Le Palazzo Grassi offre « le premier véritable panorama historique sur la civilisation étrusque » présenté en Italie, selon le commissaire Mario Torelli. Après les Phéniciens, les Celtes, les Grecs d’Occident et les Mayas, l’histoire étrusque y est abordée avec plus de 600 pièces qui mettent en valeur « la façon dont un peuple subalterne est devenu un peuple hégémonique en Italie grâce au métal et à une idéologie inspirée du modèle grec ».
Quelles limites temporelles avez-vous choisi pour cette exposition ?
L’ampleur chronologique s’inscrit parfaitement dans le cadre traditionnel du palais Grassi dont les rétrospectives embrassent l’histoire des civilisations de leur naissance à leur disparition. L’histoire des Étrusques est abordée en suivant trois grandes phases : formation, apogée et déclin – une conception simple qui répond cependant à l’évolution chronologique des peuples. Ainsi, la civilisation étrusque apparaît de la fin de l’âge du bronze (XIe siècle av. J.-C) jusqu’à la guerre sociale de Rome en 90 av. J.-C.
Quelles sont les origines de ce peuple ?
Il y a dans cette exposition une introduction très symbolique : une pièce célèbre que l’on n’a, par ailleurs jamais vue en Italie, la stèle de Lemno datée du VIe siècle av. J.-C. Si elle ne fait pas proprement partie de l’histoire des Étrusques, elle appartient néanmoins à un peuple qui parlait la même langue, et qui s’est formé dans l’Égée et non dans la péninsule italienne. Grâce aux sources grecques, nous savons que les Tyrrhéniens étaient dispersés dans tout le nord-est de l’Égée. Cette stèle révèle une énigme historique. Pour ma part, je suis convaincu que les Tyrrhéniens sont les ancêtres des Étrusques. Quoi qu’il en soit, ces civilisations, douées d’une habileté extraordinaire dans l’art de la métallurgie – particulièrement du fer qui a ensuite constitué la grande richesse des Étrusques en Italie – ont des origines communes.
Est-ce là une thèse unanimement partagée ?
D’autres experts soutiennent la théorie contraire, selon laquelle les peuples de l’Égée sont issus de la lignée Tyrrhénienne. Le doute est insoluble. Comme le disait Theodor Mommsen, le plus important n’est pas de connaître l’origine des Étrusques, mais leur histoire.
Quelle est la ligne directrice de l’exposition ?
“Les Étrusques” entend mettre en exergue la notion de pouvoir et les instruments de son expression : le métal. Les sources s’accordent pour attribuer à ce peuple force et splendeur à l’époque archaïque et classique. Il reste toutefois à comprendre comment, d’une marginalité reconnue et d’une sujétion des proto-Étrusques face aux Latins, la civilisation est passée à une véritable hégémonie culturelle, politique et économique dans presque toute l’Italie. Cette exposition tente pour la première fois de donner une explication à ce phénomène : à la fin de l’âge du bronze surviennent des changements fondamentaux tels que la naissance de la propriété privée de la terre et la formation du noyau familial comme cellule fondamentale de la société. La structure de l’habitation et de l’établissement devient sédentaire. Les objets funéraires de l’époque de Villanova insistent grandement sur les attributs militaires de l’homme et les aspects liés à la production textile chez la femme. Dans un système pourtant égalitaire, on remarque, au début du VIIIe siècle, des différences évidentes de richesse : c’est l’aube d’une articulation sociale de laquelle naîtra l’aristocratie dirigeante. L’histoire des Étrusques a été ainsi décidée par quelques centaines de personnes par génération et ce, pendant des siècles.
Une oligarchie en quelque sorte...
En effet, lorsque les républiques ont vu le jour au Ve siècle, le gouvernement a pris une forme oligarchique. Cela a été possible par la consolidation, entre le VIIIe et le VIe siècle, de cette classe aristocratique puissante qui a pour fondement la terre et la métallurgie. Bien entendu, à l’agriculture et au travail des métaux s’ajoutent également les échanges commerciaux et la guerre – des thèmes marquant l’exposition avec une série de références aux sources classiques. On aborde donc les sujets liés à l’idéologie et aux formes sous lesquelles la société se représente, le rôle de la femme dans la société, le culte nobiliaire des ancêtres, la religion, et notamment la religion du pouvoir : l’augure – un emprunt entièrement latin – et l’aruspice – variante étrusque de la divination, provenant de cultes orientaux. Les fêtes de mariage, de victoire, les banquets funéraires et la chasse constituaient également une activité cérémonielle importante de l’aristocratie. À ce stade intervient un élément tout à fait nouveau : la rencontre avec la culture grecque et l’hellénisation de la société. Cela commence par le vin, puis se développe avec le symposium et l’adoption des coutumes et du style de vie, aliments et boissons. L’étape suivante est l’anthropomorphisme et l’hellénisation complète du panthéon en parant tout simplement les divinités étrusques d’habits grecs.
La civilisation étrusque a-t-elle adopté certaines divinités grecques ?
Essentiellement Apollon et Artémis, les divinités de Delphes. Mais les Étrusques ont surtout fait leur les mythes grecs de Jason ou du Minotaure, par exemple. Il s’agit de l’unique cas d’adoption totale d’une civilisation étrangère et en même temps, de maintien des traditions propres. Le deuxième étage du palais Grassi est justement consacré aux changements engendrés par l’hellénisation de la culture étrusque puis il aborde l’histoire de la civilisation urbaine.
Vous avez reconstitué pour l’occasion des objets qui ont disparu au cours des fouilles.
L’épisode majeur est certainement la reconstruction en galvanoplastie du char de Castel San Mariano, près de Pérouse, retrouvé lors d’une campagne menée dans la première moitié du XIXe siècle. La découverte d’une grande tombe princière à cette époque s’est malheureusement accompagnée du pillage et de la dispersion des pièces entre Munich et Pérouse.
Par rapport aux expositions et aux études scientifiques réalisées à ce jour, quel renouveau peut apporter cette exposition ?
Comparée aux grandes rétrospectives qui l’ont précédée, à Zurich-Milan en 1955, à Florence en 1985, à Florence en 1985 et Grand Palais à Paris en 1992, “Les Étrusques” est le premier véritable panorama historique sur la civilisation en question. De nombreux aspects surévalués, notamment pendant l’entre-deux-guerres, lorsque l’Étrurie semblait l’un des grands chapitres de l’anti-classique, expression authentique du génie italique, y sont démystifiées. Cependant, l’importance capitale des “Étrusques” réside dans l’explication jamais tentée auparavant de la façon dont un peuple subalterne est devenu un peuple hégémonique en Italie grâce au métal et à une idéologie inspirée du modèle grec.
- Les ÉTRUSQUES, jusqu’au 1er juillet 2001, Palazzo Grassi, San Samuele 3231, Venise, tél. 39 041 523 16 80, tlj 9h-19h, www.palazzograssi.it
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Mario Torelli : Les Étrusques font main basse sur la lagune
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°116 du 1 décembre 2000, avec le titre suivant : Mario Torelli : Les Étrusques font main basse sur la lagune