Préhistoire

PRÉHISTOIRE

Répliques de grottes préhistoriques, le savoir-faire français

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 22 août 2022 - 1509 mots

France

L’art de répliquer les grottes est né d’une nécessité de conservation des sites originaux. Depuis la copie expérimentale de la grotte de Lascaux II des années 1970, c’est devenu une spécialité française, qui s’exporte jusqu’en Russie.

Visite de la réplique de la grotte Cosquer à la Villa Méditerranée. © Patrick Aventurier
Visite de la réplique de la grotte Cosquer à la Villa Méditerranée.
© Patrick Aventurier

C’était le site touristique le plus couru du département de la Dordogne. Pourtant, en 2016, tout le monde prédisait sa « mort ». Lascaux II, pensait-on, ne résisterait pas à l’ouverture de la réplique Lascaux IV, en contrebas de la colline sur laquelle la grotte originale de Lascaux fut découverte en 1940. Six ans après l’inauguration en grande pompe du fac-similé parfait de la « Sixtine de la préhistoire », sa copie expérimentale des années 1970 continue pourtant d’attirer de nombreux visiteurs. « Lascaux IV est parfaite au millimètre près, mais est-ce qu’on ne perd pas un peu d’âme ? », s’interroge Tatiana Delbos, responsable du site.

Lascaux II, préfiguration du fac-similé

Une chose est sûre, l’âme du fac-similé pariétal vit à Lascaux II [voir ill.], berceau mythique de l’art de rendre visibles les cavités inaccessibles. Pourtant, ce n’est pas la première expérience de restitution de l’art pariétal préhistorique. Lors de l’Exposition universelle parisienne de 1937, dont le thème était l’innovation technique, le pavillon du Périgord exposait une grotte ornée. C’était un pot-pourri que proposait alors le peintre Pierre Gatier, réunissant sur une paroi imaginaire des motifs glanés dans les grottes de Pech Merle, des Combarelles ou de Font-de-Gaume. L’exigence scientifique n’y était pas, mais l’esprit oui : révéler au grand public les premiers chefs-d’œuvre de l’humanité.

Une trentaine d’années plus tard, le scénario qui mène à la genèse de Lascaux II est un peu différent. Le comte de La Rochefoucauld, propriétaire du site, a quelque peu abusé de la manne touristique de la grotte depuis sa découverte en 1940, et la surfréquentation altère visiblement les parois dès 1955. Il imagine alors une copie fidèle du meilleur tronçon de la grotte – son diverticule axial, ainsi que la fameuse salle des Taureaux –, reproduite dans une ancienne carrière à 200 mètres de l’originale. Monique Peytral, une peintre azuréenne inconnue, ignorant tout de l’art rupestre, mène ce chantier à partir de 1972 et l’achève en 1983. Pour l’artiste, la création du fac-similé relève plus de l’expérience de création que de la simple copie. Elle se place dans les pas des hommes du Magdalénien, utilise leurs outils, leurs pigments et leur technique. Elle cherche sa matière première au plus près de la grotte, et donne de sa personne pour reproduire la technique du soufflé, avec laquelle nos lointains ancêtres ont réalisé une bonne partie des ornements, qui consiste à projeter directement le pigment liquide par la bouche.

Expérimentale, la technique de Monique Peytral est étonnamment précise grâce au premier relevé radio-photogrammétrique de la cavité. L’artiste et son équipe réalisent une armature métallique qui reproduit les courbes de niveaux du site, sur lequel du béton est projeté. Un enduit cimenté, dont le mélange doit reproduire la matière de la grotte, est ensuite appliqué, pour finalement recevoir les ornements. Mais Lascaux II reste une interprétation : au centre de la salle des Taureaux, trônant entre trois paires de cornes, le dessin d’un cheval qui, dans la grotte originale, reste très estompé, soulignant une intention artistique vieille de 20 000 ans, est un peu trop appuyé.

Des innovations techniques pour une meilleure reproduction

La méthode Peytral fait école, particulièrement en Espagne : l’un des artistes ayant collaboré au chantier de Lascaux II, Renaud Sanson, développe d’abord un petit atelier spécialisé à Montignac-Lascaux. Il décroche un premier chantier de reproduction des parois ornées de la grotte de Niaux pour un parc préhistorique à Tarascon-sur-Ariège, puis attire l’attention d’un membre du conseil scientifique de la grotte d’Ekain, discrète cavité ornée du Pays basque espagnol.

Ekainberri, la réplique dont le chantier décennal fut entamé en 1997, reste aujourd’hui bien moins connue que la « nouvelle grotte » d’Altamira, en Cantabrie voisine. Pourtant, la seconde n’offre qu’un plafond intégré dans un espace muséal, peu immersif, quand Ekainberri est un travail pionnier sur la prise en compte de l’environnement minéral. Une préoccupation fondamentale dans l’art pariétal, qui consiste en un véritable dialogue entre les figures et leur support.

