Départ - Musée

Johannes Huth quitte la présidence du MAD

Nouvelle démission retentissante aux Arts décoratifs

Par Jean-Christophe Castelain · lejournaldesarts.fr

Le 12 février 2025 - 1301 mots

Après le départ annoncé de la DG, c’est au tour du président de claquer la porte, dans le sillage de « l’affaire » Macel.

Le jeu de mots est trop tentant et pourtant c’est bien ce qui caractérise la situation au MAD (« fou » en anglais), le Musée des arts décoratifs. Le président du conseil d’administration, Johannes Huth a annoncé son départ mardi 10 février alors qu’il avait été élu en 2021 et que les nouveaux statuts lui permettent de rester jusqu’à 2030. Son prédécesseur Pierre-Alexis Dumas était lui resté 6 ans. Ce départ intervient alors que la directrice générale Sylvie Corréard avait elle aussi annoncé son départ en décembre dernier, lequel prendra effet fin mars.

Difficile de ne pas faire un lien entre ces deux démissions et la mise à l’écart de Christine Macel. La conservatrice du Centre Pompidou avait été nommée à la direction des musées (Arts décoratifs et Camondo) en octobre 2022 à la suite d’Olivier Gabet dont le mandat n’avait pas été renouvelé. A l’époque, tout le monde avait salué cette nomination audacieuse. Christine Macel est une figure reconnue en art contemporain, elle a ainsi assuré la direction artistique de la Biennale de Venise en 2017.

Mais ses compétences managériales ne sont semble-t-il pas au niveau de ses compétences scientifiques. De plus en plus de ses collaborateurs se plaignent à la médecine du travail de son comportement inapproprié avec eux. Au point que la médecine du travail est conduite à faire en juin 2024 un signalement, un acte administratif important qui engage la responsabilité des dirigeants du MAD. Le syndicat majoritaire UNSA est lui aussi interpellé comme l’indique au Journal des Arts Isabelle Waquet, déléguée syndicale UNSA : « Le signalement par la médecine du travail des cas de souffrance au travail liés au management de l’ex-directrice des musées a mis au jour la situation préalablement dénoncée par les représentants du personnel ». La direction du MAD demande alors au cabinet Plein Sens de mener une enquête sur le management de Christine Macel, laquelle enquête confirme les griefs du signalement.

S’ensuit alors un bras de fer entre Johannes Huth et Sylvie Corréard (Johannes Huth n’a pas répondu à nos multiples demandes d’entretien). Il se murmure que le premier qui avait imposé à la seconde le recrutement de Christine Macel ne veut pas se déjuger. Un compromis est trouvé et une transaction est signée : Christine Macel doit laisser son poste de directrice des musées pour celui de conseillère scientifique et artistique aux attributions non définies, auprès du président. Christine Macel a également interdiction de parler à la presse ce qui explique qu’elle n’a pas répondu à nos demandes. Si la centaine d’agents de son ex-équipe est soulagée par ce départ, les agents ne comprennent pas pourquoi elle bénéficie d’une telle faveur, au moins jusqu’en octobre 2025 et la fin de sa mise en disponibilité par son employeur d’origine, le Centre Pompidou. « Les salariés n’ont pas compris pourquoi l’ex-directrice des musées a été maintenue au sein des Arts Décoratifs » relève Isabelle Waquet.

La conservatrice du MAD Bénédicte Gady, lui succède pour un mandat renouvelable de 9 mois, le temps de trouver un nouveau titulaire du poste. « La nomination de Bénédicte Gady, en tant que directrice des musées par intérim, a contribué à apaiser la situation », commente la déléguée UNSA. « Les projets pour 2025 autour du centenaire de l’Art déco portés par Bénédicte Gady sont enthousiasmants » souligne Sylvie Corréard au JdA. La même Sylvie Corréard dont l’UNSA dit « qu’elle a redonné sa place au dialogue social ».

