Après le séisme estival engendré par la réforme du régime d’allocation-chômage des intermittents du spectacle, le débat sur le statut encore moins enviable de l’artiste plasticien s’intensifie. Cette question sera abordée lors des Premières Rencontres des artistes plasticiens organisées à La Villette du 17 au 20 septembre par la Fédération des réseaux d’associations d’artistes plasticiens (Fraap). Entre ateliers et forums, ces rencontres portent un coup de projecteur sur une situation où précarité et déconsidération font bon ménage.
PARIS - La torpeur estivale a été ébranlée cette année par les manifestations des intermittents du spectacle. La réforme de leur régime d’allocation-chômage, qui va précipiter dans la détresse bon nombre d’artistes, lève le voile sur la paupérisation de pans entiers de professionnels de la culture. De son côté, le statut des artistes plasticiens, véritables prolétaires de ce milieu, n’a jamais fait l’objet d’un débat de fond. Avec seulement 5 % du budget de la Culture, les arts plastiques manquent cruellement de résonance ! Les premières Rencontres d’artistes plasticiens, organisées par la Fédération des réseaux d’associations d’artistes plasticiens (Fraap) du 17 au 20 septembre à La Villette, tombent donc à point nommé.
Mais au juste, qu’est-ce qu’être artiste plasticien ? S’agit-il d’une vocation comme le suggère une recommandation de 1980 de l’Unesco, d’un métier, d’une profession ? Il n’existe pas à proprement parler de statut social de l’artiste, si ce n’est le régime d’assurance sociale spécifique de la Maison des artistes, créé en 1977. Encore faut-il que ce régime rende compte de la réalité de la population concernée. Au 31 décembre 2002, la Maison des artistes dénombrait 22 863 artistes cotisants. Une enquête lancée voilà deux ans par le ministère de la Culture, mais interrompue en cours de route faute de financement, évoquait le chiffre approximatif de 50 000. Les associations parlent plutôt de 150 000 à 200 000 artistes en France.
82 % de hausse de demandes pour l’allocation exceptionnelle d’urgence
Sans se constituer en loisir, l’activité artistique professionnelle – encore que la marge entre professionnel et amateur soit des plus poreuses – n’induit pas de valeur marchande immédiate pour l’œuvre créée. Le travail serait productif ou ne serait pas, estime le Medef. C’est compter sans les particularismes d’un grand nombre de professions qui échappent aux modèles industriels et sociaux en vigueur.
Les plasticiens se trouvent souvent dans des situations de précarité. Le maintien d’une activité artistique dépend d’un cumul d’expédients, du gardiennage de musée à l’enseignement, dans le meilleur des cas. Le recensement de 1998 avance le chiffre de 5 000 artistes RMistes. L’augmentation des demandes pour l’allocation exceptionnelle d’urgence de 763 euros donnée par la délégation aux Arts plastiques (DAP) est éloquente. Entre 2001 et 2002, le Comité des artistes-auteurs plasticiens (CAAP) a observé une augmentation de plus de 82 % des demandes. Cette inflation, liée aussi à une meilleure information sur ces dispositifs, ne signifie pas pour autant une croissance de la dotation, qui s’élevait à 108 654 euros en 2002. “On ne peut malheureusement pas augmenter le budget, car au-delà, cela relève des Affaires sociales et non plus de la Culture”, précise Chantal Cuzin-Berche, chef du département des artistes et professions au Centre national des arts plastiques (CNAP). Un nouveau tarif de 1 000 euros est en discussion, ce qui supposera, faute d’une augmentation du budget, celle du nombre de dossiers rejetés. Bien qu’anciennes, les données relatives à l’insertion des diplômés des écoles de beaux-arts semblent pourtant optimistes. Une enquête menée entre 1985 et 1996 sur la répartition des anciens élèves par domaine d’activité souligne que 90 % d’entre eux jouissent d’une activité professionnelle, dont 30 % dans l’enseignement. Mais seuls 4 % se déclarent artistes indépendants tandis que 10 % avouent une profession sans relation avec les études antérieures. D’après l’étude du CAAP, 56 % des demandeurs de l’allocation exceptionnelle en 2002 ont suivi des études supérieures en art. La précarité n’est pas l’apanage des autodidactes !
Pour Antoine Perrot, artiste et président de la Fraap, les différentes prothèses, notamment les aides individuelles à la création, sont trop maigres. Leur montant est parfois dérisoire, 1 000 euros dans certaines régions, 5 000 à 7 000 euros pour les mieux lotis. Le budget de l’aide individuelle à la création des DRAC (directions régionales aux Affaires culturelles), d’un montant global de 582 988 euros en 2002, aurait baissé d’environ 10 000 euros par rapport à 2001. Par ailleurs, le choix des artistes bénéficiaires d’une aide, pourtant confié à un collège de spécialistes renouvelé chaque année, est immanquablement source d’amertume et de rancœurs. “Il faut que les artistes siègent dans les commissions d’attribution, que les conseillers aux arts plastiques restent ce qu’ils sont, des conseillers techniques et non esthétiques. Mais les conseillers ne veulent pas des artistes, car ils ont trop peur qu’on dénonce les choix préétablis et arbitraires, les renvois d’ascenseurs”, martèle Antoine Perrot.
Faute de remèdes miracles, d’autres palliatifs sont proposés. L’application du droit de présentation – droit prévoyant une rémunération pour les artistes qui présentent leur travail dans un lieu public non commercial – figure en bonne place dans les demandes des artistes. Pourtant, le budget dérisoire des centres d’art et des associations leur permettra difficilement d’acquitter cette redevance. De son côté, le CNAP suggère une remise en selle du 1 % consacré à la commande artistique dans les bâtiments publics, et une négociation d’un accès à la formation professionnelle pour les artistes. Difficile toutefois de financer cette dernière mesure quand les galeries déclarent forfait. Peut-on envisager une extension aux plasticiens du régime même boiteux des intermittents ? “Nous n’avons pas d’employeurs, contrairement aux intermittents. Comment d’ailleurs compter les heures de travail d’un plasticien ?”, soupire Antoine Perrot.
Au-delà, reste à surmonter l’individualisme des artistes, conforté par une mise en concurrence permanente pour l’obtention des aides, des trop rares ateliers, des postes d’enseignants et d’une place sur le marché. “Les artistes doivent reprendre la parole. Ils sont responsables de l’avoir abandonnée à des intermédiaires privés ou institutionnels qui vivent de l’art contemporain alors que les artistes n’en vivent pas”, insiste Antoine Perrot. “La mauvaise conscience fera changer les choses, un peu comme la canicule qui a poussé à réfléchir à des problèmes fondamentaux de société”, renchérit Chantal Cuzin-Berche.
On attend donc beaucoup des prochaines Rencontres de la Fraap. Enfin, peut-être pas tout le monde, à en juger par la volte-face de la Ville de Paris. Après avoir voulu couper au dernier moment la subvention qu’elle avait promise à ces Rencontres, elle n’a consenti qu’à une obole de 10 000 euros sur les 55 000 demandés. La mauvaise conscience n’anime pas tous les esprits...
Premières Rencontres des artistes plasticiens de la Fédération des réseaux d’associations d’artistes plasticiens (Fraap), du 17 au 20 septembre, Grande Halle de La Villette, 211 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 40 03 08 89, www.fraap.org
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Les artistes plasticiens réfléchissent sur leur statut
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Les artistes plasticiens réfléchissent sur leur statut