Peintre de la lumière et de la matière, Pierre Soulages est tout naturellement intervenu dans la conception de « son » musée dessiné par une agence espagnole, qu’il a voulu ouvert aux autres artistes. Pour le meilleur.
Pour un architecte, il y a un avantage et un inconvénient à imaginer un musée pour un artiste vivant. L’inconvénient est que ce dernier, fatalement, cherche à ajouter son grain de sel. Avantage : ledit grain de sel permet, parfois, de « relever » subtilement l’échange, ce qui, au final, peut s’avérer fructueux. C’est le cas précisément du Musée Soulages, à Rodez, imaginé par l’agence espagnole RCR Arquitectes (Rafael Aranda, Carme Pigem, Ramón Vilalta) et planté non loin de la cathédrale, dans le jardin du Foirail. « Les rencontres très régulières que nous avons eues avec Pierre Soulages, à Rodez, à Paris ou à Sète, ont toujours été passionnantes, raconte Gilles Trégouët, architecte-associé chez RCR Arquitectes. Soulages a une très grande connaissance de l’architecture, en particulier des matériaux et des techniques. Il est très précis et accorde une grande importance aux proportions. »
Pour les architectes de cette agence espagnole basée à Olot, en Catalogne ibérique, il s’agit, en outre, d’une rencontre plutôt « attendue ». « Plusieurs grands artistes nous inspirent depuis longtemps dans notre travail d’architecte, comme Richard Serra, Donald Judd ou Eduardo Chillida, explique Gilles Trégouët. Et Pierre Soulages en fait partie. Avant même le concours du musée, l’un de ses polyptyques, constitué de larges bandes obliques, nous avait fortement influencés pour deux projets réalisés dans la province de Gérone, en Espagne : le parc de Pedra Tosca, à Les Preses, avec sa multitude de lames de métal rouillé, ainsi que les caves Bell-Lloc, à Palamós. » Bref, bien avant d’avoir rencontré l’homme, son œuvre, quant à elle, était déjà belle et bien identifiée. Et, d’une manière ou d’une autre, celle-ci transparaît dans ce projet d’une surface totale de 6 000 m2, dont une partie, le socle, dispose de réserves semi-enterrées.
Un musée, pas un mausolée
« Dans son travail, Soulages utilise nombre de techniques diverses et le bâtiment reflète, en quelque sorte, cette variété », avance Gilles Trégouët. Sur le « socle » s’élèvent ainsi plusieurs monolithes aux gabarits différents. Intérieurement, ils génèrent en réalité des espaces distincts selon les dimensions des œuvres, donc selon les médiums : peinture sur toile ou sur papier, eau forte, lithographie, sérigraphie, bronze, inclusion sous verre… Idem avec la lumière, notion chère à l’artiste. Ainsi, en regard de chacune des techniques, la lumière, naturelle ou artificielle, dessine un parcours qui alterne des moments de quasi-pénombre, pour montrer les fragiles œuvres sur papier tels les brous de noix, et des passages allègrement éclairés, lorsqu’il s’agit d’exhiber des Outrenoirs ou les cartons grandeur nature des vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, série de panneaux de quatre mètres de haut. Les matériaux, enfin, ont évidemment fait l’objet d’une sélection soignée. « Soulages n’est-il pas un expert dans le traitement des aspects de surfaces ? », rappelle Gilles Trégouët. D’où cet acier Corten à la peau brute qui habille l’édifice à l’extérieur. Sa rugosité est appelée à se fondre dans le paysage végétal alentour, tout comme sa couleur rouge sombre, tirée d’une palette de nuances chaudes, à l’instar du grès rose dont est faite la cathédrale toute proche. Cet acier Corten n’est pas non plus sans évoquer ce fameux brou de noix dont use à l’envi Soulages, à la fois pour ses tonalités que par l’utilisation même d’une matière inhabituelle.
Sur un point, un seul, Pierre Soulages a mis son veto : la salle d’exposition temporaire. Prévue à l’origine avec une surface de 400 m2, l’artiste a exigé qu’elle soit agrandie de 100 m2 supplémentaires. « Et sa décision était non négociable », assure Gilles Trégouët. La raison ? « Soulages ne voulait absolument pas que ce musée devienne une sorte de mausolée, mais au contraire un lieu d’exposition vivant et renouvelé. » Inévitablement, le peintre a remporté la mise : « Je n’ai jamais aimé les musées monographiques, souligne Soulages. L’accent sera mis sur la création, sur la manière dont naissent les œuvres, et il sera surtout ouvert aux autres artistes, à la création contemporaine. » En clair : un écrin on ne peut plus contemporain pour un art on ne peut plus actuel.
Concours : Sur 98 candidatures internationales, le jury retient, en 2007, quatre équipes, Paul Andreu (France), Kengo Kuma (Japon), Marc Barani (France) et… RCR Arquitectes (Espagne), désignée lauréate le 5 février 2008
Surface totale : 6 000 m2
Surface d’exposition permanente : 1 700 m2
Surface d’exposition temporaire : 500 m2
Coût des travaux : 21,46 millions d’euros HT
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Pierre Soulages, un musée à son image
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Pierre soulages, un musée à son image