Le Centre culturel italien vient d’exposer un bronze dont la composition reprend un marbre de Jean Bologne (1529-1608). Les circonstances de la découverte de la sculpture et son périple dans le monde sont pour le moins surprenants. Derrière l’indiscutable intérêt scientifique se cache une opération qui pourrait être commerciale. Le débat sur sa date de réalisation revêt un enjeu considérable quant à sa valeur sur le marché de l’art. Enquête.
PARIS - La Vénus en bronze exposée à Paris, au Centre culturel italien, du 17 au 20 janvier, est présentée comme une « découverte » qui n’est pas sans poser un certain nombre de questions. Cette sculpture serait une fonte réalisée sous la direction de Jean Bologne – Giambologna – (né à Douai en 1529 et mort à Florence en 1608) ou bien après la mort de l’artiste. L’exposition était organisée par le « conseiller en art » et fils de galeriste munichois Alexander Rudigier, qui a entrepris sur le sujet un travail imposant avec l’aide de Blanca Truyols. Les premiers résultats ont été présentés au Centre André Chastel en 2014 et sont aujourd’hui publiés dans le dernier volume du Bulletin monumental de la Société française d’archéologie avec un avant-propos de Bertrand Jestaz.
Mystères sur la provenance
Dans son essai, Alexander Rudigier indique : « Dans les années 1980, fut découverte aux environs de Paris une grande statue de bronze de Femme nue à sa toilette, qu’on peut considérer comme une Vénus. Selon son propriétaire précédent, un ferrailleur qui l’avait acquise dans les années 1960 pour le poids du métal, elle provenait “d’un château proche de Paris où la reine Christine de Suède avait passé une nuit”. Cette précision ne peut désigner que Chantilly – à exclure pour des raisons évidentes – ou Chantemesle (…) Il y a peu de chance pour qu’on puisse jamais prouver que cette Vénus en provient, mais on doit retenir que cette provenance est plausible, la qualité de l’œuvre étant conforme à ce qu’on peut présumer du goût de Hesselin. » (p. 299). Louis Hesselin (1602-1662) est bien connu pour sa collection de bronzes italiens, dont trente-trois pièces furent acquises par la Couronne à ses héritiers. La description des sculptures qui ornaient le jardin ne figure pas à l’inventaire après décès, mais c’était une pratique courante. Cet éventuel passage dans les collections de Louis Hesselin, qui ajoute du pedigree à l’œuvre ne repose ainsi que sur le seul témoignage du ferrailleur.
Par ailleurs, lors de la présentation à la presse à Paris, Alexander Rudigier a omis de préciser que le bronze n’était pas tout à fait inédit. Il fut en effet publié en 2002 (mais à la décharge d’Alexander Rudigier, ceci est précisé dans les notes du Bulletin monumental). Sept photographies sont reproduites en effet dans la notice consacrée au marbre de Giambologna, dont le bronze reprend la même composition et qui est aujourd’hui au Getty Museum (Peggy Fogelman, Peter Fusco avec Marietta Cambareri, Italian and Spanish Sculpture : Catalogue of the J. Paul Getty Museum Collection, Los Angeles, 2002, p. 84-96). Peggy Fogelman, alors conservatrice des sculptures au Getty et aujourd’hui directrice du Isabella Stewart Gardner Museum n’a pas trouvé le temps de répondre à nos questions.
Le Getty avait eu tout le loisir de l’étudier, puisque le bronze y est resté sept ans, comme nous l’a confirmé par téléphone le marchand parisien qui l’a découverte dans les années 1980 et qui l’avait envoyé à Los Angeles quelques années plus tard lorsque le conservateur des sculptures, Peter Fusco, prévoyait de faire une exposition autour des deux œuvres, le marbre et le bronze. Jean-René Gaborit, responsable du département des sculptures du Musée du Louvre de 1980 à 2004, a assuré au Journal des arts qu’« avant 2004, il n’y a jamais eu ni proposition ni demande de certificat au Louvre ». Mais l’œuvre était alors considérée comme un bronze suédois du XVIIe siècle, dont la valeur ne nécessitait pas ces démarches, d’autant plus que la réglementation en vigueur n’était pas la même qu’aujourd’hui.
Mystères sur sa date de réalisation
Ce bronze, haut de 112 cm, porte sur son socle décoré l’inscription « ME FECIT. GERHADT MEYER. HOLMIAE » (« œuvre de Gerhard Meyer à Stockholm »). Sous le pied de la figure est inscrit en lettres romaines « ANNO : 1597 (ou 1697) », puis en lettres cursives « Den 25. Novembe (sic.) ».
