Alors que le public peut encore profiter de l’exposition consacrée à la création artistique française autour de 1500, aux Galeries nationales du Grand Palais, à Paris, les éditions Citadelles & Mazenod publient une somme sur L’Art du Moyen Âge en France, nouvel opus de la collection « L’art et les grandes civilisations » qui a fait la réputation de la maison.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on y retrouve deux des commissaires de la manifestation parisienne, Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance, à Écouen (Val-d’Oise), et Élisabeth Taburet-Delahay, à la tête du Musée national du Moyen Âge – Thermes de Cluny, à Paris, réunis en compagnie d’une dizaine d’autres spécialistes sous la houlette de Philippe Plagnieux, professeur d’histoire de l’art à l’université de Besançon et à l’École nationale des chartes. « L’art médiéval a imprimé en profondeur et continue de marquer le paysage monumental européen, et celui de la France tout particulièrement », précise le chef d’orchestre de ce livre qui se veut « une histoire raisonnée de cet art à cette période. À côté d’un large panorama patrimonial, il ne néglige ni les zones de contact ni les échanges internationaux. »
Après une introduction historique, du royaume des Francs à l’Empire carolingien, l’ouvrage répond au découpage classique des manuels d’histoire de l’art avec une première partie consacrée à la France romane, et une deuxième à la France gothique, deux grands « moments » qui se rencontrent et s’enchevêtrent plus qu’ils ne dessinent une chronologie précise. L’ensemble est subdivisé en une quinzaine de chapitres, afin de cerner, dans toute sa diversité, un millénaire de création. L’architecture religieuse, l’art du vitrail ou de la tapisserie, la peinture, l’enluminure, la sculpture, les objets d’art sont tour à tour évoqués par les différents auteurs, chacun d’entre eux intervenant dans son domaine de compétence sans répondre à des directives strictes. Patricia Stirneman, directrice de recherches au CNRS-IRHT, signe un chapitre très détaillé sur l’enluminure ; Inès Villela-Petit, conservatrice du patrimoine, s’attaque au gothique international ; Michel Hérold, conservateur en chef du patrimoine, s’interroge, quant à lui, sur le « triomphe » de la figure du peintre entre 1440 et 1515. La conclusion revient à Thierry Crépin-Leblond et Élisabeth Taburet-Delahay qui évoquent, aux alentours de l’année 1500, un art en devenir « qui n’est plus tout à fait médiéval, mais pas encore la Renaissance ». Point fort de la maison d’édition, les riches et nombreuses illustrations donnent une cohérence à cet ouvrage plus proche d’une compilation de textes que d’un travail réellement collectif.
La maison Citadelles & Mazenod n’est pas la seule à s’intéresser à cette longue période de l’histoire de l’art. Les éditions Picard ont réuni des historiens italiens, allemands et français pour une réflexion sur l’art des églises médiévales à travers l’analyse de leur espace liturgique intérieur. Ce dernier est ici compris « comme un long déroulement composé de «vecteurs” qui se manifestent ou se reflètent dans l’architecture, les rituels, les ornements figuratifs, l’ameublement, sans nécessairement correspondre à l’orientation principale de l’église », précise en préambule Paolo Piva, historien de l’art médiéval qui a dirigé l’ouvrage. La démonstration commence avec deux essais sur l’orientation de l’église, signés Sible de Blaauw et Werner Jacobsen. Le premier démontre comment et pourquoi l’orientation vers l’est a toujours été privilégiée ; le second, en s’appuyant sur le modèle italien, s’intéresse aux différents parcours liturgiques internes des églises et aux fractionnements de leur espace durant le Moyen Âge. Puis, Paolo Piva s’attaque à l’architecture des XIe et XIIe siècles dans un texte où il tente de mettre en évidence les plans de pèlerinage dans les églises romanes européennes.
Pour traiter des décors peints des édifices romans et leur interaction avec l’espace liturgique, Jérôme Baschet s’appuie sur le modèle de l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne), où certains des épisodes évangéliques décrits se trouvent à des endroits précis du lieu de culte. Marcello Angheben dresse un panorama de la sculpture romane, mettant en exergue la relation entre iconographie et espace liturgique (à ce sujet, on consultera également l’ouvrage de Jean-René Gaborit, lire le JdA no 335, 19 novembre 2010, p. 16). Dans une dernière partie, Bruno Boerner décrypte l’iconographie des portails sculptés des cathédrales gothiques à travers trois exemples significatifs – les cathédrales d’Amiens, Chartres et Strasbourg – dans un essai qui fait échos aux textes de Paolo Piva et Marcello Angheben. Cet opus érudit est servi par une illustration abondante (photographies de lieux et œuvres mais aussi plan et schémas des églises) pour mieux s’immiscer dans un monde complexe d’une richesse infinie.
