Nombre de sculpteurs des années 1920-1930 ont les faveurs des collectionneurs même s’ils n’atteignent pas toujours les prix de l’art moderne.
Certains sculpteurs modernes de l’entre-deux-guerres sont souvent rattachés au marché de l’Art déco, plus qu’à celui de l’art moderne. C’est le cas de Joseph Csaky et Gustave Miklos, non seulement parce que leurs œuvres d’inspiration cubiste ont été exposées chez Jacques Doucet, mais aussi parce que ces artistes ont été également les artisans d’éléments de décor comme des tapis, des bas-reliefs ou des pièces de mobilier en collaboration avec des ensembliers-décorateurs. Pour Jacques Lipchitz qui a travaillé avec Pierre Chareau, les frères Martel avec l’architecte Robert Mallet-Stevens, c’est la même chose. Et parce qu’elles étaient régulièrement présentées avec les meubles de Jacques-Émile Ruhlmann, les sculptures de Joseph Bernard, François Pompon, Georges-Lucien Guyot, Édouard-Marcel Sandoz, et quelques autres dont Rembrandt Bugatti, pourtant décédé en 1916, sont très prisées des collectionneurs d’Art déco et donc fortement associées à ce marché. De la même façon, même si elles intéressent les amateurs d’art moderne, les œuvres stylisées signées Chana Orloff, Jean Lambert-Rucki ou encore Ossip Zadkine se trouvent fréquemment dans les ventes d’Art déco dont l’audience ciblée est plus restreinte. « Ce n’est pas un problème de présenter un bronze de Csaky dans une vente d’Art déco plutôt que dans une vente d’art moderne, et inversement. Avec le marketing croisé et la publicité transversale, les deux pools de collectionneurs sont parfaitement informés de ce qui passe sur le marché », note Andrew Strauss, directeur du département Art impressionniste et moderne à Paris chez Sotheby’s. Le seul problème est la rareté des pièces. Composition cubiste (1919), sculpture de Csaky en pierre de 80 cm, qui a été adjugée 60 500 livres (77 000 euros) le 30 novembre 1988 à Londres chez Sotheby’s, reste le record pour l’artiste. Si cette pièce majeure repassait sur le marché aujourd’hui, elle vaudrait plus de 400 000 euros.
Seul Miklos dont l’œuvre reste très étiqueté « Art déco », est vraiment prisonnier de cette appellation. Ce qui ne l’empêche pas d’atteindre des prix importants. Jeune fille, bronze à patine noire transparente de 1927 de 121 cm, s’est envolée au prix record de 1,6 million d’euros 1er juin 2005 à Drouot (SVV Camard), au profit du musée privé des Arts décoratifs du château de Gourdon (Alpes – Maritimes). « Cette sculpture connue, publiée et exposée, était une pièce unique, encore jamais passée en vente publique. Le vendeur l’avait acquise directement auprès de l’épouse de Miklos. De plus, l’artiste avait ajouté sa patte à la patine en peignant délicatement les traits du visage de la jeune fille d’un noir sombre », souligne le spécialiste Jean-Marcel Camard. Une autre rare pièce unique de Miklos, Tête de reine (1929), bronze à patine noire de 70 cm, provenant de la collection parisienne Dray, est montée à 303 200 euros le 8 juin 2006, à Paris, chez Christie’s. Dans la même vente, plusieurs bronzes de Bugatti, très appréciés des amateurs d’Art déco, ont réalisé de belles enchères tel Éléphant d’Asie, parti à 908 000 euros, un record à l’époque. Les enchères sont montées à 2,6 millions de dollars (1,7 million d’euros) pour un Grand tigre royal du sculpteur, offert lors de la vente d’art moderne de prestige du soir le 6 mai 2008, à New York, chez Christie’s.
À côté de la statuaire moderne Art déco, pullulent sur le marché nombre de sculptures figuratives chryséléphantines (en bronze et ivoire). Représentant le plus souvent des danseuses, elles sont réalisées en grand nombre durant la période Art déco, dans un registre purement décoratif. Depuis quelques années, ce marché explose face à l’engouement d’acheteurs russes, en particulier pour le leader du genre, Demeter Chiparus. Une Civa (vers 1926) qui a été emportée par un particulier russe pour 314 400 euros le 14 décembre 2006, à Paris, chez Sotheby’s, a atteint le record pour l’artiste, avant d’être détrônée par un groupe de Girls, adjugé 936 000 dollars (595 000 euros) le 17 avril 2007, à New York, chez Sotheby’s.
