Renouant avec les grandes expositions historiques et pluridisciplinaires,
Beaubourg présentera au printemps ses « années Pop ». Au-delà du seul Pop’Art américain, puisque l’exposition met en évidence le dynamisme des artistes européens, un éloge et une captation de l’objet.
“Le Pop c’est tout ce que l’art n’était plus durant les deux dernières décennies. [...] Il est né d’un coup de l’ennui qu’engendraient le caractère définitif et l’omniprésence de l’Expressionnisme abstrait, qui par sa propre logique esthétique est la fin de l’art, le couronnement glorieux de la pyramide d’un long processus créatif. Quelques jeunes peintres qui étouffaient dans cette atmosphère raréfiée ont décidé de revenir vers des choses plus terre-à-terre comme le Coca-Cola, les ice-creams sodas, les gros hamburgers, les supermarchés et les réclames de bouffe. Le Pop à l’état pur sélectionne ses techniques parmi tous les procédés actuels de communication : le poste de télévision et la réclame de produit alimentaire pour Wesselmann, le journal et la sérigraphie pour Warhol, les bandes dessinées et le procédé Benday pour Lichtenstein, mes propres panneaux routiers. Ça va droit au but, sans le moindre ménagement avec aussi peu d’élaboration et de délectation ‘artistique’ que possible. Ça ne se fabrique pas à coups de pinceaux appliqués et encore moins de coulures étudiées.” Il ne manque rien à la définition du Pop’Art américain telle qu’énoncée par Robert Indiana dans un numéro de ARTnews, en 1963, qui fait l’éloge d’une génération, d’une culture et d’un continent. Aussi, l’artiste peut-il ajouter : “L’Amérique est au cœur de toute œuvre pop. Le Pop britannique, le premier né, a émergé sous l’influence de l’Amérique. L’américanisme, ce phénomène qui balaie tous les continents, est partout l’élément générateur. Le Pop français n’est que légèrement francisé ; on va voir bientôt arriver un Pop asiatique. Ses modèles ne s’écarteront guère du Coke, de l’Auto, du Hamburger, du Juke-Box. C’est le mythe américain. Parce que c’est le meilleur de tous les mondes.”
L’émergence d’une nouvelle culture populaire
Dépassant largement le Pop’Art américain, ou européen, l’exposition phare du printemps à Beaubourg ne se limitera pas à évoquer le “revival” d’une époque héroïque et radieuse sur fond de publicité pastichée, de Mickey et de Marilyn en icônes du plan Marshall et de l’ère matérialiste. Elle prend plutôt appui, selon un parcours historique et thématique de 1956 à 1968, sur le mot de “Pop”, employé pour la première fois en 1955 par un critique anglais pour qualifier l’émergence d’une nouvelle culture populaire, sans faire particulièrement référence à l’art.
Renouant avec l’habitude des grandes expositions qui ont fait la signature du Centre Pompidou – les expositions pluridisciplinaires – “les années Pop” veut mêler les échos d’un art à l’autre pour aborder les arts plastiques (le Nouveau Réalisme, le mouvement Fluxus, les premiers happenings et le Pop’Art britannique, européen et américain), l’architecture (la question du détournement avec Hollein ou Archigram ou les programmes utopiques : des modèles gonflables aux rêveries spatiales), du design (détournements, créations d’objets et d’environnement d’Ingo Maurer, d’Achille et Piergiacomo Castiglioni, de Roger Tallon ou de Verner Panton) du stylisme (Paco Rabanne ou Mary Quant), de la musique (de John Cage au Velvet Underground) et du cinéma (films d’artistes avec Tinguely, Warhol, Kaprow...).
