ENTRETIEN

Pierre Ouzoulias : « En Israël, l’archéologie est utilisée pour légitimer l’annexion territoriale »

Sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2024 - 667 mots

Le sénateur a adressé le 2 octobre une question écrite à la ministre de la Culture, Rachida Dati, au sujet des sites patrimoniaux de Cisjordanie.

Le gouvernement israélien a déposé en juillet plusieurs amendements qui étendent la juridiction de l’Autorité des antiquités d’Israël à la « Judée et Samarie » (nom donné par Israël à la Cisjordanie). Archéologue de formation, le sénateur Pierre Ouzoulias a demandé à la ministre de la Culture, Rachida Dati, « quels moyens elle entend déployer pour exiger le respect par Israël des accords internationaux dont la France est partie sur la protection du patrimoine et des sites archéologiques [de Palestine]».

Pourquoi vous saisir de ce sujet et interpeller la ministre de la Culture ?

Je suis sensible à la question de l’utilisation politique des sites archéologiques pour construire le récit national, que ce soit en Israël, en Ukraine ou au Haut-Karabagh, où l’Azerbaïdjan a détruit toute une partie du patrimoine arménien. C’est une question que je connais bien, pour des raisons personnelles. Je m’inquiète de la manière dont les États souhaitent instrumentaliser ou détruire des sites appartenant au patrimoine de l’humanité, car cette appropriation du patrimoine me semble très dangereuse.

En Cisjordanie, n’est-ce pas la continuation d’un processus déjà engagé depuis plusieurs années, y compris via des projets de colonies ?

Oui tout à fait, en Cisjordanie comme ailleurs, le gouvernement israélien considère qu’il y a une logique d’ordre historique à revendiquer l’annexion de territoires, et le patrimoine est un élément de légitimation de cette annexion progressive. Il faut aussi se souvenir qu’en Israël une partie de l’administration du patrimoine est gérée par des militaires qui ont une formation en archéologie, ce n’est pas anodin (1). Ce discours sur l’annexion territoriale et l’archéologie se voit aussi à Jérusalem-Est, où il est important de préserver le patrimoine et la diversité religieuse qui est une richesse. Plusieurs sites y sont menacés par des projets immobiliers. Pourquoi ne pas réfléchir à un statut international pour protéger le patrimoine de Jérusalem ?

Avez-vous obtenu une réponse de la ministre ? Au niveau diplomatique, quels seraient les moyens dont dispose la France pour faire pression sur le gouvernement israélien ?

Il est encore trop tôt pour que la ministre me réponde [elle dispose pour cela d’un délai de deux mois, ndlr]. Côté diplomatie, la France a eu quelques initiatives dans le domaine du patrimoine, notamment avec la fondation Aliph à Genève. La France pourrait en théorie utiliser ce levier pour interpeller Israël sur la question du patrimoine en Cisjordanie, puisque l’Aliph s’occupe du patrimoine dans les zones en conflit. Mais cette diplomatie que j’appelle « diplomatie des agences » montre régulièrement ses limites, il s’agit de structures privées bénéficiant de financements d’États tiers : selon moi la France se prive, avec ces agences, des moyens d’affirmer une voix diplomatique forte. Parmi les autres moyens d’action, il reste le droit international évidemment : la France est partie à un certain nombre de traités concernant la protection du patrimoine. Elle devrait demander au gouvernement israélien de respecter les accords internationaux à ce titre. Car les amendements [déposés en juillet par le gouvernement israélien] entérinent la violation des accords d’Oslo II (28 septembre 1995) qui régissent la gestion par les autorités palestiniennes de trois zones de Cisjordanie.

À votre connaissance, d’autres pays européens, ou des organisations internationales, se préoccupent-ils du patrimoine dans les territoires palestiniens ?

Non, le Proche-Orient n’intéresse pas les pays européens en dehors de la France, et la diplomatie européenne n’intervient quasiment pas sur ce dossier. Même les Britanniques se sont désengagés depuis longtemps. Quant à l’Unesco, sur ce dossier elle se neutralise elle-même en permanence, comme sur le patrimoine du Haut-Karabagh d’ailleurs. Je n’en espère pas d’action concrète.

Quelles suites comptez-vous donner à cette question écrite ?

Je continue à suivre ce dossier de près, et je vais adresser prochainement à la ministre une autre question écrite, sur le patrimoine religieux de Jérusalem.

(1) lire le no 625, le 19 janv. 2024, entretien avec Chloé Rosner pour son livre éd. CNRS.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°641 du 18 octobre 2024, avec le titre suivant : Pierre Ouzoulias, sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine : « En Israël, l’archéologie est utilisée pour légitimer l’annexion territoriale »

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