Avec plus de soixante pavillons nationaux, la Biennale
de São Paulo s’impose comme
la plus importante après celle
de Venise. Pour sa XXVe édition, la manifestation a fusionné ceux-ci avec une exposition plus vaste, sous le thème des « iconographies métropolitaines ». Parallèlement aux représentations nationales, onze villes ont été sélectionnées. Parfois confus, les choix
du commissaire n’empêchent
pas pour autant la Biennale
de proposer un panorama éclairé de la création contemporaine.
SÃO PAULO - Peut-on voyager sans se comporter en touriste ? De biennales en manifestations, les artistes peuvent-il dépasser le simple effleurement ? Sans doute le nomadisme a-t-il ses limites, et il n’est pas exempt de clichés. Exposé à la XXVe biennale de São Paulo, le Flying Bowl de Huang Yong Ping et Shen Yuan reprend la coupole inversée construite par Niemeyer à Brasilia pour mieux cacher en son sein des structures de favelas, et commente une fois de plus la faillite des utopies modernes. À l’opposé, Annika Eriksson a répondu par la négative à toute tentative d’immersion locale, se contentant – elle reprend en cela la critique institutionnelle des années 1970 – du lieu de l’exposition comme représentation du monde. La Suédoise fait défiler devant l’objectif de sa caméra une soixantaine de personnes, administrateurs, documentalistes, ou ouvriers employés par la Biennale. Tous viennent se présenter, se déterminant uniquement par leur rôle dans la manifestation. L’une comme l’autre, les deux œuvres répondent à la question sans cesse posée par la multiplication des manifestations internationales. Que faire du contexte ?
Si le territoire de Venise, comparable à un musée, peut s’assimiler à un espace neutre, celui de São Paulo ne l’est pas, et ce même au sud de la mégapole dans le paisible Parc des expositions, Parque do Ibirapuera. Les représentants de la France (lire encadré), Jean-Luc Moulène et Anri Sala, se situent dans un entre-deux judicieux. Contre la logique de spectacle qui prévaut dans ce type d’événement, le premier a préféré la masse et la diffusion. Intitulée A vida, o amor, a morte (La vie, l’amour, la mort), sa série de tirages photographiques, installée dans une salle ovale aux consonances sacrées, est doublée par un impressionnant tas de journaux offerts au public. Reprenant le format et les têtières du quotidien Valor Econômico, ces “hors-séries” reproduisent les images dans leurs pages. Anri Sala a, lui, joué une autre forme de déplacement et de délocalisation. Avec Blind Fold, nouvelle production de l’artiste, c’est dans les reflets d’un panneau publicitaire vierge et miroitant que la ville se dessine. Arena, installation vidéo qui prend pour sujet le zoo de Tirana déserté, est projetée en vis-à-vis des verrières du hall construit par Niemeyer dans les années 1950 et qui abrite aujourd’hui la Biennale. Proches formellement, les structures métalliques des deux lieux se répondent. Elles placent le visiteur dans une cage, encore partiellement protégée des rumeurs de la ville.
Des choix parfois confus
Sur la façade du bâtiment, la Brésilienne Carmela Gross a inscrit dans une écriture de néon rouge à la typographie moderne déjà datée le mot “Hotel”. L’urbanisme sans contrôle de São Paulo – qui fait passer toute ville européenne pour le gentil village d’Amélie Poulain – vient jusque-là, au-delà, et même à l’intérieur de l’exposition puisque son thème est les “iconographies métropolitaines”. Pourtant, si l’endroit semble particulièrement bien choisi pour réinterroger au XXIe siècle la problématique baudelairienne, la méthode employée peut surprendre. Bâtie sur le modèle canonique de la Biennale de Venise, la Biennale de São Paulo conserve encore le charme désuet des pavillons nationaux (soixante-cinq, soit une quinzaine de plus qu’à Venise) mais le commissaire, Alfons Hugs, a opté pour une fusion de ceux-ci au sein d’une exposition plus large. Sans ménager la chèvre et le chou, ce choix complique d’autant la donne, puisqu’il s’articule avec une sélection de villes (New York, Caracas, Berlin, Londres, Moscou, Johannesburg, Tokyo, Istanbul, São Paulo, Sydney, Pékin, dont on ne sait guère si elles ont été choisies pour leurs problématiques urbaines ou pour la qualité de leur scène artistique), complétée par une cité imaginaire (avec les participations d’une douzaine d’artistes dont Sarah Sze, Carsten Höller, Huang Yong Ping et Shen Yuan, Bodys Isek Kingelez). En sus, la sélection brésilienne d’une vingtaine d’artistes a été confiée à Agnaldo Farias. Par ses concessions plus ou moins orchestrées, Hugs, qui se décrit lui-même comme le “dernier tiers-mondiste”, produit une rare confusion. Ainsi, une “Special Project Room” a substitué à la logique historique, qui prévalait jusque-là, une logique de marché. Distinction suprême, les vedettes – dont Sean Scully, Jeff Koons, Vanessa Beecroft et Andreas Gursky – sont les seules à bénéficier de la climatisation !
