SOTCHI / RUSSIE
La station balnéaire russe, sortie de l’ombre grâce aux Jeux Olympiques, accueille le 11e Festival international d’hiver des arts, seule oasis culturelle de l’année dans une région peu portée vers les arts.
Sotchi. Célèbre pour avoir accueilli les Jeux Olympiques de 2014, la station balnéaire de Sotchi abrite aussi la résidence favorite de Vladimir Poutine, où il invite fréquemment ses homologues étrangers. Un festival des arts fondé et dirigé par l’illustre altiste Iouri Bashmet ambitionne d’ouvrir au tourisme culturel international cette ville-frontière aux confins méridionaux de la Russie. Le Festival international d’hiver des arts, dont c’est la 11e édition, invite des grands noms internationaux, espérant inscrire Sotchi sur la carte européenne de la culture.
Lors de l’ouverture du festival le 17 février, le ministre de la Culture Vladimir Medinski n’a pu s’empêcher d’avoir recours à sa rhétorique guerrière habituelle, déclarant « C’est notre réponse à Salzbourg ».« Notre modèle est davantage le festival d’Édimbourg », corrigeait quelques jours plus tard son directeur général du festival, Dmitri Grintchenko. « Nous ne sommes pas un festival d’opéra. Notre programmation a une dominante musicale, mais nous embrassons d’autres arts : le ballet, le théâtre, la poésie. Nous organisons des expositions, un concours international de vidéo art et des conférences sur l’art », explique-t-il au Journal des arts, insistant sur l’importance accordée à la création. La 11e édition a vu plusieurs créations mondiales et russes d’œuvres musicales.
Pour attirer les visiteurs, le festival a pour lui la renommée de Iouri Bashmet et sa localisation à Sotchi, dont le climat n’a rien à envier à Nice. Mais aussi des inconvénients : « la contrainte du visa détourne les étrangers », se désole Grintchenko, qui se souvient qu’en 2014, un accord avait été trouvé pour exempter de visa les visiteurs occidentaux du festival. Mais l’annexion de la Crimée et le refroidissement des relations diplomatiques sont venus tout gâcher. Il reconnaît que le public local représente 60 % des places contre 40 % de Russes venus d’autres régions. « Les étrangers représentent moins de 5 % de nos ventes de billet », admet Grintchenko. Le manque d’infrastructures constitue un autre frein : la principale salle de concert, le « théâtre d’hiver, a été conçu dans une architecture pompeuse, mais à l’acoustique inadaptée », note Valeria Anfinogenova, pianiste et directrice de l’auditorium de Sotchi. Une nouvelle salle de concert polyvalente est en projet dans le parc olympique situé à 50 kilomètres du centre-ville.
Autant l’infrastructure sportive est surdimensionnée (depuis les Jeux Olympiques) pour cette conurbation de 500 000 habitants, autant son pendant culturel est sous-développé. « La raison à cela est le désintérêt total des autorités locales pour la culture », déplore Natalia Samkova, spécialiste d’art contemporain ayant déménagé à Sotchi pour des raisons de santé. Un constat confirmé par la structure du budget du festival. La ville ne donne que 5 millions de roubles sur un budget total de 75 millions (un million d’euros). « Sotchi est un désert culturel en dehors du festival, poursuit Samkova, il n’y a qu’un musée d’art au fonds poussiéreux et aucune galerie d’art contemporain ou même d’art ancien. » Un point de vue que ne partage pas Boris Salakhov, historien de l’art au Musée d’art de Sotchi. « Nous avons une solide collection d’art soviétique et d’artistes locaux », se défend-il, en montrant les toiles de Nissky, Kontchalovsy, Jilinsky et Deïneka, des peintres très prisés en Russie. Mais il reconnaît que les autorités locales sont extrêmement conservatrices et négligent le développement de la culture.
Les acteurs de la vie culturelle locale s’accordent sur un point : l’intérêt des habitants pour la création apparaît très restreint. « J’ai ouvert une galerie d’art contemporain il y a sept ans, et j’ai tout arrêté en 2016. Il n’y a plus d’acheteurs », explique Oksana Prokatova, native de Sotchi. « Les locaux ont une éducation artistique très limitée. Leurs goûts s’arrêtent au réalisme : portraits, natures mortes, marines. Combien de fois j’ai entendu des gens me demander des copies d’œuvres du Louvre… », se souvient Prokatova. « Je ne pouvais vendre que des artistes régionaux pour des sommes autour de 1 500 euros. Ici, les gens fortunés sont essentiellement des promoteurs immobiliers aux activités souvent illégales et qui préfèrent rester dans l’ombre. Ils n’ont aucun intérêt pour la culture et encore moins pour le mécénat. La municipalité se moque éperdument de la culture. »
Prokatova n’est pas la seule à avoir tenté de se trouver une clientèle à Sotchi. La galerie Anna Nova de Saint-Pétersbourg a ouvert une antenne dans un vaste espace non loin de la promenade des Anglais locale en 2016 avec des grands noms… Et s’est cassé les dents. La galerie a plié bagages au bout de quelques mois sans avoir rien vendu.
Tous les espoirs reposent sur le Festival d’hiver, qui a reçu le soutien du président Poutine et obtenu la moitié de son budget du ministère de la Culture. « Je vais essayer de monter un festival de land art en marge du Festival d’hiver », déclare Boris Salakhov. Seul un ordre de Moscou peut faire bouger le conservatisme ambiant.
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Un festival dans le désert culturel de Sotchi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°496 du 2 mars 2018, avec le titre suivant : Un festival dans le désert culturel de Sotchi