Photographe de terrain, ce professionnel du journalisme doit conjuguer goût de la prise de risques et lucidité sur les faits dont il témoigne.
En prêtant ses cimaises à une sélection de clichés de photojournalistes, la Bibliothèque nationale de France (BNF) a souhaité organiser une exposition manifeste dressant un portrait de cette profession engagée mais menacée. « Il s’agit d’un hommage sans nostalgie. Mais cette urgence me semble aller de soit, précise Alain Mingam, commissaire de l’exposition et lui-même ancien photojournaliste. Face au déferlement et à la banalisation des images de la télévision, il me paraît nécessaire de revenir sur le temps réel de l’image. » Engagé, le photojournaliste l’est en effet à plus d’un titre. Notamment par sa prise de risques sur le terrain des conflits armés, des génocides, des événements sociaux ou des grandes mutations de la planète. Mais, depuis quelques années, une conjonction de facteurs a contribué à redessiner les contours de cette activité spécialisée du journalisme dans laquelle Henri Cartier-Bresson, Robert Capa ou Willy Ronis se firent un nom. Aux dires des professionnels, l’époque glorieuse du photojournalisme « à la française » – quand les reporters français étaient toujours les premiers sur les lieux quels que soient les risques – semble ainsi révolue, au profit d’une saturation du marché par des images de qualité inégale.
Ce métier difficile requiert à la fois une double compétence, en journalisme et en photographie, mais aussi une double exigence, en termes de qualité d’image et d’éthique professionnelle. « Ni voyeurisme ni compassion » seraient les mots d’ordre d’une ligne directrice établie sur le respect du sujet photographié. La déontologie est en effet primordiale, car la publication de certaines images est parfois lourde de conséquences. Directeur du festival Visa pour l’image, créé en 1989 à Perpignan, Jean-François Leroy expliquait ainsi très clairement, lors d’une rencontre, qu’à ses yeux il était tout simplement « obscène de vendre en galerie des photos d’un enfant mort au Darfour ». Visa pour l’image – malmené par le retrait des subventions de la Région Languedoc-Roussillon en 2005 – milite pour « rétablir le rôle de la photographie de presse », c’est-à-dire pour un photojournalisme capable, un tant soit peu, de changer la vision que le public se fait du monde. Le photojournaliste ne doit donc pas chercher à faire œuvre, mais tenter de communiquer par l’image. Encore faut-il avoir des éléments à montrer, être intransigeant sur la réalité des faits et être présent là où les choses se passent.
Le métier a toutefois fait les frais de la recomposition du paysage des agences françaises, dont la plupart ont perdu leur indépendance pour être intégrées à des groupes industriels, ce qui les éloigne de leurs missions d’origine. Auparavant, un système très spécifique de rémunération avait ainsi été établi, consistant à financer 50 % des frais aux reporters et à leur reverser 50 % des ventes. Ce principe a désormais été bouleversé, accentuant la précarisation des professionnels, qui financent désormais très souvent en amont leurs reportages, qu’ils tenteront d’amortir lors des négociations. Or, la photographie de presse est aussi un investissement dans le temps, par la réflexion sur les sujets, l’investigation et, enfin, la réalisation des images. Dans un marché exsangue et saturé, la concurrence est devenue rude. Beaucoup de photojournalistes complètent donc leur rémunération par des travaux « alimentaires » pour la publicité ou pour la mode. La situation est également plus délicate pour ceux qui ont choisi de travailler sur des sujets hors actualité brûlante dont la presse est devenue moins friande. « Auparavant, le photojournaliste vendait d’abord ses clichés à la presse, et ensuite seulement il pouvait décliner son reportage en exposition ou en livre, explique Alain Mingam. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit : après une exposition à Perpignan, des rédacteurs en chef reconsidèrent leur point de vue sur des reportages qu’ils avaient pourtant refusés ! » Rares sont toutefois les professionnels qui font état de leurs difficultés matérielles. « Il y a une omerta de la dignité, poursuit Alain Mingam. Mais cette précarité est doublement dommageable : pour les professionnels qui ont des difficultés à survivre, mais aussi pour la qualité des images. »
Outre ces difficultés inhérentes à la presse, quelques phénomènes récents viennent compliquer la tâche de ces professionnels, comme la multiplication des images d’amateurs. Déjà, avec l’apparition du numérique, d’aucuns prédisaient la mort de la photographie. Mais, pour Jean-François Leroy, l’œil du photographe reste la qualité essentielle de l’image de presse. Si le numérique offre un gain de temps non négligeable – économie du passage au laboratoire, envoi rapide des photographies depuis le monde entier –, il ne change pas fondamentalement le rapport à l’image. « Seuls la passion et le volontariat sont des qualités indispensables, assorties d’une humilité et d’une ambition de servir », conclut Alain Mingam. Ce n’est pas rien.
Si certains professionnels ont suivi des études de journalisme ou de photographie, beaucoup d’entre eux ont un parcours atypique et n’ont entrepris aucune formation spécifique. p Formations à l’EMI-CFD, École des mÉtiers de l’information : 7-9, rue des Petites-Écuries, 75010 Paris, tél. 01 53 24 68 68, www. emi-cfd.com
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°238 du 26 mai 2006, avec le titre suivant : Photojournaliste