La force de l’art

Une exposition à usage interne

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2006 - 733 mots

Le rendez-vous triennal avec l’art contemporain français, initié cette année au Grand Palais, n’a pas attiré les prescripteurs étrangers.

 PARIS - « La force de l’art », présentée ce printemps au Grand Palais, à Paris, a fermé ses portes le 25 juin avec un total de 130 000 visiteurs pour sept semaines d’ouverture au public. Ce manifeste en faveur des artistes français ou résidant en France s’est toutefois révélé à usage purement interne. Certes, cent cinquante curateurs membres de l’ITK (International Association of Curators of Contemporary Art) ont eu le loisir de visiter l’exposition lors de leur congrès organisé à Paris du 18 au 21 mai. En outre, la délégation aux Arts plastiques (DAP) et CulturesFrance (ex-Association française d’action artistique) y avaient invité dix-sept personnalités étrangères. Dix ont répondu à l’appel, parmi lesquels Robert Storr, directeur de la prochaine Biennale de Venise, et Debra Singer, directrice du centre d’art dédié aux nouveaux médias The Kitchen, à New York. En revanche, ni Francesco Bonami, conservateur au Museum of Contemporary Art de Chicago, ni Ida Gianelli, directrice du Castello de Rivoli (Turin), pas plus que Roger M. Buergel, directeur de la prochaine Documenta de Cassel, n’ont daigné se rendre sur les lieux. Selon Robert Storr, « l'exposition est un peu décevante, car il est gênant de ne pas avoir de catalogue ou de biographie des artistes. Les diférentes stratégies des commissaires s'annihilent entre elles. L'ensemble devient une tour de Babel au lieu d'être un exercice de lecture des œuvres. C'est bien de montrer qu'il y a plusieurs mondes de l'art en France, mais il faut préciser où sont les différences, pourquoi elles existent. Si on n'est pas préparé ou connaisseur, on ne peut comprendre. Cela donne l'impression que l'exposition a été faite pour une consommation domestique, alors que c'était le moment de faire le contraire ».
Un micro-trottoir effectué sur la Foire de Bâle en juin auprès des galeries et collectionneurs étrangers a par ailleurs attesté du faible écho de l’exposition à l’étranger. « À l’avenir, nous allons développer un travail avec l’office de tourisme et organiser des parcours VIP entre Bâle et Paris, puisque nous voulons garder les mêmes dates dans trois ans », nous a confié Olivier Kaeppelin, délégué aux Arts plastiques.

Le sens de la provocation enterré
En insistant davantage sur le contexte polémique et politique que sur le contenu même de l’exposition, la presse étrangère n’a pas non plus motivé les troupes. Un article paru dans le New York Times du 27 mai dissertait sur les relations entre l’art et la politique en France. Seuls deux petits paragraphes présentaient succinctement quelques œuvres. La manifestation est « supposé[e] être un aperçu de la scène [française], mais cela manque d’audace et d’idées », pouvait-on lire dans le quotidien britannique The Times en juin. Le journal espagnol El País du 10 mai parle, au contraire, d’« excellente exposition ». Il est l’un des rares à tenter une vision d’ensemble : « Est-il possible de distinguer une tendance ou un courant dominant dans ce panorama de la création française ?, s’interroge Octavi Martí. Non, mais on peut dire que la peinture jouit d’une bonne santé – plus de soixante toiles sur le total des œuvres sélectionnées –, que la sculpture dans une acception large est appréciée et que la vidéo perd pied. Le souci de provoquer, choquer, peut aussi être considéré comme enterré. » Tellement enterré qu’Eleanor Heartney, critique d’art de la revue new-yorkaise Art in America, regrette que le sentiment d’apocalypse qui infuserait tant selon elle l’art américain n’ait pas déteint sur les artistes français.

Face à « Notre Histoire... »

Les commentateurs étrangers de l’exposition « Notre Histoire… », présentée au Palais de Tokyo, à Paris (65 000 visiteurs du 21 janvier au 25 mai), n’ont pas non plus tous été unanimes. « “Notre Histoire…”?, comme beaucoup de panoramas généraux, se présente comme une sorte de foire ou de thème de parc d’attractions, sauf qu’il n’y a pas de thèmes, pas plus que de sens du Zeitgeist [l’esprit du temps] ni de partage d’intérêts ou de pratiques », a relevé Adrian Searle dans le quotidien madrilène El Mundo en mars. Christopher Mooney, dans la revue londonienne Modern Painters du mois d’avril, se montre plus perfide : « les trois points [du titre] sont hypersignificatifs, les ellipses étant l’essence de l’esprit contemporain français… en constante suspension… n’arrivant jamais tout à fait… toujours “en devenir”? ! »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Une exposition à usage interne

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