Créé l’an passé, le Fitac (Festival international des techniques d’animation de la cité) présente du 9 au 11 mars, à la Grande Halle de La Villette, des projets d’artistes intervenant dans les villes. Malgré un accueil souvent favorable, ces projets n’aboutissent pas toujours, faute d’avoir l’approbation des décideurs. La règle selon laquelle ceux qui financent décident connaît des exceptions, qui sont des encouragements ou des freins à la création.
PARIS. Certains créateurs, connus pour leur travail avec les villes, sont régulièrement sollicités pour des événements ou des festivals. C’est le cas de LoLa Muance, cosignature des deux plasticiens Wilfrid Roche et Pierre Surtel qui proposent des installations éphémères d’objets peints avec des colorants fluorescents. Baignées de lumière noire, elles deviennent des sculptures inédites, transformant les architectures. Pour un budget attractif de 10 000 à 100 000 francs, selon la taille et la durée du projet, les deux artistes multiplient leurs interventions : “En 1998, nous avons été contactés par la médiathèque de Saint-Quentin-en-Yvelines et la Cité universitaire à Paris, pour lesquelles nous avons réalisé des installations, mais aussi par la mairie de Dreux et une association intercommunale de développement artistique et culturel dans le bassin minier du Pas-de-Calais, Culture Commune”. Vincent Corpet a pour sa part été contacté par le district urbain de Montbéliard, sur le conseil d’une institution culturelle. Pour fêter le 200e anniversaire des pays de Montbéliard, le peintre a réalisé une fresque monumentale de 27 tableaux symbolisant les 27 communes, qui, après avoir circulé dans les mairies et les écoles, sera présentée au Fitac. “On m’a laissé une totale liberté d’interprétation, ce qui est le bonheur pour un artiste. De ce fait, la fresque entre complètement dans l’ensemble de mon œuvre, et je l’ai d’ailleurs numérotée comme l’un de mes tableaux. Et puis, il y a aujourd’hui la volonté des élus de Montbéliard de prêter la fresque durant le salon pour la montrer à d’autres élus. J’espère qu’elle leur donnera des idées”, se réjouit-il.
À la rencontre des décideurs
Michel Brand, qui a de nombreuses idées, n’attend pas d’être contacté par les villes pour faire des propositions. Son projet pour la mairie de Périgueux a abouti. En revanche, il est assez déçu que son idée de mise en lumière des tours de la Rochelle, soutenue par un sponsor qui s’était engagé à fournir l’éclairage, n’ait pas séduit le maire. “Je n’ai jamais pu lui exposer directement mon idée”, regrette surtout le plasticien, qui “souhaite pour pouvoir créer, rencontrer des maires et avoir un contact direct et personnel avec eux”. L’artiste Dominique Doulain résume le problème ainsi : “C’est difficile de mettre en rapport les artistes, porteurs de projets, et les élus dans les villes. Avoir des contacts avec des intermédiaires dans les mairies revient à un coup d’épée dans l’eau, car ce sont les élus qui décident, financent et accrochent éventuellement des financements extérieurs de type sponsor. Les agences d’événements ne trouvent aucune rentabilité à présenter des projets artistiques et préfèrent attendre que la demande vienne des villes”. Mais, curieusement, les maires ne sont pas toujours les décideurs. D’une ville à une autre, le centre de décision varie. Tout dépend des intérêts en jeu, c’est-à-dire des modes de financement et des motivations personnelles. Laurent Joubert en a fait l’expérience. Conçu pour les célébrations du Millénaire à Avignon, l’une des capitales culturelles européennes de l’an 2000, son projet Des chariots du Millenium, des portes dans la ville d’architecture provisoire et un ensemble de sculptures monumentales mobiles – une quinzaine de chariots tractés par des volontaires –, a été abandonné. “J’avais été sollicité par l’École des beaux-arts d’Avignon, mais à la suite d’un problème de politique culturelle (les organisateurs ont changé), d’autres choix ont été faits”, explique l’artiste. À Nantes, Jean-Louis Bonnin, chargé de mission aux Affaires culturelles, explique qu’en matière d’événementiel, “si tous les projets doivent être acceptés par le maire et son adjoint à la Culture, il n’y a pas d’intervention directe des élus dans le choix des artistes. Nous nous faisons conseiller par la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac), le Fonds régional d’art contemporain (Frac) et la direction de l’École des beaux-arts de Nantes”. Il s’agit, pour la ville, d’élaborer de véritables “stratégies culturelles” sans se tromper, avec un retour attendu en terme d’image. “La promotion d’activités artistiques contribue à attirer une population de cadres dynamiques”, souligne-t-il. Ailleurs, on désapprouve cette méthode. Selon François Dosé, député-maire de Commercy, “une ville ne doit pas être rythmée par les seules institutions culturelles (la Drac, le Frac), qui s’occupent bien plus de la gestion de créateurs établis dans des cercles fermés excluant les artistes, jugés comme étant en dehors des convenances institutionnelles, que de découvrir de nouveaux talents. Mais les exclure totalement conduit à dire adieu à une forme de financement. C’est un problème”. Pour Jacques Godfrain, député-maire de Millau et ancien ministre de la Coopération, “il appartient aux élus de décider du choix des projets qu’ils devront assumer devant la population, et non pas aux fonctionnaires. D’ici 2003, va être construit à Millau le plus haut pont d’Europe. Même si nous ne finançons pas cette construction, pour l’inaugurer, nous ferons de l’art autour du pont et l’État ne décidera rien sans nous”.