D’un monde meilleur à un monde sexy, utopique et urbain, l’optimisme et la philosophie résolument positive – dans l’adhésion comme dans l’expression du refus – marquent, selon Catherine Grenier, conservateur au Musée national d’art moderne (Mnam) et commissaire générale de l’exposition, ces années Pop dans un XXe siècle, “au-delà de son bilan dramatiquement négatif et qui aura tout au moins permis l’émergence d’une culture davantage communautaire et populaire”. L’ambition de l’exposition réside principalement dans l’évocation de la vie artistique des deux bords de l’Atlantique. Avec pour axe, le Nouveau Réalisme ou l’hymne à l’objet détourné. “L’attrait des artistes tant aux États-Unis qu’en Europe pour l’objet, porte, dit Catherine Grenier, à la récupération d’objets de rebut, notamment dans la rue, ou vers de nouveaux objets de la consommation, avec cette idée de la captation que l’on trouve aussi bien chez les artistes français du Nouveau Réalisme, Arman, Raymond Hains, Jean Villeglé, Martial Raysse que chez Robert Rauschenberg ou Jasper Johns, associés aux artistes de la Côte ouest, comme Bruce Conner, Kienholz ou ceux qui appartiendront au mouvement Fluxus, tels George Brecht, Vostell ou Erik Dietman. On voit apparaître, ainsi, à la fin des années cinquante, un grand mouvement international d’artistes qui communiquent très vite entre eux et veulent ‘capter le réel’. Un retour au réel, en rupture avec les abstractions, qui conditionnera les œuvres d’art mais aussi les débuts de la performance qui accompagneront toute l’exposition.” Manière de s’attacher à une historiographie précise : lorsque Mimmo Rotella décolle sa première affiche à Rome, au début des années cinquante, Raymond Hains l’a précédé lors de ses promenades parisiennes ; lorsque Robert Rauschenberg et Jasper Johns introduisent des journaux illustrés dans leurs œuvres, Wallace Berman applique le procédé, sans le savoir, sur la Côte ouest. Et alors qu’Andy Warhol pastiche, dans les années soixante, une bande dessinée, les peintres anglais Peter Blake ou Eduardo Paolozzi, ont fabriqué des œuvres du même goût.
L’image jusqu’à la trivialité du monde moderne
Second pan de ces années Pop, l’émergence du Pop’Art qui signe un retour à la figuration. Les artistes traitent l’objet en “seconde main”, c’est-à-dire qu’ils peignent l’image des objets plutôt qu’ils n’en utilisent la présence effective. Icônes modernes : Warhol et sa bouteille de Coca, Martial Raysse et ses photos de jeunes femmes. L’objet peint est une image. Et l’œuvre utilise tous les procédés de reproduction, de la sérigraphie aux collages, de la peinture à la bombe à l’art publicitaire – dans les premières œuvres de Télémaque, Rancillac, Fahlström, de l’Anglais Richard Hamilton, des Allemands Richter ou Polke et chez Rosenquist, Wesselmann ou Ruscha. Éloge de la pin-up dans un gynécée moderne, peintures de faits divers issus des journaux ; pneus, bouteilles, boîtes de lessive, pris pour sujet ou fabriqués en tissu et papier mâché comme le fameux Store de Claes Oldenburg, magasin ironique qui sera reconstitué dans sa version de 1962 lorsque l’artiste américain présenta ses objets, d’une glace factice à un hot dog géant, dans son atelier. Époque d’une fort relative contestation, “les années Pop” dressent le portrait d’une génération qui aime l’image jusqu’à la trivialité du monde moderne. Rendez-vous en mars pour cette odyssée.
- LES ANNÉES POP, 15 mars-18 juin, Centre Pompidou, niveau 6, galerie 1, Piazza Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi, 11h-21h. Catalogue 400 p., 340 F (broché) 440 F (relié).
À signaler également la réédition de l’ouvrage de Marco Livingstone, Le Pop Art, Hazan, 271 p., 198 F, ISBN : 2-85025-744-3
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Une génération qui aimait l’image
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°118 du 5 janvier 2001, avec le titre suivant : Une génération qui aimait l’image