Quelque 500 pièces archéologiques palestiniennes, exposées en 2007 à Genève, n’ont toujours pas retrouvé le chemin du retour à Gaza.
Genève (Suisse). Le patrimoine archéologique de Gaza paye un lourd tribut au conflit armé qui ravage son territoire depuis octobre 2023. Cependant, quelques vestiges de valeur se trouvent en lieu sûr à Genève, dans ses ports francs. Là, 106 caisses lourdes de 24 tonnes et remplies d’objets archéologiques gazaouis y sont entreposées depuis la fermeture de l’exposition organisée par le Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH) intitulée « Gaza, à la croisée des civilisations » (*), en 2007. Céramiques, lampes, monnaies, bijoux, amulettes, statues de divinité, éléments d’architecture, mosaïques sont autant de témoignages des civilisations égyptienne, assyrienne, perse, grecque, romaine, byzantine, islamique qui se sont succédé sur le sol de Gaza, plaque tournante commerciale entre l’Afrique et l’Orient durant des siècles.
L’exposition de 2007 réunissait 529 objets provenant de deux collections, celle de l’Autorité palestinienne (déjà présentée à l’Institut du monde arabe à Paris en 2000) et celle constituée par l’entrepreneur gazaoui Jawdat Khoudary. À la tête d’une grande entreprise de BTP à Gaza, dont les équipes avaient mis au jour des vestiges archéologiques, ce passionné d’archéologie a constitué une collection privée de près de 4 000 pièces dont il a exposé une partie dans un musée privé (détruit par un incendie en février dernier). « L’exposition genevoise devait être une préfiguration du musée qui devait voir le jour à Gaza », explique Béatrice Blandin, conservatrice au Département d’archéologie du musée genevois. Ce musée archéologique était, selon l’archéologue Marc-André Haldimann, co-commissaire de l’exposition de 2007, « une vision, un rêve, celui d’offrir à la population de Gaza un accès aux civilisations du passé ».
La fin de l’exposition a coïncidé avec l’arrivée au pouvoir du Hamas et le blocus israélien qui a suivi a empêché le renvoi des caisses en Palestine. Le projet d’un musée public archéologique à Gaza est resté en l’état. « L’Autorité palestinienne a demandé à la Ville de Genève de garder les objets tant que les conditions d’un retour sûr et sans dommage à Gaza et en Cisjordanie ne seraient pas réunies et, en 2018, Jawdat Khoudary a conclu un accord avec le ministère du Tourisme et des Antiquités (MoTA). Depuis, ce dernier est propriétaire de tous les objets actuellement déposés à Genève », précise Béatrice Blandin.
Dix-sept années ont passé et les objets sont toujours en exil à Genève, devenue une « ville refuge » du patrimoine gazaoui. « Depuis 2007, le MAH assure la conservation des objets palestiniens, avec le même soin que pour ses propres collections, détaille Béatrice Blandin, le stockage dans un local sécurisé, une veille de l’état sanitaire a lieu périodiquement, l’assurance est prise en charge, comme pour les objets de la collection municipale. Depuis 2016, les préparatifs pour le retour de la collection, à la demande de l’Autorité palestinienne, ont été accélérés : la vérification de l’inventaire des objets a été réalisée, la restauration de quelques pièces a été achevée, l’emballage des œuvres a été fait, le colisage était prêt pour un convoi aérien et un convoi maritime. » Mais l’actuel conflit armé Israël-Hamas depuis octobre 2023 repousse le retour des objets archéologiques à Gaza. « On ne peut que souhaiter que les objets actuellement conservés à Genève puissent retourner enfin dans leur pays d’origine et y soient exposés », explique Madame Blandin. « À l’heure actuelle, le rôle de notre musée se limite à faire entendre ce souhait et à souligner l’importance de ce patrimoine. À ce stade, il est impossible de dire comment cet espoir pourrait se concrétiser, encore moins d’échafauder des plans précis. Le MAH prendra soin de cette collection le temps nécessaire », explique-t-elle.
Du côté de la Ville de Genève, la cause de la protection du patrimoine gazaoui semble avoir été prise à cœur. Un communiqué publié en février 2024 en témoigne : « À la demande de M. Khoudary et de l’Autorité palestinienne, propriétaires de ces objets et avec le soutien de la Confédération, la Ville de Genève s’est engagée à veiller sur ces collections tant que les conditions d’un retour sûr et sans dommage à Gaza et en Cisjordanie ne seraient pas réunies. Il se trouve qu’elles ne l’ont jamais été et qu’elles le sont encore moins aujourd’hui. » En attendant, Félicien Mazzola, adjoint à la direction du département de la Culture et de la Transition numérique de la Ville, confie que « nous travaillons avec le musée à une exposition en lien avec la commémoration des 70 ans de la signature de la Convention de la Haye », événement qui devrait avoir lieu à Genève en septembre 2024. À cette occasion, une sélection d’objets archéologiques gazaouis serait exposée. « Ce sera un message d’espoir. La culture est toujours un espoir. Elle ne doit pas être prise en otage, c’est la langue commune de l’humanité », relève Marc-André Haldimann.
(*) Contrairement à ce que nous avions écrit dans le JdA n°634, l'exposition du MAH en 2007 s'intitulait « Gaza, à la croisée des civilisations » et non « Gaza, Carrefour des civilisations »
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Une collection archéologique de Gaza en exil à Genève
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Une collection archéologique de Gaza en exil à Genève