Strasbourg est une véritable capitale culturelle. Mais, lestée par son histoire, ses traditions et son patrimoine, elle ne s’est pas encore pleinement affirmée. Simple question de temps.
Sur le papier, Strasbourg pourrait figurer dans le trio de tête des villes culturelles françaises d’un classement à inventer. Que ce soit par la richesse de son patrimoine, la qualité de ses musées ou même le nombre de ses structures artistiques, elle n’a rien à envier à Lyon, Nantes ou Lille, que l’on cite souvent en exemple. Elle est même l’une des rares villes à organiser une foire d’art contemporain. Et si l’on regarde du côté du livre ou du spectacle vivant, Strasbourg peut s’enorgueillir d’un opéra, de plusieurs salles de concert et de théâtre, et d’un tissu dense de médiathèques. Tous ces équipements profitent à un bassin de population important : la ville est 7e par le nombre d’habitants (276 000) et 9e si l’on prend en compte l’aire urbaine française (760 000 habitants). « Il y a ici une demande forte pour la culture », affirme Alain Hauss, le directeur régional des Affaires culturelles Alsace. La préfecture du Bas-Rhin est aussi située dans une région touristique, et donc bien desservie par le réseau autoroutier comme ferroviaire. Le TGV en service depuis 2007 met la ville à 2 h 20 min de Paris. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner que Strasbourg ait été éliminée dès le premier tour dans le processus de sélection des « Capitales européennes de la culture ». « Pourquoi voulez-vous être “Capitale européenne”, vous avez tout, vous l’êtes déjà ! », s’exclame un membre du jury devant Robert Grossmann, qui menait alors le projet en tant que président de la Communauté urbaine. Pourtant de nombreuses pesanteurs liées à son passé empêchent la vie culturelle strasbourgeoise de s’épanouir pleinement et de le faire savoir partout en Europe. Le poids de l’histoire récente avec l’Allemagne est naturellement très prégnant dans la mentalité collective. Après avoir changé quatre fois de nationalité en soixante-quinze ans, certains Alsaciens ont parfois un problème d’identité. Et le ressentiment à l’égard du voisin d’outre-Rhin est encore vif dans les anciennes générations, notamment parmi les « malgré-nous » qui ont été incorporés de force dans la Wehrmacht. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi les Strasbourgeois ne revendiquent pas plus fièrement leur culture en France, et a fortiori en Allemagne. Mais la présence de nombreuses institutions européennes (le Parlement européen, le Conseil de l’Europe..) et le personnel qui y travaille poussent la ville à dépasser son trouble identitaire pour se sentir un peu moins alsacienne et un plus européenne. D’autant que la population locale est jeune, 32 % est âgée de moins de 25 ans. Un bain de jeunesse renforcée par les 53 000 étudiants qui y séjournent, dont 20 % d’étrangers. Strasbourg est d’ailleurs une ville très cosmopolite et accueillante pour toutes les confessions, comme en témoigne la grande mosquée ouverte au culte depuis 2011. Ce n’est que l’une des nombreuses mutations sociologiques qu’enregistre Strasbourg, la « belle bourgeoise ». D’après Alain Hauss, qui a bien connu la ville il y a une vingtaine d’années, l’arrivée du tramway a permis de drainer la population des quartiers vers le centre-ville.
Une ville intelligente
Il ne faudrait pas déduire du récent rejet par référendum de la fusion des deux conseils généraux avec le conseil régional que les Alsaciens s’épuisent dans des luttes intestines. Le personnel politique et administratif est en général compétent et de qualité. Les rivalités de personnes ne doivent pas masquer la recherche du consensus, une caractéristique locale. Et lorsque Robert Grossmann « constate une léthargie culturelle » et stigmatise « le manque de souffle », il est dans son rôle d’opposant municipal. Avec un budget de fonctionnement de 85 millions d’euros pour la culture, Strasbourg se place derrière Toulouse (129 millions), mais largement devant Nantes (48 millions). « Cette ville respire l’intelligence », se plaît à souligner David Cascaro, le directeur de la Haute école des arts du Rhin, un établissement public qui regroupe les écoles d’art de Strasbourg et de Mulhouse ainsi que les enseignements supérieurs de la musique.
L’enseignement supérieur des arts n’est pas le seul à s’être engagé dans la voie du regroupement afin d’accéder à une dimension européenne et jouer la carte de la synergie. Strasbourg est l’une des premières villes à avoir fusionné son administration avec celle de la Communauté urbaine. Les musées de la Ville, eux, sont depuis longtemps regroupés sous une même tutelle tandis que les trois universités ont fusionné en 2009. Le poids du passé, c’est aussi le poids des traditions. La gastronomie, la viniculture sont de redoutables concurrents pour la culture. Combien de visiteurs parmi les 2 millions qui déambulent parmi les stands des marchés de Noël riches en produits du terroir vont dans les musées tout proches ? Peu. Autre sujet qui fait débat : l’Ancienne Douane. Le maire, Roland Ries (PS), a préféré affecter le bâtiment à un marché couvert destiné à des produits agricoles plutôt que de l’utiliser en salle d’exposition temporaire pour l’art ancien, dont manque cruellement le palais Rohan (lire p. 22). « C’est une pénalisation majeure pour la culture, gronde Robert Grossmann. Nous [l’ancienne équipe] avions prévu de restituer ce lieu à l’art, dès que nos ressources l’auraient permis après la création du Musée Tomi-Ungerer et les rénovations du Musée historique et du Musée alsacien. » Le centre historique de Strasbourg, délimité par la rivière et les canaux qui l’enserrent, d’où son nom de « Grande-Île », abonde en bâtiments historiques, parmi lesquels l’Ancienne Douane, qui date du XIVe siècle mais qui a été reconstruite après la guerre, et bien sûr la cathédrale, chef-d’œuvre de l’art gothique. « Il y a un véritable culte des vieilles pierres », affirme Robert Grossmann, rappelant que, jusque dans les années 1980, « il n’y avait aucune trace d’art contemporain dans la ville, qui accusait un retard considérable à cet égard, par rapport à la Suisse [la Foire de Bâle date de 1970, ndlr] et l’Allemagne. » Depuis, de nombreux lieux artistiques ont fleuri et tout un écosystème s’est mis en place comprenant une grande école, des ateliers d’artiste, des galeries, une foire ( (lire p. 24 et 25). Mais la scène strasbourgeoise a encore du mal à se fédérer. Il manque aussi peut-être des collectionneurs désireux de soutenir les jeunes artistes locaux, à moins que le protestantisme local freine ce qui pourrait être perçu comme de l’ostentation. Pourtant, quand la volonté politique est là, Strasbourg sait s’intéresser à la création, comme en témoigne le Musée Tomy-Ungerer qui pourrait bien devenir un lieu de référence pour l’illustration. La municipalité saura-t-elle saisir l’opportunité du legs Denise René pour fermer quelques boutiques qui encombrent l’Aubette, un bâtiment militaire du XVIIIe abritant les célèbres salles conçues par Theo Van Doesburg et le couple Jean Arp-Sophie Taueber, et ainsi accueillir une collection historique d’art cinétique (lire p. 21) ?
La Neustadt intégrée
Longtemps les Alsaciens ont boudé les nouveaux quartiers construits par les Allemands entre 1870 et 1918, à commencer par la Neustadt, véritable démonstration d’édifices officiels de style néo-Renaissance. À telle enseigne que les élus de l’époque ont omis de faire figurer cette extension de la ville dans le classement au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1988. Mais les temps changent et une nouvelle demande concernant la Neustadt est en cours. D’autres verrous, plus importants encore, sont en train de sauter. La ville commence à se redéployer vers le Rhin, situé à quelques dizaines de minutes de marche. C’est pour elle une formidable opportunité de s’inscrire dans le XIXe siècle avec une architecture moderne tout en assurant une continuité urbanistique avec Kehl, la ville allemande toute proche, pour enfin supprimer les frontières physique et psychologique.
Titre original de l'article du Jda : "Le poids de l’Histoire"
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Strasbourg, le poids de l’Histoire
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Strasbourg, le poids de l’Histoire