Nommé après une période d’incertitude pour la Biennale, et contesté par une partie du milieu artistique brésilien, Hugs, bien que peu enclin à la discussion, a su déléguer nombre de ses prérogatives aux onze commissaires des villes mentionnées plus haut et effacer quelques-unes de ses approximations, dont l’illustration par trop évidente de l’urbanisme berlinois par les photographies de Frank Thiel et Michael Wesely. Plus que de Londres et de New York, les surprises viennent évidemment de lieux habituellement moins prisés comme Caracas. Remarqué l’an passé à Paris lors de l’exposition “Da adversidade vivemos” (lire le JdA n° 130, le 29 juin 2001), l’artiste vénézuélien José Antonio Hernández-Diez confirme avec In God We Trust, vidéo sur fond d’émeute, une disposition à la confrontation exempte de tous compromis. Sous la direction du critique Viktor Misiano, les artistes russes ont, eux, fait cause commune et signent un véritable pavillon moscovite, signalé par les architectures en cartons de Valery Koshliakov et rythmé par les déflagrations des accidents suggérés dans les moniteurs d’Anatoly Osmolovsky (Seven Deaths in Moscow). Maniant toujours le pinceau avec un mauvais goût déconcertant, Vinogradov et Dubossarskij dévoilent de leur côté une ode jouissive et dégoulinante à leur ville. Englué dans les mièvreries technologiques (Mariko Mori, Kyoichi Tsuzuki), Tokyo signale enfin une génération débarrassée de ses clichés : Aida Makoto fait le tour du monde à l’aide d’un simple téléphone. Quant à Tabaimo, elle signe avec Japanese Zebra Crossing un théâtre miniature où se déroule un film d’animation au graphisme minimal, une comptine cruelle qui joint le drapeau japonais au suicide.
La terre peut continuer de tourner
Même mise au plus bas, la fierté nationale a pourtant de beaux jours devant elle. La Chine a ainsi menacé de quitter la manifestation si Chien-Chi Chang persistait à placer ses travaux sous la bannière nationale de Taiwan. Au nom de la politique étrangère du Brésil, c’est donc sous le nom de Taipei Fine Arts Museum que ces photographies ont été exposées. De façon plus relative, comme toute biennale, São Paulo est évidemment un lieu de représentations nationales. À ce petit jeu, il faut remarquer que les Américains du Nord perdent pied dans un continent qui continue à se méfier de leur domination, et, nationalité du commissaire oblige, les Allemands triomphent. Impressionnantes et magistrales, les peintures murales de Franz Ackermann et Katharina Grosse posent une empreinte forte sur le bâtiment. Ce renouveau de l’abstraction, décomplexée par un langage urbain, ne cache pas pour autant les marques d’une “repolitisation” présente dans de nombreux travaux, évidemment assujettis à la donne post-11 septembre. Si certaines œuvres rassurent, à l’image de l’immense toit de briques de l’Israélien Gal Weinstein, dont une moitié s’échappe du bâtiment pour finir dans l’espace public, d’autres stigmatisent un état de guerre généralisé. Avec humour, l’Atelier van Lieshout continue de peaufiner son camp autonome avec une salle de musculation qui sent bon le sexe et la sueur. Plus durement, le Suisse Fabrice Gygi a lui installé une structure inquiétante, au centre de la Biennale. Sa Vigie est un mirador aux vitres teintées dont le mouvement continu
culmine à plus de dix mètres du sol. Avec ça en son centre, la terre peut bien continuer de tourner.
- XXVe BIENNALE DE SÁO PAULO, Pavillon de la Biennale, porte 3, Parque do Ibirapuera, CEP 04098-90 São Paulo, jusqu’au 2 juin, tlj sauf mardi, 13h-21h, samedi et dimanche 9h-21h, catalogue, 60 euros, www.bienalsaopaulo.org.br
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São Paulo, une biennale au cœur de la ville
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Abonnez-vous dès 1 €Parallèlement à la Biennale, la manifestation “Artecidade�? multiplie les interventions urbaines d’artistes et d’architectes, approfondissant de manière concrète les “iconographies métropolitaines�? de la Biennale. Parmi les participants se trouvent Vito Acconci, l’Atelier van Lieshout, Dennis Adams ou encore MaurÁcio Dias & Walter Riedweg qui proposent un commerce visuel au marché Lago da Concórdia. Dans ce cadre, le centre culturel Sesc Belenzinho a mis à la disposition des artistes un bâtiment promis à la démolition. Désaffectée, la friche abrite de nombreuses œuvres, dont les passerelles d’Ana Maria Tavares qui, dans un vocabulaire qui doit autant à l’architecture industrielle qu’à Piranese, traversent le bâtiment d’étage en étage. Hermann Pitz propose, lui, une cartographie vertigineuse en dessinant un São Paulo à partir d’annuaires. Enfin, déjà remarquée à la Biennale, Carmela Gross fait émerger avec fracas le mot Dolores de la façade.
- Artecidadezonaleste, jusqu’au 30 avril, www.artecidade.org.br.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : São Paulo, une biennale au cœur de la ville