces artistes, un combat contre toutes les formes de culte et un rejet affirmé des dogmes, qu’ils soient politiques, religieux, artistiques… Ainsi Kosolapov s’en prend-il autant à la culture de masse, avec une enseigne Mac Lenin (1999) qui en un raccourci saisissant concentre malbouffe et real-politik, qu’aux avant-gardes avec sa Porcelaine révolutionnaire russe (1989-1990), soient trois urinoirs au creux desquels sont reproduites des compositions abstraites. Ce alors que Sokov provoque La Rencontre de deux sculptures (1989) : Lénine et Giacometti !
Avec cette finesse de ton qui, direct et lucide, pointe le caractère fragile de la construction d’idéaux pourtant moulés dans le béton, le vent de contestation qui souffle sur la Maison rouge est des plus revigorants.
Jusqu’au 20 janvier 2008, la Maison rouge, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, tél. 01 40 01 08 81, tlj sauf lundi, mardi et jf 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h, www.lamaisonrouge.org
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Agit-pop vs agit-prop
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire : Andreï Erofeev, conservateur à la Galerie nationale Tretiakov, Moscou - Nombre d’artistes : environ 60 - Nombre d’œuvres : environ 160
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°271 du 14 décembre 2007, avec le titre suivant : Agit-pop vs agit-prop