Profession

Timbreur sur balancier

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 février 2009 - 714 mots

Un artisan parisien perpétue ce métier de l’imprimerie largement méconnu qui consiste à imprimer en relief sur papier.

Un drôle de nom pour un métier encore exercé manuellement par un dernier artisan parisien. « “Timbreur” car auparavant les timbres ainsi que les armoiries étaient fabriqués en gravure ; “balancier”, du nom de la presse manuelle utilisée », explique Éric Lejeusne, installé dans un atelier-boutique situé rue Eugène-Varlin (Paris-10e arr.), à l’ombre de la gare de l’Est. Le métier n’est d’ailleurs pas répertorié dans les nomenclatures des métiers d’art. « La technique s’est ensuite développée au XIXe siècle dans le domaine de la correspondance », poursuit-il. Depuis 1982, Éric Lejeusne perpétue ainsi une tradition de l’impression en relief sur papier, appliquant sur cartes de visite, papiers de correspondance et autres faire-part divers en-tête, mais aussi des armoiries ou motifs décoratifs, au gré de la fantaisie des commandes. Celles-ci proviennent principalement des grandes maisons parisiennes en papeterie de luxe, qui bénéficient d’une clientèle internationale. Formé « sur le tas » au sein de l’atelier Georges, spécialisé dans le timbrage, il claque la porte en 2002 pour travailler à son compte en installant, dans un premier temps, « son petit balancier dans la cave ». Trois ans plus tard, il parvient à racheter à son ancien patron, lorsque celui-ci ferme boutique, l’ensemble de ses collections, soit plus de 12 000 gravures accumulées au fil des années, datant pour certaines du XIXe siècle. Un formidable répertoire de formes, dont seule une utilisation manuelle permet d’exploiter toutes les qualités. Car là est toute la différence entre la technique perpétuée par Eric Lejeusne et celle des – rares – autres timbreurs. Chez lui, tout est timbré manuellement, d’où cette qualité du détail des couleurs et de la netteté des contours, impossibles à obtenir lors d’un timbrage mécanique.
Sur une étagère, au-dessus de ses presses, sont alignés les mélanges d’encre à l’huile réalisés à partir de cinq ou six couleurs de base. La technique, elle, est immuable. L’artisan travaille à partir d’un bloc gravé en creux, calé sous la presse à l’aide d’un composteur amovible. Encré au pinceau, le bloc est frappé sur le papier qui, aidé d’une contrepartie, épouse le creux de la gravure. Le papier est donc pressé entre ces deux formes. « Le principe est identique à celui de la gravure en taille-douce, souligne Éric Lejeusne, à cette différence que je n’utilise pas une plaque entière mais un bloc qui correspond à la taille de la tête de lettre. »
Éric Lejeusne ne grave pas ses blocs, mais continue à acquérir des fonds anciens, au gré des opportunités, ou utilise les blocs appartenant à ses clients, notamment lorsqu’il s’agit d’armoiries. « Ils sont inusables lorsqu’ils sont utilisés au balancier. » Pourquoi ne pas faire graver des blocs originaux ? « Nous l’avons fait pour quelques motifs nouveaux, que nous avons dessinés, mais cela représente un investissement important. » Soigneusement rangés dans leurs casses, ses blocs constituent un important répertoire de lettrines, animaux, fleurs ou couronnes, des éléments hauts de quelques centimètres. Chaque réalisation, tirée en très petite quantité, est le résultat d’un long travail. Quand le motif est constitué de plusieurs teintes, chaque couleur requiert un passage, et nécessite une nuit de séchage entre deux timbrages. L’encre doit donc être bien dosée sur la gravure pour éviter les bavures. « Chaque feuille est unique », explique son épouse, Laurence, qui vérifie la qualité de chacune d’entre elles avant l’envoi des commandes.
Une autre spécialité de la maison est celle du motif ajouré, créé grâce à un bloc coupeur et impossible à concevoir à la machine. « Le bloc affaiblit le papier, mais ne fait pas emporte-pièce, il faut ensuite repousser les parties à évider à la main. » Lucide sur le caractère atypique de son métier, Éric Lejeusne forme depuis 2005 un collaborateur. Son atelier a par ailleurs obtenu le label « Entreprise du patrimoine vivant », décerné par le ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. « Il est difficile d’attirer les jeunes vers ce métier, qui demeure un travail de production assez répétitif, déplore-t-il. Avec les nouvelles technologies, nos métiers disparaîtront d’une manière ou d’une autre si les pouvoirs publics ne se décident pas enfin à agir pour les sauver. »

Formation

Il n’existe aucune formation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Timbreur sur balancier

Tous les articles dans Campus

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque