Société

Polémiques sur la récupération artistique du mur de Trump

Par Capucine Moulas, correspondante à New York · lejournaldesarts.fr

Le 19 février 2018 - 734 mots

SAN DIEGO / ETATS-UNIS

Une pétition appelle au boycott de l’artiste Christoph Büchel qui veut faire protéger les huit pans de murs construits à titre de test. 

Murs derrière barrière
Murs derrière barrière
Photo Bjarni Grimsson
© MAGA

Sous le soleil coutumier de San Diego en Californie, les huit pans de murs s’élèvent à 9,1 mètres au-dessus du sol. Lisses, à barreaux, grises, beiges ou bleues… Ces cloisons bâties à titre expérimental sont les huit témoins de l’une des premières promesses polémiques de Donald Trump : il y aura un mur entre les Etats-Unis et le Mexique. Ces imposantes parois, dont quatre en béton armé, ont été édifiées en 30 jours par six entreprises de construction en octobre dernier et sont depuis novembre soumises à des tests pour prévenir « toute intention d’escalader, de creuser ou de percer ». Si le titanesque projet du 45e président des Etats-Unis trouve suffisamment de fonds auprès du Congrès, l’un de ces « prototypes » sera décliné sur plusieurs centaines de kilomètres le long de la frontière mexicaine.

Mur plan global
Mur plan global
Photo Yesica Uvina
© U.S. Customs and Border Protection

Protéger les prototypes
Pour Christoph Büchel, artiste suisse-islandais connu pour ses projets provocateurs, ces remparts factices, qu’ils deviennent une véritable muraille ou non, doivent être symboliquement préservés. Mieux encore : reconnus comme de l’art. Le 2 janvier, Christoph Büchel a lancé une pétition pour « faire reconnaître les prototypes de mur à la frontière comme des monuments nationaux » en vertu de la loi américaine Antiquities Act de 1906, qui autorise le président des Etats-Unis à protéger par décret « le patrimoine naturel, culturel ou scientifique significatif sur le territoire fédéral ». Pour l’occasion, l’artiste a créé MAGA, une structure qui serait l’acronyme du fameux slogan de campagne de Donald Trump « Make America Great Again » (« Rendre à l’Amérique sa grandeur »), revisité en « Make Art Great Again » (« Rendre à l’art sa grandeur »).

Volontairement discret, l’artiste fantasque, qui assure qu’il ne s’agit pas d’un projet politique, ne répond plus aux journalistes après la publication d’un premier article, explique le contact presse de MAGA. « Il préfère laisser la place au dialogue avec les autres ». Pour ce projet, l’honneur est revenu au New York Times qui a recueilli son unique témoignage le 3 janvier. « C’est une sculpture collective. C’est le peuple qui a élu cet artiste », a justifié Christoph Büchel, interrogé sur la valeur artistique des prototypes. « Il faut les protéger car leur signification peut changer à travers le temps. Ils peuvent permettre aux gens de se souvenir qu’il y a eu un jour cette idée de bâtir un mur à la frontière », poursuit-il, comparant ensuite ces pans de mur aux pierres monumentales de Stonehenge. « Il y a une vraie valeur sculpturale dans ces constructions », martèle-t-il.

Deux pans de mur
Deux pans de mur
Photo Bjarni Grimsson
© MAGA

Un appel au boycott
Si la pétition n’a réuni en un mois qu’un peu plus de 430 personnes (sur les 100 000 nécessaires pour obtenir une réponse de la Maison Blanche), l’artiste a provoqué l’ire de ses confrères en organisant des visites guidées de ces prototypes, toujours via MAGA, moyennant 25 dollars par personne. En réaction à un tweet posté par la galerie de l’artiste, Hauser & Wirth, le 29 janvier, près de 400 signataires ont protesté dans une lettre ouverte datant du 6 février. « La pétition de Büchel, la couverture du New York Times et la promotion des visites par Hauser & Wirth rend flagrant l’échec de l’art contemporain, qui se trouve davantage concerné par le spectacle et l’ironie que la lutte critique contre les structures oppressives qui ébranlent la vie des plus vulnérables », peut-on lire au-dessus d’une liste de professionnels de l’art qui s’étoffe un peu plus chaque jour. L’objectif : obtenir le retrait du projet et des excuses officielles de l’artiste, sans quoi les signataires s’engagent à boycotter la galerie Hauser & Wirth.

« Cet artiste européen, loin des préoccupations locales, a débarqué et fait son annonce. Il peut passer pour insensible », observe Kathryn Kanjo, directrice du Musée d’art contemporain de San Diego, point de départ des visites controversées, qui a publié un communiqué pour souligner qu’il n’avait cependant rien à voir avec le projet de Christoph Büchel. Même si Kathryn Kanjo « ne veut pas s’opposer au droit d’un artiste de faire son travail », elle déplore : « J’ai peur que ce projet ne distraie l’attention des problèmes véritables à la frontière ». Elle marque un temps. « Ici, le mur n’est pas une abstraction, il est bien réel. »

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