Après le discours prononcé le 10 octobre par le Premier ministre, Renaud Donnedieu de Vabres a lancé le 22 octobre au CCC de Tours un « Tour de France des centres d’art ». Commande publique, Palais de Tokyo, Grand Palais, « Whitney » français, le ministre de la Culture et de la Communication détaille les priorités de sa politique pour les arts plastiques.
La commande publique semble aujourd’hui être une priorité du ministère. Le bilan des créations réalisées dans ce cadre est pourtant très mitigé. Envisagez-vous de la rénover et, si oui, comment ?
La commande publique est l’une des priorités de mon ministère. Son bilan n’est pas mitigé. Je crois,
au contraire, que de très beaux projets, menés dans le cadre de partenariats avec les collectivités territoriales, ont vu le jour récemment comme, par exemple, celui conduit à Bordeaux en parallèle à la mise en place du tramway avec des œuvres de Claude Closky, Élisabeth Ballet, Xavier Veilhan, et bientôt Michel François, Melik Ohanian et les Kabakov. Un effort particulier doit être accompli pour les rendre plus visibles, plus accessibles par un travail de préparation, un travail pédagogique, un travail d’information, notamment grâce à Internet. Nous élaborons à cet effet un site Internet pour que l’ensemble de ces projets soient mieux connus du public.
D’autres efforts seront effectués pour mener à bien des projets ambitieux avec les artistes et des villes ; à Mulhouse, avec un projet où, pour la première fois, les artistes retenus, Daniel Buren et Tobias
Rehberger, se voient confier un champ d’intervention à l’échelle de la ville dans le cadre de l’implantation du nouveau tramway ; à Rennes, avec une œuvre monumentale d’Aurelie Nemours ; à Marseille, avec un très beau projet de Bruno Peinado ; à Nancy avec les « pièges » visuels de Pierre Bismuth.
L’opération de valorisation des centres d’art, que j’ai annoncée à Tours le 22 octobre, permettra de lancer très prochainement une série de commandes dans plusieurs centres d’art, notamment pour des œuvres où art, architecture et design concourront à l’aménagement de ces structures en intégrant les dimensions de rencontre et d’accueil.
La décentralisation accentue les disparités, notamment budgétaires, des centres d’art et des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) en régions. Avez-vous l’intention d’intervenir pour défendre ces organes essentiels pour le public et pour les artistes ? Entendez-vous renforcer leur rôle de laboratoire et, pour les FRAC, leurs moyens pour la conservation de leurs collections ?
Il est important que toutes les structures n’aient pas la même taille et que l’offre aux artistes, comme au public, puisse être variée. Il faut favoriser les expériences très différentes. Par ailleurs, les budgets des Régions ne sont pas les mêmes. Certaines Régions sont plus riches que d’autres ou plus engagées dans une politique artistique. Ces disparités doivent donc toujours être analysées au regard de plusieurs paramètres : nombre de structures dans l’espace territorial concerné, missions de la structure, moyens financiers des partenaires territoriaux… Il n’est sans doute pas souhaitable d’imaginer un modèle, fonctionnel et budgétaire, qui s’imposerait à tous les équipements consacrés à l’art contemporain. Les structures en contact avec la partie la plus vivante de la création doivent être diverses, souples, inventives.
Le rôle constant de l’État, tout spécialement de la délégation aux Arts plastiques [DAP] et des directions régionales des Affaires culturelles [DRAC], a été, est et sera, dans la plupart des cas, dans les partenariats très positifs qu’ils conduisent avec des collectivités territoriales, de défendre l’excellence et l’ambition artistique. Il est déterminant pour l’avenir de la création en France que soit non seulement préservée, mais encore accrue, la dimension de découverte ou de redécouverte des centres d’art et des FRAC, sans pour autant oublier la mission pédagogique qui doit aussi être la leur.
S’agissant des FRAC, l’enjeu de la période à venir est de savoir concilier leur indispensable professionnalisation et la préservation de l’originalité de leur projet, c’est-à-dire une diffusion active, et parfois audacieuse, d’œuvres d’art représentant, dans leur diversité, les meilleurs aspects de la création contemporaine sur l’ensemble d’un territoire régional.
Le programme, dit de « seconde génération », a précisément pour ambition de doter progressivement chaque Région d’un outil efficace et professionnel et d’équipements leur permettant d’assurer de meilleures conditions de conservation pour ces collections qui recèlent parfois de véritables chefs-d’œuvre de notre époque.