En perpétuel renouvellement
Considérée comme un art majeur au Moyen Âge, la tapisserie a souffert des dommages du temps et peu d’œuvres sont parvenues jusqu’à nous. La tapisserie de l’Apocalypse d’Angers, achevée vers 1380-1382 et aujourd’hui conservée au château de la ville du Maine-et-Loire, en fait partie. Commandée par le duc Louis Ier d’Anjou au peintre du roi Hennequin de Bruges qui en réalise les cartons, cette œuvre aux dimensions monumentales (84 panneaux rassemblés en 6 grands ensembles, de 130 mètres de long et 6 mètres de haut) illustre l’Apocalypse de saint Jean, texte ésotérique et mystérieux écrit au Ier siècle. La tapisserie est exécutée alors que le royaume, en pleine guerre de Cent Ans, est en proie à une redoutable épidémie de peste. Dans la lignée de leurs beaux livres associant à des grands classiques de la littérature des œuvres plastiques, les éditions Diane de Selliers publient l’intégralité du texte prophétique de l’apôtre Jean illustrée par les panneaux de la tapisserie d’Angers. La maison a fait appel à l’historienne Paule Amblard, spécialiste de l’art chrétien médiévale, pour apporter aux lecteurs les clefs de lecture indispensables à la compréhension de cette œuvre symbolique. Les 67 panneaux aujourd’hui conservés à Angers sont reproduits dans leur intégralité, puis considérés sous différents angles pour mieux en apprécier chaque détail. Pour évoquer les parties manquantes, une vingtaine de miniatures de manuscrits, dont Hennequin de Bruges et les lissiers se seraient inspirés, ont également été convoquées. « Dans cet ouvrage, nous avons voulu faire revivre la tapisserie d’Angers au plus près de ce qu’elle était à l’origine, avec ses couleurs vives », explique Diane de Selliers.
Pour ce, l’équipe éditoriale a eu recours à une astuce consistant à reproduire l’envers de la tapisserie (totalement identique à l’endroit, sans nœud ni fil de reprise), dont les couleurs ont été mieux conservées grâce à la doublure qui le protégeait, puis d’inverser à nouveau l’image. Une riche idée comme en témoigne la qualité des clichés pris en 1982 lors d’une grande campagne de restauration. Ils révèlent, dans tout son éclat, une œuvre magistrale à la portée mystique, emblématique d’un art que Philippe Plagnieux décrit comme « doté d’une extraordinaire faculté poétique à transcrire le surnaturel et à représenter l’immatériel, par ses jeux formels et ses combinaisons plastiques en perpétuel renouvellement », un art « foisonnant », résolument « insaisissable ».
Sous la direction de Philippe Plagnieux, L’art du Moyen Âge en France, éd. Citadelles & Mazenod, collection « L’art et les grandes civilisations », 2010, 620 p., 199 euros, ISBN 978-2-8508-8322-4
Sous la direction de Paolo Piva, Art médiéval, Les voies de l’espace liturgique, éd. Picard, 2010, 288 p., 90 euros, ISBN 978-2-7084-0875-3
Jean-René Gaborit, La Sculpture romane, éd. Hazan, collection « Beaux-arts », 2010, 440 p., 99 euros, ISBN 978-2-7541-0360-2
Commentaires de Paule Amblard, L’Apocalypse de saint Jean illustrée par la tapisserie d’Angers, éd. Diane de Selliers, 2010, 408 p., 160 euros jusqu’au 31 janvier puis 190 euros, ISBN 978-2-9036-5675-1
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’empreinte foisonnante du Moyen Âge
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €« France 1500, entre Moyen Âge et Renaissance », jusqu’au 10 janvier 2011, Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr, tlj sauf mardi et 25 décembre 10h-20h, le mercredi jusqu’à 22h
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°336 du 3 décembre 2010, avec le titre suivant : L’empreinte foisonnante du Moyen Âge