Conversation avec Claude Berri

L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 1305 mots

Cinéaste connu, Claude Berri est également collectionneur de peintures et de photographies ; celles-ci sont exposées aux « Rencontres d’Arles ».

Le public vous connaît comme cinéaste. On vous retrouve à Arles comme collectionneur. Y a-t-il un lien entre les deux activités ?
Je n’ai jamais relié le cinéma à la peinture, ni même à la photographie car celle que j’aime est abstraite. Le seul lien est la lumière. Dans mon dernier film Une femme de ménage, j’ai montré à mon opérateur et à mon décorateur des photographies de Nan Goldin pour l’ambiance des intérieurs et des photos de Gursky pour les extérieurs.

Avez-vous toujours une connaissance de l’artiste avant d’acquérir une œuvre ?
Pas forcément, c’est souvent le contraire. C’est en possédant que je fais connaissance. Je ne savais pas grand-chose de l’art du XXe siècle. Quand j’ai commencé à collectionner en 1986, j’avais des « coups de cœur », mais petit à petit j’ai appris à connaître. Je me suis séparé de certaines œuvres pour arriver à trouver « ma ligne ». Dubuffet peint au début des dessins d’enfants, puis crée son propre univers, L’Hourloupe, et termine par cette série automatique des Non-Lieux. Mondrian commence par des moulins à vent et finit dans l’abstraction. À travers eux, on peut comprendre l’évolution de l’art du XXe siècle ; j’ai moi-même procédé de la même façon, de Tamara de Lempicka j’en suis arrivé à Ryman.

On vous considère comme un collectionneur d’art contemporain.
Je ne suis pas vraiment contemporain dans mes goûts, je suis plutôt moderne. Bien sûr j’ai des dessins de Bruce Nauman, des néons de Flavin, des sculptures de Serra – là on est dans le minimal des années 1970 –, mais surtout Giacometti, Calder, Morandi, Ryman. Il y a une connivence entre ces deux périodes.
Je procède de façon instinctive, aucun galeriste ne m’a pris en main. Même quand j’ai eu ce rapport extraordinaire avec Leo Castelli, il ne m’a pas influencé dans mes choix, même si nous partagions les mêmes goûts. J’ai trouvé Nauman et Flavin chez lui, j’aurais très bien pu acheter – c’était il y a douze ou quatorze ans – le Pop Art ou Andy Warhol, je ne l’ai pas fait. Ma sensibilité me poussait plus vers Twombly, Fontana ou Klein.
En photographie c’est la même chose, même si j’ai pu avoir des relations plus fortes avec certains galeristes, comme Virginia Zabriskie avec qui j’ai pu compléter ma collection de Graffiti de Brassaï et d’images de Claude Cahun. J’avance avec ma propre sensibilité.

Quand êtes-vous venu à la photographie ?
Je ne m’intéressais pas à la photo, dans la mesure où c’est le photographe qui fait la lumière, contrairement à la peinture qui vit par elle.
Jusqu’au jour où un libraire, Maurice Imbert, m’a emmené chez Gilberte Brassaï. Celle-ci m’a montré une cinquantaine de Graffiti de son mari. Devant mon émerveillement, elle a accepté de m’en vendre une quinzaine. Pour moi, ces photographies sont magiques, de mur en mur, elles résument tous les grands thèmes de la vie : la naissance, l’amour, la mort. Brassaï attendait parfois des heures la bonne lumière pour l’inscrire dans l’œuvre. Ce qui me rebutait dans la photo me fascine aujourd’hui. La passion a ainsi commencé à couler dans mes veines.
Après Brassaï ce fut la découverte d’Ubac. J’ai fait la connaissance de sa fille, Anne Delfieu, qui m’en a vendu une dizaine. C’est ainsi que j’ai pu constituer un ensemble de ce magnifique artiste que l’on a pu redécouvrir récemment dans la vente d’André Breton. Ensuite ce fut Bellmer, Molinier, Man Ray. Ce que j’aime chez ces photographes c’est qu’ils transposent la réalité, que leur vision est unique, jamais vue. Mes goûts sont forcément subjectifs, je n’aime pas la photo réaliste, même quand l’œil est exceptionnel. Je ne collectionne pas la figure. J’aime les photographes qui inventent leurs photos. Il y a de grands photographes, et des photographes qui sont des artistes, au même titre que des peintres. De plus je ne m’intéresse pas aux tirages modernes qui, pour moi, n’ont pas d’âme. Je suis sensible à la qualité du papier, à sa patine, à l’usure du temps. J’aime les miroirs d’argent.