Dans le Pays basque, Renaud Sanson pose un certain nombre de bases scientifiques, éthiques et scénographiques, qui seront reprises par la suite dans les chantiers de Lascaux IV et Chauvet II. Techniquement, Ekainberri perfectionne le travail du rendu des reliefs commencé à Lascaux II, tout en changeant de parti pris pour la restitution des fresques : « Les peintures de Lascaux II doivent tout au talent de Monique Peytral, et de ce point de vue, Lascaux II demeure son œuvre », explique Sanson. À ce travail de copiste, il préfère un travail « objectif » de faussaire. Son outil : un relevé photographique projeté avec précision sur le relief vierge restitué en « voile de pierre », une autre innovation technique qui permet de reproduire le relief dans un matériau minéral. Enfin s’ajoute l’idée d’une scénographie qui permet de montrer les peintures d’Ekain – disséminés sur plusieurs milliers de mètres carrés – dans un environnement minéral fictif, mais vraisemblable. Cette nouvelle perspective sera appelée « anamorphose » quelques années plus tard appliquée à la grotte de Chauvet : « Nous avions 8 000 mètres carrés à faire tenir dans les 3 000 mètres carrés du plan en Y réservés à la réplique, explique Valérie Moles, responsable scientifique à Chauvet. Des morceaux éloignés dans la grotte deviennent des morceaux mitoyens, et les géologues interviennent beaucoup », car il faut alors que le visiteur ait la sensation de pénétrer dans une véritable grotte.

À Montignac-Lascaux, l’atelier de Renaud Sanson est devenu l’Atelier des fac-similés du Périgord (AFSP), racheté par Semitour, l’entreprise semi-publique (financé par le département) qui gère les deux répliques de Lascaux. L’AFSP accueille aujourd’hui l’atelier Arc et Os d’Alain Dalis, l’entrepreneur privé qui a obtenu les chantiers de Chauvet et Cosquer avec Gilles Tosello, docteur en préhistoire et diplômé des Beaux-Arts, installé à Toulouse.

Des « faussaires » aux compétences informatiques

C’est un petit monde où les professionnels sont issus du même centre de formation : les chantiers de restauration de Lascaux II dans les années 1990, avec Peytral et Sanson, puis la production des panneaux itinérants de Lascaux III. Avec l’inauguration de Chauvet II [voir ill.], en 2015 et de Lascaux IV, fin 2016, l’art du fac-similé atteint une forme de maturité technologique (les relevés 3D sont de plus en plus précis) et technique sur la mise en œuvre des chantiers. « On nous imagine un pinceau à la main, mais il y a surtout un énorme travail d’ingénierie », souligne Francis Ringenbach, directeur artistique de l’AFPS. Fraisage numérique des parois, calage des relevés 3D automatique, une grande partie du travail se passe désormais sur ordinateur, et les informaticiens ont pris leur place à l’AFPS et Arc et Os, au même titre que les restaurateurs de formation ou les diplômés des Beaux-Arts. L’expérience d’un chantier mené à partir d’un double numérique de la grotte à Chauvet a grandement aidé ces mêmes équipes travaillant sur le chantier de Cosquer [lire page 28 et voir ill.] : « Heureusement, souligne Valérie Moles, car nos “faussaires” n’ont pas pu se rendre dans l’original, à 36 mètres sous la mer. »

Les deux ateliers partagent le même parcours, mais affichent quelques différences de sensibilité. Pour Francis Ringenbach, le chantier de Lascaux IV peut se résumer dans les termes de « précision » et « millimètre » : « On pouvait passer vingt à trente heures pour reproduire le geste artistique initial qui, lui, n’a duré que deux secondes », se souvient-il. Une précision qui permet au peintre de revivre un instantané du moment de création : « Ce qui m’a beaucoup ému, ce sont les gouttes qui tombent sur la roche alors que le peintre dessine au-dessus. » Alain Dalis et Gilles Tosello s’inscrivent davantage dans la démarche d’archéologie expérimentale que portait Monique Peytral : « On souhaite plus redonner la vie que faire du point par point… Ce qui n’empêche pas d’être précis ! », explique Alain Dalis. Et son camarade de rajouter : « On a affaire à des œuvres dynamiques, si on décompose trop, on risque de perdre la sensation de mouvement. »

Un savoir-faire exporté à l’étranger

Alain Dalis, qui a « essuyé les plâtres à Chauvet » avec Gilles Tosello, exporte désormais son savoir-faire jusqu’en Russie : son atelier a reproduit 50 mètres carrés des fresques préhistoriques de Kapova, au sud de l’Oural, dont les panneaux ont quitté l’atelier de Montignac-Lascaux, deux jours avant le début du conflit russo-ukrainien. « On a eu beaucoup de chance », souffle Alain Dalis, qui entre deux chantiers travaille sur des restitutions pour les institutions culturelles. L’AFPS diversifie également ses activités depuis l’inauguration de Lascaux IV : un bas-relief Renaissance pour le château de Biron, une danse macabre médiévale pour l’abbaye de la Chaise-Dieu, et même une récente, et surprenante, commande d’un fac-similé de manuscrit. Un saut dans l’inconnu « avec des premiers retours qui ont été extraordinaires », se réjouit Francis Ringenbach. Mais tous rêvent du prochain chantier pariétal : « Aujourd’hui, on fantasme sur un fac-similé de la grotte de Cussac, en Dordogne, révèle Valérie Moles, mais ce sera aux institutions publiques de s’emparer, ou pas, du projet. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Répliques de grottes préhistoriques, le savoir-faire français

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