Marseille, le contre-exemple
À Marseille, pourtant, ce ne sont ni les élus, ni les institutions culturelles qui ont eu le dernier mot pour le choix du projet de sculpture financé par le 1 %, La sphère à cornes de Jean-Louis Lhermitte, dans la cour du Centre de mathématiques et d’informatique, mais les représentants du Centre de recherche. Jimmy Elhadad, son directeur, remarque que “les artistes sont le reflet de ce que pense l’opinion publique des mathématiques. L’aspect ésotérique était trop dominant chez les candidats retenus, et il fallait que les chercheurs s’y retrouvent. Nous avons donc eu à livrer une bataille d’influence pour retenir le projet le plus satisfaisant pour nous, et ce au bout de trois appels d’offres”. Quant à Daniel Berclaz, il a réglé le problème en choisissant d’être à la fois artiste et acteur d’événements culturels, et, pour vendre son projet, il a monté une association afin d’avoir des couvertures financières structurelles. Avec son concept du Musée du point de vue, il a investi une aire de repos sur une autoroute marseillaise en octobre 1998, qui a par la suite été inaugurée par le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. “C’était un endroit préconçu pour voir la mer, or il était plutôt abandonné, explique l’artiste. J’ai donc fait planter deux grands cyprès à l’horizontale pour cacher la mer et j’ai fait don de cette installation à un élu, à la condition qu’il redresse la situation, c’est-à-dire les arbres”. C’était, à vrai dire, une décision originale.
Le Festival international des techniques d’animation de la Cité (Fitac) tiendra sa deuxième édition, avec le concours d’EDF et de l’Association des maires de France, les 9, 10 et 11 mars à Paris, à la Grande Halle de La Villette. Ce salon, qui bénéficie du parrainage du ministère de la Culture et de la Communication, a la volonté de réunir des élus, des responsables culturels des villes et des artistes et professionnels de l’animation, toutes disciplines confondues : plasticiens, architectes, paysagistes, designers, musiciens, chorégraphes, comédiens, créateurs d’événements... Une sélection de 25 projets d’artistes, parmi lesquels une douzaine de plasticiens, consultable sur l’Internet (www.fitac.com), sera présentée aux décideurs d’événements dans la galerie des projets. Une bourse d’échange montrera sous forme de book, le travail d’une centaine d’autres artistes. “Comme les élus vont rarement dans les salons artistiques, commente un artiste, le Fitac est une bonne idée pour rencontrer des décideurs”?. Enfin, un Forum permettra aux élus d’aborder des questions liées à l’animation dans les villes autour de débats avec des spécialistes. L’organisation des célébrations du passage à l’an 2000, qui est une préoccupation commune des élus, est l’un des thèmes forts du salon. Le Fitac est ouvert de 10h à 19h. Réservé aux professionnels, il sera ouvert au public le 11 mars. Commissariat général : Le public Système. Entrée 70 F, gratuite pour les étudiants.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Quand les artistes s’emparent de la ville
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : Quand les artistes s’emparent de la ville