Le sentiment d’abstraction est-il pour vous commun à la peinture et à la photographie ?
Pas tout à fait. La peinture, elle, peut être totalement abstraite. La photo part forcément d’un objet réel que l’artiste transforme en une œuvre abstraite, par ses formes, mais dans laquelle subsiste encore l’objet transfiguré.

Votre collection de photographies est très cohérente, elle est comme une tresse, tout se tient. Avez-vous l’impression de faire une lecture personnelle de l’histoire de la photographie ?
Une histoire personnelle, mais sans connaissance préalable, sans a priori, sans plan de bataille. Je suis un autodidacte, je n’ai jamais étudié l’histoire de l’art. La collection s’est faite au hasard des rencontres, de mon attirance pour une œuvre ou un artiste que je ne connaissais pas. Évidemment, à partir du moment où je me suis intéressé à certains photographes j’ai cherché à mieux les connaître, à constituer des ensembles. J’aime les photos de Brancusi pour la façon dont il a choisi de cadrer, d’éclairer ses sculptures. Ses photos sont indissociables de son œuvre. Il y a quelques années, je n’ai pas su apprécier Claude Cahun, à l’époque je n’aimais pas les petits formats. Récemment j’ai pu rattraper cette erreur. C’est une œuvre véritablement poétique. J’ai constitué depuis un ensemble d’une douzaine de photos que je montrerai à Arles. C’était une femme exceptionnelle, en son temps, douée en plus d’un remarquable talent littéraire.

Comment évolue votre collection ?
C’est l’émotion qui prime dans mes choix, au fur et à mesure de mes découvertes, dans les livres, les expositions, les ventes ou chez les marchands. Cette semaine par exemple, Sam Stourdzé m’a montré des photos de Tato, un futuriste italien que je ne connaissais pas ; comme toujours, c’est l’émotion qui a primé. Il en a été de même avec Painlevé et Lothar, que j’ai trouvé lors de mon dernier séjour à New York chez Patricia Laligant. À chaque découverte, j’enrichis ma connaissance de ces artistes. À la différence de la peinture où il m’arrivait au début de revendre certaines œuvres, mon œil s’est exercé et il est beaucoup plus rare maintenant que cela se produise avec la photographie. Je suis attaché à des œuvres telles que celles de Ryman, Klein, Giacometti, Ad Reinhardt, Morandi, dont j’espère n’avoir jamais besoin de me séparer. Il en est de même pour Ubac, Man Ray, Bellmer, Brassaï, Strand...

Avez-vous des regrets ?
Récemment, chez Timothy Baum, j’ai vu une photo de Sheeler, une magnifique nature morte qui me faisait penser à Morandi. C’était la première fois que je voyais une œuvre de cet artiste. Vu le prix, j’ai hésité à l’acheter, c’est probablement le Getty qui en fera l’acquisition. Malgré cela, j’ai enrichi mes connaissances, la curiosité me poussant, j’ai lu tous les livres que j’ai pu trouver sur Sheeler. Un de mes regrets c’est de m’être séparé du Portrait de Ponge par Dubuffet, mais il est encore présent dans ma tête. Il en est de même pour Twombly que j’ai dû revendre pour acheter des Morandi. J’avoue qu’il y a chez moi un côté prédateur, qui peut me faire agir parfois trop rapidement, mais c’est par excès de passions.

Qu’attendez-vous des « Rencontres d’Arles » ?
Beaucoup de photos dorment dans des tiroirs, mes murs ne sont pas extensibles. J’attends d’avoir le plaisir de voir et de montrer la collection au public, dans un lieu magnifique, le cloître Saint-Trophime. Souvent des visiteurs qui viennent chez moi me permettent de redécouvrir les œuvres.

Le festival des Rencontres d’Arles se déroule du 5 juillet au 13 juillet. Les photographies de la collection de Claude Berri sont exposées au cloître Saint-Trophime. Rencontres d’Arles, 10 rond-point des Arènes, 13200 Arles, tél. 04 90 96 76 06.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : Conversation avec Claude Berri

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