Derrière le discours d’un ministère qui prône la démocratisation culturelle, le prix d’entrée des musées nationaux connaît une hausse record. Comment les administrateurs des grandes institutions justifient-ils ce choix, qui pourrait mettre en péril la fréquentation des expositions ? Dans la grande marche vers l’autonomie économique des musées, le visiteur devra compenser la baisse des subventions.
PARIS - Et si le débat sur la gratuité des musées avait occulté une tendance forte constatée dans les grands musées de l’Hexagone : la hausse continue mais significative, en quelques années, des tarifs de leurs billets d’entrée. Pour un adulte actif et dans la force de l’âge, il est désormais difficile de s’offrir une visite dans un musée national à moins de 10 euros. Soit un centième d’un SMIC net (1 073 euros). En quelques années, et de manière insidieuse, la sortie dans les plus prestigieux musées français a ainsi rejoint, en coût, celle dans un cinéma (10 à 11,50 euros à Paris). Et quand la bourse est serrée, choisir entre loisir et culture tourne souvent à l’avantage du divertissement. Sans surprise, ce sont les institutions parisiennes – musées municipaux mis à part, où la gratuité a été instaurée en 2001 – qui affichent les tarifs les plus élevés. Avec 12 euros, le Musée national d’art moderne (MNAM) arrive en tête du palmarès des établissements les plus coûteux. Lancé en 2006, son « billet unique » donne certes accès à tous les espaces du musée, y compris aux expositions temporaires. Mais pour celui qui ne souhaiterait voir que les collections permanentes, n’y a-t-il pas là une forme de vente forcée ? Quant aux simples promeneurs qui appréciaient de flâner sur les escalators pour contempler le point de vue, il leur faut désormais débourser, depuis les derniers travaux de rénovation, la somme de 3 euros. Au Musée du Louvre, le 1er janvier 2011 a été synonyme d’inflation : le billet atteint désormais la barre symbolique des 10 euros, les grandes expositions du hall Napoléon étant payables en sus. En sept années, la hausse a été continue avec un tarif qui n’était que de 7,50 euros en 2004, soit plus de 33 % d’augmentation. Mais en matière d’explosion des coûts, c’est le domaine de Versailles qui remporte la palme. De 7,50 euros en 2006, le tarif a bondi à 18 euros pour un pass complet, soit 140 % de hausse ! Auparavant gratuit, le domaine de Trianon est, quant à lui, aujourd’hui accessible pour… 10 euros.
Pour les administrateurs de ces établissements, l’accroissement de l’offre culturelle de ces dernières années – qui est réelle – justifie pleinement cette hausse. Denis Berthomier, administrateur général de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, apporte par ailleurs une explication très simple : « L’établissement ne perçoit, depuis sa création en 1995, aucune subvention d’investissement courant ni de subvention de fonctionnement. Les tarifs pratiqués sont la conséquence de cette situation. » Et de poursuivre : « Les objectifs tarifaires de l’établissement consistent essentiellement à équilibrer son budget et à contribuer, pour près d’un tiers, à ses dépenses d’investissement. Si l’État finançait de façon plus massive l’établissement, les tarifs seraient moins élevés. » Curieux paradoxe, pour un ministère de la Culture qui se dit militant de la démocratisation de la culture, que de laisser ainsi les tarifs s’envoler.