Si dans sa notice, Peggy Fogelman, la datait de 1697, comme le laisse penser d’ailleurs à première vue la signature. Elle faisait néanmoins preuve d’une grande vigilance dans son appareil de note précisant que la date pouvait aussi être lue « 1597 ». Elle citait le courrier d’une universitaire qui estimait que le style de l’écriture était plus proche de 1700 que de 1600, mais elle expliquait que les études de thermoluminescence réalisées par le laboratoire des musées de Berlin penchaient en faveur d’une datation autour de 1600 et que le bronze n’avait pas pu être fondu à partir du marbre. Les arguments en faveur d’une datation en 1697 étaient solides, puisque le marbre de Giambologna arriva en Suède en 1632 et la présence à Stockholm à la fin du XVIIe siècle d’un Gerhard Meyer, membre d’une célèbre dynastie de fondeurs d’origine allemande, y était attestée.
Au contraire, pour Alexander Rudigier, l’œuvre est sans aucun doute de 1597. Il démontre, sources à l’appui, qu’un fondeur allemand, Gerhard Meyer Ier, ancêtre du premier, était présent à Stockholm en 1592-1595, puis à Riga, et sa présence à Florence ensuite pourrait être attestée par une mention d’un « Gerardo Fiamingho » en février 1598 dans un document mis à jour. Pour lui, « le fait que le modèle de la Vénus ne pouvait pas se trouver ailleurs qu’à Florence impose en effet de croire que ce Meyer y était en 1597 » (p. 303). Outre l’analyse de thermoluminescence réalisée « à la demande du Getty Museum » à Berlin en 1996 » (p. 347, note 57), il en mentionne une autre effectuée en 2008 par l’Oxford Authentification Ltd, et une analyse technique du bronze au Rijksmuseum en 2013, mais sans pour autant décrire la composition du noyau de fonte testé.
De son côté, Blanca Truyols a réalisé un solide travail à l’Archivio di Stato de Florence en réunissant et en transcrivant tout un ensemble de lettres envoyés par des proches des Médicis qui évoluaient dans l’entourage d’Henri IV en France. Elle met en lumière l’intérêt marqué du roi pour ses jardins et toute cette série d’échanges et de cadeaux entre les cours de France et de Florence. Deux bonzes faisaient partie d’un premier envoi en 1598 : un Triton et un Mercure, deux autres dont le contenu n’était pas spécifié en 1599, puis une Vénus et un Bacchus « faits par Jean Bologne » lors d’un troisième envoi autour de 1600, selon les notes de fra Domenico Portigiani, auteur des fontes des premier et dernier envois. Le lien entre la « nouvelle » Vénus en bronze et ces cadeaux diplomatiques n’est pourtant pas si évident. Certes un autre fondeur fut chargé des sculptures du deuxième envoi, mais aucune information tangible ne permet pour autant d’indiquer qu’il s’agissait bien de ce bronze et cela reste comme une hypothèse.
La datation de l’œuvre n’est pas qu’un enjeu d’histoire de l’art, la valeur du bronze est infiniment supérieure selon qu’il date du XVIe siècle ou du XVIIe.
Mystères sur les intentions du ou des propriétaire(s)
L’essai d’Alexander Rudigier manque un peu de rigueur, au moins dans sa forme, et il est avant tout une réponse au catalogue du Getty. Il indique par exemple, que « La Vénus de 1597 est donc reconnue aujourd’hui par une majorité de chercheurs comme une œuvre autographe de Jean Bologne » (p. 315), dont il donne la liste en note (142, p. 351) : Charles Avery, qui a écrit visiblement une notice non publiée à son sujet, Francesco Calioti, David Ekserdjian, Bertrand Jestaz, Claudia Kryza-Gersch, Lars Olof Larsson (sa démonstration est publiée en appendice), Philippe Malgouyres, Nicholas Penny, Eike D. Schmidt et Jeremy Warren. Tous ne sont d’ailleurs pas spécialistes de Giambologna. Il manque d’ailleurs les avis des deux commissaires de l’exposition de 2006 consacrée à l’artiste au Bargello et au Kunsthistorisches Museum : Beatrice Paolozzi Strozzi et Dimitri Zikos. Contacté par Le Journal des Arts, ce dernier nous a écrit qu’il ne souhaitait pas s’exprimer à propos d’une œuvre qui est sur le marché de l’art.
La présentation de l’œuvre au Centre culturel italien était pour le moins ambiguë, puisqu’elle a toutes les caractéristiques d’une opération à caractère commercial, même si elle n’était pas dénuée d’intérêt scientifique. Si la thèse assez convaincante défendue par Alexander Rudigier, qui serait par ailleurs propriétaire en partie de l’œuvre, est juste, et que l’œuvre date véritablement du XVIe siècle, la démarche et surtout la fable selon laquelle un propriétaire anonyme français lui aurait confié ces recherches pendant une dizaine d’années et qu’elle ne serait pas en vente, n’était pas forcément utile.
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L’intrigante Vénus de Giambologna présentée à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Giambologna, Vénus assise, 1597, bronze. © Photo : Georg Steinmetzer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°472 du 3 février 2017, avec le titre suivant : L’intrigante Vénus de Giambologna présentée à Paris