Après les vingt ans des FRAC, en 2003, qui ont permis à un vaste public de découvrir la richesse et la diversité de leurs collections, en 2006-2007 les centres d’art proposeront une série de rendez-vous, à travers toute la France, permettant de valoriser l’esprit d’ouverture et d’innovation qui les caractérise depuis leur création : du CCC de Tours, dont je viens de fêter les vingt-cinq ans, au Magasin, à
Grenoble, en passant par la Villa Arson à Nice, le 10neuf à Montbéliard, Vassivière en Limousin ou encore le Quartier à Quimper.
Le nouveau directeur du Palais de Tokyo vient d’être choisi. La mission de l’institution va-t-elle évoluer, notamment dans son contour (mode, design…) ? La poursuite de la rénovation du bâtiment
va-t-elle être engagée ? L’État va-t-il augmenter sa subvention en faveur du Palais de Tokyo ?
Le Site de création contemporaine est une association. Elle vient de recruter son nouveau directeur, Marc-Olivier Wahler, qui prendra ses fonctions en février prochain.
Il hérite de l’expérience mise en œuvre par Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans, qui a été un véritable succès, et qui réaliseront une dernière grande exposition consacrée à la scène française.
J’estime que la mission de ce lieu est toujours de s’intéresser à la création émergente, vivante. Par ailleurs reste inoccupé l’espace des salles de cinéma, et je regarde avec attention toutes les propositions faites à ce sujet. Vous le savez, le plan de réaménagement de 8 000 m2 est à l’étude. J’envisage avec le VIA un grand lieu pour le design. J’étudie également l’installation d’un lieu dédié à de grandes monographies d’artistes français ou vivant en France. Pour 2006, un million d’euros sera consacré aux études et aux premiers travaux. Le budget de rénovation de l’ensemble est de l’ordre de 20 millions d’euros.
Êtes-vous favorable à l’idée de consacrer une institution à la création française, comme l’ont fait les Anglais à Londres avec la Tate Britain ?
J’ai lu votre éditorial sur un « Whitney » à la française. Il prenait une position que beaucoup partagent. Sans doute ne s’agit-il pas exactement, dans mon esprit, d’un « Whitney » ou d’une Tate Britain qui possèdent des collections, mais d’un lieu dédié à de grandes monographies consacrées aux artistes vivant en France, ou à des expositions faisant le point régulièrement sur la scène française.
Ce lieu dédié à la création en France devra, bien sûr, s’inscrire dans un contexte international et européen qui me tient à cœur. Il ne sera pas le lieu d’un quelconque chauvinisme, mais au contraire un lieu où nous pourrons faire découvrir de manière majeure les expériences, les plus convaincantes, les plus significatives, des artistes qui, quelle que soit leur nationalité, ont choisi de travailler en France pour un temps ou pour longtemps, ainsi qu’aux Français qui sont allés s’installer dans d’autres pays, comme le firent Marcel Duchamp ou Arman.
Nous travaillons actuellement, avec mes équipes, sur une partie des espaces inoccupés du Palais de Tokyo, pour accueillir ce projet.
Le Grand Palais a historiquement accueilli d’importantes expositions, comme celle qui fut consacrée à l’art en France en 1972, voulue par le président Georges Pompidou. Le Premier ministre a annoncé le 10 octobre qu’une grande exposition d’art contemporain français était prévue dans le Grand Palais rénové. Quelle en sera la nature ? Comment y seront associées les galeries suivant le vœu du Premier ministre ?
Le Premier ministre a annoncé le 10 octobre que la vocation du Grand Palais est d’accueillir à nouveau les salons artistiques, mais aussi toutes les foires et tous les salons culturels majeurs, au premier rang desquels la FIAC [Foire internationale d’art contemporain] et le Salon du livre, si les espaces leur conviennent.
Il a souhaité que les arts plastiques soient très présents au Grand Palais. Ainsi, j’ai demandé au délégué aux Arts plastiques de mettre sur pied un groupe de réflexion et de proposition, qui permettra de réaliser en 2006 autour d’une grande personnalité, commissaire général, une exposition consacrée aux artistes vivant ou travaillant en France, à un certain esprit de la création, aux différents courants traversant cette création sous toutes ses formes. Dans ce groupe, l’expérience et la compétence des galeries sera prise en compte par la présence d’un professionnel qu’elles désigneront.
À peine évoqué par le Premier ministre, le projet de « Centre européen de la création contemporaine » sur l’île Seguin semble avoir été accueilli froidement par le président du conseil général des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy. Quelles sont ses chances de voir le jour ?
