Synthétique et efficace. À choisir, c’est pour sa Cloaca, dans toutes ses variantes, que Wim Delvoye confesse une affection toute particulière.
C’est que la célèbre machine à merde, clone techno-scatologique d’appareil digestif, sait se montrer bavarde. Tout Delvoye ou presque y est : technique phénoménale, rhétorique un poil agressive et mixage décontracté de registres et de niveaux de langage. Au programme de ce « dieu-machine », poliment coincé entre les merdes d’artiste de Manzoni et les machines célibataires de Duchamp ? Une guirlande d’hypothèses. Comme devancer la critique réac – l’art contemporain produit littéralement de la merde. Ou encore, mobiliser un excès de compétence et de sérieux pour un résultat radicalement inutile. Ou encore, comment se placer à l’exact endroit de confusion entre art et non-art. Et en bonus, l’élégance finaude de s’offrir en ronronnant à la plume des critiques et du public. Une « crème » pour ceux qui écrivent, se régale l’artiste.
La Cloaca fédère donc. Quoi de plus démocratique que la merde ? Et l’objet démocratique, il en connaît un rayon. C’est même là que commence la production du jeune Delvoye, au milieu des années 1980. Enfant au coup de crayon compulsif, né en Flandre à Wervik, la ville aux deux moulins, fils d’un enseignant et d’une puéricultrice, Delvoye se forme aux beaux-arts de Gand. L’heure est au très sérieux, et au concept. Il sera donc drôle, mais avec sérieux. L’heure est à la fascination théorique pour l’objet de consommation courante. Il expose pelles ou planches à repasser frappées de motifs héraldiques.
Fantasque avec de la méthode
Un genre de pop gantoise. Lecteur un temps convaincu de Baudrillard, il choisit ses objets un peu « prolos », un peu « mâles », pelles, bonbonnes de gaz et cages de foot. Paf ! Efficace visuellement, dit-il. Une dette reconnue envers Warhol. Le reste ? Delvoye cite çà et là Christo, Armleder, McCullum ou Carlo Maria Mariani, mais le XXe siècle l’inspire peu et s’il collectionne, c’est du côté du dessin ancien. Plus Jeff Koons que Broodthaers, il est de ceux qui ont façonné un nouveau type d’artiste, une génération biberonnée à la culture pop, aux théories de l’art et au fonctionnement du marché. Après les « objets démocratiques » viendront bientôt les bétonnières et les camions, en bois puis en acier dentelé façon gothique flamboyant. La petite entreprise de Gand grandit, petite ruche internationalo-provinciale, mi-béton, mi-brique rouge, devenue lieu de pèlerinage et de curiosité pour les fans nombreux. Les fameux cochons tatoués d’une main, trucks et architectures gothiques, vitraux pornos de l’autre. Vraie fausse transcendance et profits terrestres.
Politique ? Sans doute, mais Wim Delvoye, se garde bien de moraliser. Et rien ne dit que l’art rende meilleur, aime-t-il à rappeler. « Il est très pro, suit son marché, travaille beaucoup, raconte Philippe Joppin, en charge de l’artiste à la Galerie Perrotin à Paris. Mais il ne vit pas dans sa bulle. C’est quelqu’un de très ouvert, en mouvement permanent. » Et à l’origine de tout mouvement, encore et toujours le dessin. « Il fait ses croquis d’abord et les transmet ensuite aux compétences concernées, tatoueurs, architectes, programmateurs, infographistes, puis rectifie à la main, retravaille des rendus en 3D. » Plus chef d’atelier que patron de PME, plus soja que charcuterie, plus soda light que champagne. Et il a déjà réfléchi aux plans d’une machine à fumer. On peut être fantasque, mais avec méthode.
1965
Naissance à Wervik en Belgique.
1988
Bonbonnes de Butagaz en porcelaine de Delft.
2000
Exposition de CloacaI à Anvers.
2008
Tim Steiner, l’homme tatoué, vendu 150 000 euros pour le droit de l’exposer quelques semaines par an, et celui de récupérer la peau tatouée à la mort de Tim.
2010
Érige une flèche gothique sur le toit du Palais des beaux-arts de Bruxelles.
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Wim Delvoye - Profession hyperartiste
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Abonnez-vous dès 1 €Wim Delvoye au Louvre du 31 mai au 17 septembre 2012 et « Rorschach » à la Galerie Perrotin du 12 mai au 16 juin 2012.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°646 du 1 mai 2012, avec le titre suivant : Wim Delvoye - Profession hyperartiste