Le visiteur, prêt à payer
Mais, pour Denis Berthomier, « dire que la croissance des tarifs nuit à la démocratisation culturelle est un non-sens ». Car, depuis l’augmentation des tarifs de Versailles en 2006, la fréquentation du domaine a crû, tout comme la part de fréquentation gratuite (40 %). De son côté, la direction du Musée du Louvre avance également plusieurs arguments. D’une part, elle évoque une étude du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), datée de 2004, mettant en exergue une propension des visiteurs – notamment étrangers – à payer de 10 à 12 euros pour un musée « qui le vaudrait compte tenu des richesses de ses collections ». Le Louvre serait ainsi « le plus grand musée le moins cher du monde ». Or la comparaison avec les grands musées étrangers est plus ambivalente. Si les 20 dollars du Museum of Modern Art de New York ou les 15 euros des musées du Vatican (hors frais de réservations de 4 euros) peuvent être jugés prohibitifs, le Prado de Madrid n’exige que 8 euros alors que les musées nationaux britanniques (comme la National Gallery ou le British Museum), malgré les restrictions budgétaires, demeurent gratuits. Comparaison n’est donc pas raison…
Une chose est en revanche assurée : l’existence d’une multiplicité, dans tous les établissements, d’offres de tarifs réduits, d’abonnements voire d’exonération totale. Au Louvre, 45 % des visiteurs bénéficient de l’une de ces mesures (jeunes, demandeurs d’emploi, enseignants…), les entrées gratuites s’élevant à 2 millions sur les 8,5 millions comptabilisés par an (soit 23 %). Le MNAM recense de son côté quelque 45 000 abonnés. Mais, dans les faits, la superposition de ces mesures rend aujourd’hui les grilles tarifaires très hétérogènes et, au final, parfois inéquitables. Sur le sujet, le ministère de la Culture semble avoir peu de recul pour envisager la mise en œuvre d’une politique tarifaire cohérente. Estimée, en 2009, à 26 millions d’euros, la gratuité des musées nationaux pour les moins de 26 ans a finalement coûté 10 millions d’euros de moins (16,3 millions en 2010), l’exonération des enseignants (financée par le ministère de l’Éducation nationale) se montant à 5,8 millions d’euros.
Pression grandissante
Par ailleurs, un autre constat s’impose. Cette tarification au prix fort des grands musées franciliens – qui stimule la surenchère entre établissements – accentue le fossé avec les musées en région. Les données collectées depuis 2004 dans le cadre de notre classement des musées (publié tous les ans au mois de juin) le confirment avec un tarif médian à 4 euros. Si cette somme semble très éloignée des réalités parisiennes, elle est plus proche des tarifs pratiqués par les grands musées régionaux : 7 euros pour le Musée des beaux-arts de Lyon ; 5,50 euros pour le Palais des beaux-arts de Lille ; et seulement 5 euros pour le Musée des beaux-arts de Rouen ! Le billet de ce musée a toutefois grimpé à 12 euros durant l’été 2010 pour qui voulait visiter à la fois le musée et la grande exposition consacrée à la peinture impressionniste. De fait, les expositions temporaires tirent les prix vers le haut. Alors qu’il en coûtait 7 euros, en 2003, pour découvrir l’exposition du Louvre consacrée aux dessins et manuscrits de Léonard de Vinci, il faut aujourd’hui débourser 11 euros pour arpenter « L’Antiquité rêvée. Innovations et résistances au XVIIIe siècle » (soit 18 % d’augmentation), tarif légèrement inférieur à celui des expositions du Grand Palais (12 euros). La part des entrées aux expositions du Musée du Louvre a doublé de 2004 à 2009, faisant de cet axe de la programmation un enjeu financier stratégique. Au Louvre, la billetterie constitue ainsi près de 38 % des ressources propres du musée (2009), soit 40,4 millions d’euros sur un total de 107 millions. À Versailles, les tickets rapportent 36 millions d’euros (sur 59 millions d’autofinancement) contre 9,2 millions au MNAM. Or la baisse continue des subventions de l’État accentue encore la pression. Si un plan d’économie global a été engagé au sein du Musée du Louvre, où tous les marchés engageant l’établissement ont été renégociés, le musée reconnaît que la dernière augmentation de tarif est liée à la baisse de sa subvention.
Pour qui en doutait encore, cette hausse significative des tarifs est donc le prix à payer – pour le visiteur ! – de ce mouvement d’autonomie des musées engagé depuis les années 1990. Un cas récent vient encore de l’illustrer : le château de Fontainebleau, transformé en établissement public en 2009, vient d’aligner son tarif sur… celui du Musée du Louvre (10 euros). Son billet d’entrée ne coûtait encore que 5,50 euros en 2005.
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L’entrée au musée toujours plus chère
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°339 du 21 janvier 2011, avec le titre suivant : L’entrée au musée toujours plus chère