Nous travaillons à ce projet en bonne intelligence avec Nicolas Sarkozy, président du conseil général des Hauts-de-Seine, comme avec Jean-Pierre Fourcade, maire de Boulogne-Billancourt, et la SAEM [société d’aménagement d’économie mixte] Val-de-Seine.
Dans ce cadre, l’État propose de créer des ateliers d’artistes, accompagnés d’ateliers techniques pouvant être utilisés pour la réalisation d’œuvres monumentales comme pour des œuvres issues des nouvelles technologies.
Ces ateliers pourraient également recevoir les grands projets des écoles artistiques « franciliennes » et une part de leurs projets de recherches, voire certains ateliers particulièrement « dévoreurs d’espace » en ville. Parallèlement à ces équipements, ce sont aussi de grandes réserves visitables qui pourraient être construites sur cette partie de l’île.
Ces projets concernent le Centre Georges-Pompidou, le Fonds national d’art contemporain [FNAC], qui montreraient leurs grandes installations, trop rarement exposées, accompagnées de programmes de sensibilisation adaptés. Ces équipements en côtoieraient d’autres, dans un jardin conçu par un paysagiste, avec la possibilité de commandes publiques d’œuvres.
L’État proposera à ses partenaires d’être présents pour que la création en France et son enseignement y trouvent un lieu privilégié.
La création française a du mal à attirer les regards des étrangers. Quelle politique le ministère peut-il engager pour aider les artistes français à l’international ? Évoquée par le président de la République en 2002, une réforme des organes chargés de la diffusion de la culture française à l’étranger est-elle toujours d’actualité ?
Les artistes français ne sont pas assez présents dans les grands rendez-vous internationaux. Ils éprouvent parfois des difficultés à se faire reconnaître sur le marché de l’art, tant national qu’international.
La reconnaissance de la scène artistique française à l’étranger passe d’abord par la valorisation des artistes sur le territoire national. C’est parce qu’il y a eu une scène espagnole au temps de la « movida », une scène berlinoise, les « jeunes artistes britanniques » exposés en Angleterre que nous sommes allés à leur découverte.
Parallèlement, bien sûr, il faut savoir répondre aux intérêts créés par les artistes vivant en France et aider leurs expositions à l’étranger.
Nous devons même susciter, aiguiser cette curiosité, mais il faut d’abord, pour qu’elle existe, montrer en temps et en heure cette création, avec les moyens d’édition et de communication nécessaires.
Je soutiendrai tous les projets allant dans ce sens. Par ailleurs, avec Philippe Douste-Blazy, nous avons demandé à l’AFAA [Association française d’action artistique] et à la DAP de mettre sur pied un observatoire, composé de professionnels, qui permette une réflexion sur l’organisation des expositions à l’étranger consacrées aux créateurs vivant en France. Pour ce qui est des grands processus de réforme, aujourd’hui je préfère fédérer les volontés et privilégier l’action.
La question d’une aide fiscale pour les particuliers collectionneurs d’art contemporain revient régulièrement à l’ordre du jour. Y êtes-vous favorable ?
J’y suis tout à fait favorable, car notre marché doit bénéficier des mêmes incitations que les marchés voisins. Le souhait du Premier ministre est que notre dispositif fiscal soit plus incitatif, notamment en direction des artistes et galeristes. C’est ce qu’il a décidé dans les mesures annoncées à la FIAC. Indépendamment de celles touchant les artistes, pour ce qui concerne les particuliers, le Premier ministre a souhaité que soient mises en œuvre une série de mesures visant à alléger la fiscalité dans ce domaine. C’est ainsi qu’ont été annoncés une baisse de la TVA à 5,5 % sur les créations en vidéo et les installations utilisant ce support, le règlement de l’ISF ainsi que des dations pourront être honorés par des œuvres d’artistes vivants, et, indirectement, concernant le droit de suite, une harmonisation des délais d’application de ce même droit, entre Paris et Londres (ce qui ne sera pas sans conséquences pour les particuliers), va être demandée à la Commission européenne.
Pour les entreprises, la suppression de l’obligation de montrer les œuvres acquises à un public extérieur devrait renforcer le mécénat et donc avoir les effets positifs sur le marché de l’art. Il s’agit de créer une atmosphère générale, une pédagogie et de nouvelles attitudes. Toutes ces mesures y contribuent. Il faut que chacun comprenne que la création fait partie de la société que nous inventons.
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Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°224 du 4 novembre 2005, avec le titre suivant : Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication