L’Italie demande au Royaume-Uni la restitution de centaines d’objets appartenant à un antiquaire mis en liquidation.
LONDRES - L’Italie exige le retour immédiat d’un important lot d’antiquités entreposées à Londres, provenant du fonds de l’antiquaire déchu Robin Symes (lire l’encadré). Rome menace de poursuivre en justice BDO, la société britannique chargée de liquider les biens, si elle n’est pas informée d’ici à la fin janvier de la localisation de chaque pièce de cette collection et du nom de leur propriétaire actuel. Maurizio Fiorilli, procureur de la République italienne chargé de l’affaire Symes, vient d’adresser un dernier avertissement à l’entreprise de liquidation, assorti d’une liste détaillée de quelque 700 objets antiques, que l’Italie estime être sortis du pays de manière frauduleuse et dont elle réclame la restitution.
Si la société britannique BDO persiste à ne pas informer l’Italie du sort de chacun de ces objets, Maurizio Fiorilli transmettra le dossier au procureur à la Cour d’assises de Rome. Selon son évaluation de la situation, celui-ci pourrait alors lancer des poursuites contre BDO au Royaume-Uni, en invoquant le Dealing in Cultural Objects (Offences) Act, la loi sur le trafic illicite promulguée en 2003. La peine maximale encourue est de sept ans de prison assortie d’une amende d’un montant illimité.
Cette manœuvre de la justice italienne intervient alors qu’enfle la rumeur dans le milieu de l’archéologie et du marché de l’art au sujet de BDO, chargée de liquider les biens de Robin Symes Ltd pour le compte du fisc britannique (Her Majesty’s Revenue and Customs, HMRC) – la Couronne souhaite recouvrir le montant des impôts dus par Robin Symes Ltd. BDO aurait ainsi tenté de revendre ces biens au Moyen-Orient, en particulier à Abou Dhabi et ses musées en construction. Dès 2011, Maurizio Fiorilli a fait savoir aux avocats de BDO que si ces rumeurs étaient avérées, la réaction italienne serait immédiate et les négociations entre le pays et l’entreprise de liquidation en pâtiraient. Si BDO n’a pas souhaité apporter de commentaire, le porte-parole d’HMRC a déclaré : « Pour des raisons de confidentialité, HMRC ne commente pas les affaires des entreprises privées. Notre but est de collecter, aussi efficacement que possible, les impayés et de prévenir la détérioration des situations, avec les moyens à notre disposition. »
Une liste italienne de biens pillés
Chez les archéologues, c’est la consternation. « C’est scandaleux de la part du gouvernement britannique ; ils vendent une par une [les antiquités de Robin Symes] pour rembourser des impayés », s’insurge Christos Tsirogiannis, archéologue grec basé au Royaume-Uni qui intervient en faveur du gouvernement grec dans sa propre enquête sur les antiquités dans la collection Symes. Christos Tsirogiannis affirme avoir demandé à BDO l’accès à la collection dans le cadre de sa recherche doctorale, sans succès : « Il serait temps que les gouvernements concernés par l’affaire Symes passent des annonces officielles pour que l’on puisse enfin connaître la vérité sur les points clés : pourquoi les objets identifiés par l’Italie ne sont-ils pas rendus à l’Italie ? Y a-t-il d’autres gouvernements concernés et réclamant des objets ? Si oui, qui sont-ils et quels sont les objets ? »
L’Italie a l’œil sur la collection Symes depuis 2007 dans le cadre de ses négociations avec BDO. Avec l’appui du ministère de la Culture britannique, les deux parties s’étaient accordées pour enquêter sur les objets. Des archéologues italiens sont venus à Londres inspecter les pièces et leurs conclusions ont débouché sur une liste de pièces présumées pillées en Italie – des bijoux, des douzaines de vases de style grec, des bustes en marbre, une grande statue en terre cuite d’une déesse tenant une colombe et une grenade, un buste en bronze d’Alexandre le Grand et plusieurs statuettes en bronze dont une de Zeus et une d’Aphrodite.
L’Italie n’a aucune nouvelle de BDO depuis qu’elle lui a fourni une liste complète le 3 août 2012. Le liquidateur aurait cependant réclamé des preuves supplémentaires. Des sources proches des enquêteurs italiens indiquent que l’Italie en a apporté suffisamment pour soutenir sa demande, et que c’est au tour du liquidateur de prouver que les biens n’ont pas été pillés.
Robin Symes et Christo Michaelides (décédé en 1999) formaient un duo d’antiquaires londoniens qui a fait fortune en vendant à prix d’or des pièces antiques dont la plupart provenaient du trafic illicite. Robin Symes est apparu au grand public lors du procès-fleuve qui s’est tenu à Rome en 2005, dans lequel sa fidèle cliente Marion True, conservatrice au Getty Museum de Los Angeles, était accusée d’avoir tenu un rôle actif dans le trafic d’œuvres pillées sur le territoire italien.
À Londres, Robin Symes disposait d’une trentaine d’entrepôts où étaient conservés 17 000 objets antiques d’une valeur totale de 125 millions de dollars. En 2003, l’antiquaire a été poursuivi par la famille Michaelides avant d’être déclaré en faillite. En janvier 2005, il a été jugé coupable d’outrage à la cour à Londres pour avoir menti sous serment et avoir poursuivi son commerce sans prévenir la cour. Pendant le procès, Robin Symes a par exemple vendu une statue égyptienne d’un Apollon (4,5 millions de dollars) et une statue d’Akhenaton (8 millions de dollars) au cheikh Saud Al-Thani du Qatar. Il a été condamné à deux ans de prison avant d’être relâché au bout de neuf mois pour bonne conduite.
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L’Italie réclame ses biens
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : L’Italie réclame ses biens