«Trois ans et demi pour faire cela […], un jour nous reparlerons des obstacles qui furent dressés.»
Le 21 juillet, lors de la présentation de l’« Institut français », soit quelques jours après le vote de la loi instituant ce nouvel établissement, Bernard Kouchner ne cherchait pas à dissimuler sa désillusion sur ce qui aurait dû être l’une des grandes réformes de son passage au Quai d’Orsay. Soit une ambition qui s’est cruellement heurtée aux réalités administratives. Devant un parterre de représentants du réseau culturel, le sémillant ministre des Affaires étrangères n’a toutefois pas souhaité endosser la responsabilité de cet échec. « Tous mes prédécesseurs, depuis vingt-cinq ans, avaient pressenti la nécessité de modifier l’offre culturelle et tout le monde a renoncé, a précisé Bernard Kouchner. Pour cela, fallait-il ou non faire tout de suite basculer 8 000 agents vers l’Institut français ? C’était financièrement impossible : il nous aurait fallu 150 millions. »
Dans l’assistance, chacun savait pourtant que le coût financier n’était pas la seule cause de ce camouflet infligé au ministre. En quelques mois, le projet de faire glisser le réseau culturel français à l’étranger (un ensemble hétérogène composé de 154 services de coopération et d’action culturelle [SCAC] et de 144 centres et instituts culturels) sous la coupe d’une agence unique, et donc de déposséder les ambassadeurs de leurs prérogatives en matière culturelle, a cristallisé un front d’opposition. Relayés en haut lieu, les barons du Quai d’Orsay ont obtenu l’abandon de cette mesure phare d’un projet mort-né, un an avant sa naissance officielle ! De quoi faire dire à Bernard Kouchner, à l’adresse des ambassadeurs : « Ce sera désormais à eux de prouver qu’ils aiment et qu’ils comprennent la culture locale ! »
Malgré cette réforme, qui aura été à l’origine de la production d’un nombre déraisonnable de rapports, la coopération culturelle restera donc placée sous l’autorité hiérarchique du corps diplomatique. L’affaire est ancienne puisque, dès l’époque de la création du ministère de la Culture, ces prérogatives avaient été refusées à André Malraux. Depuis, en matière de diplomatie culturelle, le Quai d’Orsay s’est bien gardé de céder du terrain à la Rue de Valois, considérant qu’il s’agit là d’un maillon clef de la « diplomatie d’influence ». Tous les ans, les Affaires étrangères dictent aussi aux institutions culturelles le planning des « Années croisées », à charge pour elles d’y répondre en matière de programmation. Pour l’ancien ministre Xavier Darcos, choisi en juin dernier pour devenir le président de l’Institut français – plusieurs personnalités ont décliné l’offre –, la tâche sera ardue : il s’agira de pacifier le terrain et remobiliser des agents affectés par ces atermoiements comme par l’érosion constante des crédits du réseau. Mais il lui faudra également mettre en œuvre une lourde réforme administrative, conçue, faute de mieux, comme un fusil à deux coups. Créé sur le régime juridique de l’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), l’Institut, doté en 2011 de près de 40 millions d’euros de budget – dont trois millions seulement sont abondés par la Rue de Valois –, devrait pouvoir inaugurer ses nouveaux locaux, situés dans le 15e arrondissement de Paris, le 1er février 2011.
Logo commun
D’ores et déjà, une convention a été signée avec la puissante Fondation Alliance française, laquelle, si elle a refusé de passer sous la coupe du nouvel établissement, a tout de même accepté la création d’un logo commun destiné à améliorer la lisibilité de la présence française à l’étranger. Mais le gros morceau sera le lancement de l’expérimentation menée dans une dizaine de pays – treize se sont déjà porté candidats (1)– afin d’y unifier l’offre culturelle, à travers la fusion des différentes structures. Pour cela, la loi prévoit une clause de rendez-vous, dans trois ans, afin de mesurer les effets de cette expérience et de décider d’une généralisation, ou non, du dispositif. Parallèlement, l’Institut français aura pour mission la formation des membres du réseau culturel. L’enjeu de la professionnalisation est en effet l’un des points cruciaux de cette réforme : jusqu’à présent, seuls quelques jours de formation étaient dispensés aux responsables du réseau quand, en Allemagne, un directeur de centre culturel reçoit six mois de formation. Pour les détracteurs de la réforme, ces mesures ne suffiront pas à renverser la vapeur. Dans une note récente publiée par la fondation Terra Nova, Frédéric Martel, chercheur et ancien attaché culturel, qui milite pour une meilleure promotion des industries culturelles hexagonales, met en garde contre cette persistance de la mainmise du Quai d’Orsay sur la coopération culturelle, évoquant un réseau diplomatique « largement impuissant et trop archaïque ». « Notre réseau culturel est déprimé, poursuit Frédéric Martel, ses moyens dilués, sa gouvernance obsolète, ses nominations politisées ou dictées par l’anarchie diplomatique – bref, il ne fonctionne plus (2). » L’avenir dira si l’Institut français parviendra à imposer un pilotage susceptible d’inverser cette tendance. Ceci alors que, de Douala (Cameroun) à Bratislava (Slovaquie), les menaces de fermeture de centres culturels se poursuivent.
Au début de l’année 2011,CulturesFrance disparaîtra au profit du nouvel Institut français (IF). Association de loi 1901, cet opérateur était issu de la fusion, en 2006, de l’Association française d’action artistique (AFAA) et de l’Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF). Dirigée depuis 1999 par Olivier Poivre d’Arvor — qui vient de prendre la tête de la station radiophonique France Culture –, et dotée d’un budget de près de 30 millions d’euros, dont seulement 2 millions en provenance du ministère de la Culture, CulturesFrance était chargée de la promotion à l’étranger de la création contemporaine (arts visuels, arts de la scène, architecture), mais aussi du patrimoine et du cinéma, et pilotait par ailleurs l’organisation des saisons culturelles.
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Un Institut à bâtir
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Abonnez-vous dès 1 €(1)Les 13 pays concernés par l’expérimentation de la réforme : Inde, Cambodge, Chili, Mexique, Hongrie, Géorgie (États-Unis), Canada, Royaume-Uni, Ghana, Burkina Faso, Sénégal, Syrie, Koweït.
(2) Frédéric Martel, « Culture : pourquoi la France va perdre la bataille du soft power ? »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°335 du 19 novembre 2010, avec le titre suivant : Un Institut à bâtir