EUROPE
L’interdiction de l’utilisation de la substance plomb dans les pays de l’Union européenne est à l’étude : une catastrophe pour les artisans du vitrail, qui utilisent quotidiennement ce métal.
Un boulanger à qui l’on interdirait d’utiliser la farine : voila à peu de chose près la situation dans laquelle pourraient se retrouver les artisans spécialisés dans la création et la restauration de vitraux, à la suite de cette recommandation d’ajouter le plomb à la liste d’« Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques » (règlement connu sous son acronyme anglais, « REACH »). L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui réglemente l’utilisation des substances chimiques dans l’Union européenne à travers le REACH, a ouvert au mois de février dernier une consultation préalable à une restriction de l’usage de ce métal indispensable à la conception et la restauration des vitraux.
Pour les professionnels du vitrail, il n’existe pour l’heure pas d’alternative au plomb. Malléable mais également résistant aux intempéries, il compense la rigidité du verre, et permet un sertissage d’une grande précision. « Cela fait quatre ans que l’on sait que le plomb est dans le viseur de REACH, explique Emmanuelle Andrieux, vice-présidente de la Chambre syndicale nationale du vitrail. Nous avons pris les devants en menant des recherches pour trouver un substitut, mais nous n’avons aucune solution de remplacement. » Utilisé pour les baguettes qui sertissent le verre, le plomb se retrouve également dans l’étain permettant de souder ces baguettes, mais aussi dans les peintures en grisaille utilisées dans la restauration des vitraux anciens.
Les 1 200 entreprises du secteur, pour la plupart composées d’un à deux salariés, sont donc directement menacées par la future réglementation, et ce malgré les protocoles stricts qui encadrent aujourd’hui l’utilisation du plomb. « L’intérêt d’une petite entreprise, c’est le bien-être des salariés, souligne Emmanuelle Andrieux. Ils ont deux prises de sang par an, et on évite de mettre nos employées enceintes sur les postes dangereux. » Une étude récente menée par la Chambre syndicale montrait que le taux de saturnisme – maladie causée par l’intoxication au plomb – s’élevait chez les artisans du vitrail à… 0 %. La dissémination environnementale du plomb est quant à elle strictement encadrée par les appels d’offres, qui exigent des protocoles précis pour le traitement des eaux en contact avec la substance, et une transparence sur la traçabilité du plomb usé et remplacé.
Ces précautions n’empêchent pas les artisans d’être concernés par l’interdiction d’utilisation du plomb, qui vise en premier lieu les batteries de voiture au plomb. « On nous a dit : “Vous êtes un dommage collatéral, mais on doit en passer par là.” », regrette la vice-présidente de la Chambre syndicale. Le plomb sera bientôt ajouté à l’annexe XIV de la réglementation REACH, un document intitulé contre-intuitivement « liste d’autorisation » par l’ECHA. Interdites de fait à partir d’une date d’expiration, les substances incluses dans cette liste peuvent faire l’objet d’autorisations spécifiques, dans des cas de figure limités.
« Les frais de dossier pour une exemption provisoire coûteraient entre 200 000 et 400 000 euros, pour une autorisation d’utiliser le plomb durant trois à cinq ans, explique Emmanuelle Andrieux. Et ce pour chaque atelier, qui devra par ailleurs prouver que le plomb n’est en général pas nocif pour la santé, et ne crée aucune maladie. » Le chiffre d’affaires moyen des très petites entreprises qui constituent le secteur du vitrail s’élève à 100 000 euros annuels. L’interdiction du plomb mettrait donc en danger ce tissu économique, mais également un patrimoine immatériel, celui des savoir-faire du vitrail, comme matériel : 60 % du patrimoine vitré d’Europe se trouve en France, et nécessite un entretien régulier qui ne saurait se passer du plomb.
Les artisans du vitrail ont soumis leur contribution à la première consultation ouverte par l’ECHA sur le plomb, fermée depuis le 2 mai. Un deuxième volet de consultation sera bientôt ouvert aux interlocuteurs institutionnels, volet auquel le ministère de la Culture devrait contribuer pour défendre le secteur. Dans le même temps, la chambre syndicale poursuit sa recherche d’un substitut possible au plomb en se rapprochant du CNRS.
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Les artisans du vitrail seront-ils privés de plomb ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°589 du 13 mai 2022, avec le titre suivant : Les artisans du vitrail seront-ils privés de plomb ?