Fin de l’histoire ? non ce n’est que la fin de la première séquence. Le bras de fer entre Johannes Huth et Sylvie Corréard a laissé des traces et cette dernière annonce en décembre dernier qu’elle quittera le MAD en mars. Les relations entre la direction générale et le conseil d’administration sont particulières au MAD en raison de l’histoire du musée. Le MAD a le statut d’association avec un conseil d’administration et un bureau plus décisionnels que dans les musées nationaux. C’est le président du CA qui nomme le ou la directrice générale mais doit avoir l’accord de celle-ci pour la nomination du directeur / directrice des musées qui est son adjoint / adjointe. L’État n’est pas pour autant absent, les relations entre lui et le MAD sont régis pas une convention qui a été renouvelée pour 10 ans en 2022. Trois représentants du ministère siègent au CA.

Entre-temps le ministère de la Culture a demandé à l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) de se pencher sur le fonctionnement du MAD. Le rapport n’est pas public, mais selon différentes sources, les inspecteurs formulent plusieurs recommandations ayant trait au fonctionnement du conseil d’administration, à la nécessité de disposer d’un Projet scientifique et culturel (PSC) et de renforcer la direction générale. Johannes Huth y a-t-il lu un désaveu de sa politique ? Y a-t-il eu des pressions « amicales » de membres influents du bureau et du CA inquiets de la tournure des événements ?

Outre son statut particulier, le MAD entretient un rapport complexe avec son écosystème au croisement de la mode et du mécénat des grandes entreprises. Bien que disposant d’une subvention de fonctionnement de 16 M€ (et de 1,20 M€ en investissement, chiffres 2025), le MAD doit trouver quasiment deux fois plus d’argent pour couvrir les charges de fonctionnement des deux musées et de l’école. Et lorsque la fréquentation n’est pas au rendez-vous comme ce fut le cas en 2023, les recettes de billetterie chutent générant un déficit conséquent de près de 3 millions d’euros.

Les Arts décoratifs doivent trouver chaque année entre 3 et 5 M€ d’euros en partenariat et mécénat afin de boucler le budget de la programmation. C’est ici que le conseil d’administration joue son rôle. Hélène David-Weill, issue d’une famille de banquier a longtemps présidé le CA. Pierre-Alexis Dumas est le directeur artistique d’Hermès, Johannes Huth dirige les filiales européennes et africaines de KKR, une société d’investissement américaine qui gère des centaines de milliards de dollars d’actifs. Jean-Jacques Aillagon n’a fait qu’un passage de 6 mois à la présidence (non rémunérée) en 2013.  « Cette maison est singulière, elle a une histoire particulière et elle est de ce fait très attachante ; elle doit beaucoup à ses grandes familles de mécènes qui pour certaines lui sont fidèles depuis de très nombreuses années en France et outre-Atlantique. C’est exceptionnel et je sais combien les administrateurs sont attachés à préserver ce joyau » tient à souligner Sylvie Corréard. C’est ici aussi que la direction des musées joue un rôle important en entretenant des relations soignées avec les mécènes, ce dont Christine Macel n’avait semble-t-il pas pris la pleine mesure.

L’équipe de direction du MAD se retrouve aujourd’hui avec principalement des suppléants. Johannes Huth a rendu son tablier et la présidence est assurée provisoirement par l’actuel vice-président, l’homme d’affaires Jacques Bungert. Les musées sont dirigés par intérim par Bénédicte Gady et Sylvie Corréard va partir dans quelques jours sans successeur désigné.

Cette crise de gouvernance peut-elle ébranler une institution centrale dans le paysage muséal national ? Plusieurs de nos interlocuteurs nous ont fait part de la solidité du projet et du collectif. Pour Isabelle Waquet, « les salariés sont très attachés à l'institution ». Sylvie Corréard défend son bilan : « En six ans, j’ai contribué à mettre l’institution en adéquation avec les défis considérables de son modèle économique très particulier. Les résultats sont là et je n’ai aucun doute sur le fait que la nouvelle phase qui s’ouvre va permettre encore de les amplifier et de les faire croître : fréquentation augmentée et diversifiée, développement international, projets patrimoniaux d’envergure ». Il est vrai que les deux musées (le musée Nissim de Camondo est fermé depuis août 2024) ont enregistré une fréquentation de près de 800 000 visiteurs en 2024 soit la deuxième meilleure performance de son histoire, de quoi rétablir les comptes 2024. La célébration du centenaire de l’Art déco devrait conforter ces bons résultats.

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