À cinq mois de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, les incertitudes politiques et la peur de futures restrictions imposées à l’exportation ont poussé les collectionneurs de la colonie à expédier de grandes quantités d’œuvres d’art et d’antiquités à l’étranger. Ces mouvements ont pratiquement échappé à tout enregistrement, mais la valeur des pièces \"déplacées\" atteindrait l’équivalent de 9 milliards de francs, ce qui constituerait l’un des plus grands exodes d’œuvres d’art de l’histoire récente.
HONG KONG - De source bien informée, les principaux collectionneurs de Hong Kong auraient discrètement expédié à l’étranger plus des trois quarts de leurs œuvres : "Le mouvement s’est amorcé il y a cinq ans et est allé crescendo au cours des six derniers mois. Les propriétaires ont voulu profiter de leurs œuvres d’art jusqu’au dernier moment, mais ils comprennent maintenant qu’il est prudent de les faire partir." Au terme de la Joint Declaration sino-britannique, l’ancienne colonie deviendra une "Région administrative spéciale" de la Chine à partir du 1er juillet et conservera pendant cinquante ans au moins le système économique et social dont elle jouit actuellement. En théorie du moins, les collectionneurs devraient rester libres d’exporter leurs œuvres d’art, mais ils redoutent apparemment que la Chine n’applique à Hong Kong sa législation draconienne sur les antiquités. Dans ce cas, les œuvres de plus de deux siècles ne pourraient être exportées qu’avec l’autorisation du State Bureau of Cultural Relics de Pékin, et les exportations clandestines seraient passibles de la peine de mort. Pour l’heure, les restrictions à l’exportation sont minimes à Hong Kong. Même si les antiquités de plus d’un siècle ont parfois besoin d’une licence d’exportation, celle-ci est généralement facile à obtenir. Les Hongkongais ayant toujours eu le désir de conserver des liens étroits avec les splendeurs de l’antique civilisation chinoise, la colonie est aujourd’hui le plus grand centre d’échanges pour les collectionneurs d’antiquités et d’art chinois. Les moyens ne manquent pas pour soutenir ce marché : une récente étude du magazine Forbes a dénombré dix-sept milliardaires à Hong Kong, contre six seulement au Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale.
L’exode des œuvres d’art s’est déroulé dans un calme feutré, par souci de discrétion autant que pour ne pas paraître déloyal vis-à-vis des futures autorités. Quinze des vingt plus grands collectionneurs de porcelaines Ming et Qing, dont les collections valent l’équivalent de plus de 90 millions de francs chacune, les auraient ainsi expédiées à l’étranger. Idem pour le jade, les bronzes et – dans une moindre mesure – le mobilier.
Ces œuvres ne sont pas destinées à venir sur le marché : elles sont généralement envoyées dans des résidences secondaires, emmagasinées dans des garde-meubles ou mises en dépôt dans différents musées. Leurs principales destinations sont les États-Unis, le Canada, l’Australie, Singapour et quelques entrepôts sous douane en Suisse, mais la plupart d’entre elles ont rejoint le Royaume-Uni. Beaucoup sont stockées dans les entrepôts de Christie’s à Nine Elms, dans le sud de Londres, sans pour autant attendre d’être dispersées par la maison de vente.
Quel impact ?
L’armateur d’origine britannique Anthony Hardy, qui vit à Hong Kong depuis quarante ans, a mis en dépôt pour trois ans, au nouveau Musée des civilisations asiatiques de Singapour, sa collection de bronzes archaïques forte d’une centaine de pièces de la période Shang à la période des Zhou occidentaux. Sa collection de toiles China Coast a également quitté Hong Kong. Elle est exposée jusqu’au 14 février chez Agnew’s, à Londres, sous les auspices de l’Asia House. Anthony Hardy est l’un des rares collectionneurs à parler ouvertement de la situation actuelle. Il avoue que ses collections sont aujourd’hui "dispersées entre l’Europe et Hong Kong" et a récemment déclaré au magazine artistique Orientations de Hong Kong : "Je ne crois pas que beaucoup de choses changeront, mais je comprends aisément la nervosité des collectionneurs. Espérons que le statu quo perdurera, que de nouvelles collections se développeront et que celles qui sont parties reviendront."
Les musées américains bénéficient également de cette "fuite" d’œuvres d’art. Le médecin Y.P. Yip a ainsi réparti son importante collection de mobilier chinois entre trois musées. Trente pièces de mobilier Ming sont exposées au Denver Art Museum ; d’autres meubles seront présentés à la Arthur M. Sackler Gallery de Washington à partir du 21 juin, tandis qu’un plus grand nombre encore seront prêtés au Phoenix Art Museum. Deux autres prêts majeurs ont échu à la Sackler Gallery : l’avocat C.P. Lin et son épouse Helen ont prêté quinze porcelaines, essentiellement Ming et Qing archaïque, et le photographe de mode Yon Fan a mis en dépôt pour dix ans Crimson lotuses, un paravent peint par Chang Dai-chien, l’un des plus célèbres artistes chinois du XXe siècle.
Quel impact cet exode aura-t-il à Hong Kong sur le marché international de l’art chinois ? Difficile à dire, mais les très bons résultats enregistrés par Christie’s et Sotheby’s en 1996 (lire notre précédent numéro) semblent indiquer que la colonie continuera de jouer un rôle de premier plan, au moins à court terme. Le State Bureau of Cultural Relics y préparerait même une grande exposition pour le mois de juillet : peut-être une façon pour le gouvernement chinois de marquer à la fois le changement de souveraineté et son souhait de voir le territoire rester un grand centre mondial de l’art chinois.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les collections fuient Hong Kong
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Les collections fuient Hong Kong