Reste que les grands noms de la sculpture moderne demeurent, y compris dans la période de l’entre-deux-guerres, Pablo Picasso, Alexander Archipenko, Alberto Giacometti, Henri Laurens, Alexander Calder, ou encore Henry Moore, et bien sûr Constantin Brancusi dont l’Oiseau dans l’espace (1922-1923), pièce unique en marbre, a atteint 27,4 millions de dollars le 4 mai 2005, à New York, chez Christie’s.
Né à Budapest en 1888, Gustave Miklos s’installe à Paris en 1908. Il est repéré en 1920 par le couturier et mécène, Jacques Doucet, pour lequel il créera des sculptures (petits animaux s’affrontant, lions chenets et chien tournant). Il rejoint l’Union des Artistes Modernes (UAM) dès sa création en 1930. À partir de 1923, il crée des œuvres aux formes architecturées telle la Tour architecturale (1924) (ill. ci-contre), œuvre tout à fait emblématique des avancées esthétiques de l’Art déco. Cette sculpture synthétise les innovations artistiques du début du XXe siècle que sont la simplification des formes et leur géométrisation. « La sculpture s’affranchit de la représentation classique de la figure et se fait abstraite pour renouer de près ou de loin avec sa vocation originelle : l’architecture. Ici, la sculpture est une évocation d’édifice d’allure futuriste (on pense au film Métropolis de Fritz Lang...), elle se fait architecture, commente l’antiquaire parisien Robert Vallois. Si les acquis du cubisme sont bien là, il serait cependant réducteur de qualifier cette œuvre de cubiste. L’élégance de sa ligne élancée, le raffinement des détails et l’importance des motifs d’inspirations diverses, la recherche en somme de l’harmonie par-dessus tout, signe l’appartenance de l’œuvre au courant Art déco. L’artiste se doit d’être d’abord un artisan, soucieux de la qualité technique de son œuvre. Il faut ainsi rappeler que Miklos excellait autant dans la taille directe que l’émaillage, la dorure ou encore la gravure. »
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Les succès de la sculpture Art déco
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Abonnez-vous dès 1 €Pierre Dumonteil, antiquaire, galerie Dumonteil, Paris
Quels sont les artistes majeurs de la sculpture animalière de l’entre-deux-guerres, leurs modèles iconiques et leur prix ?
Parmi tous les artistes de cette période, je distingue quatre sculpteurs fondamentaux. Le plus important est François Pompon, père fondateur avec Rembrandt Bugatti, de la sculpture moderne animalière. Dès 1905, il opta pour une simplification des formes. Mais ce n’est qu’en 1922, année où il présente son Ours Blanc au Salon d’automne, que sa carrière a été lancée. Pour ce sujet célèbre, il y existe trois qualités d’édition. Pour une épreuve fondue du vivant de l’artiste, les prix montent à plus de 100 000 euros. Les fontes posthumes d’avant 1960, se négocient de 60 000 à 90 000 euros. Parce que pour les fontes posthumes plus récentes se pose souvent la question de l’authenticité, il est indispensable de se faire assister par un professionnel compétent et fiable. Georges-Lucien Guyot est sans conteste le plus important artiste après le « Maître du Lisse », un merveilleux sculpteur et aussi un immense dessinateur. Ses représentations d’ours, de singes et de fauves sont très recherchées telle la Panthère humant (fondue par Susse entre 1925 et 1950), l’un de ses modèles emblématiques pour laquelle il faut prévoir environ 30 000 euros. Charles Artus, dont des œuvres sont au Metropolitan Museum of Art de New York depuis les années 1930, mérite la troisième place, notamment avec ses Trois Ibis, pièce très représentative de son style, valant très régulièrement plus de 60 000 euros. Enfin, citons Édouard-Marcel Sandoz, notamment pour sa Tête de Jaguar noire et or ainsi que ses différentes représentations de singes, dont les rares pierres taillées dépassent très allègrement les 60 000 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Les succès de la sculpture Art déco