Plus de soixante ans après la rétrospective de 1937, Florence rend un nouvel hommage à Giotto, le grand rénovateur de la peinture italienne au XIVe siècle, dans les nouveaux espaces d’exposition de la Galerie de l’Académie. Parmi les 37 œuvres du maître ou du cadre très restreint de son atelier, figurent non seulement des chefs-d’œuvre mais aussi des œuvres inconnues ou d’attribution récente, grâce auxquelles s’esquisse une relecture de l’œuvre giottesque.
FLORENCE (de notre correspondante) - Les commissaires de l’exposition, Angelo Tartuferi et Franca Falletti, insistent sur la vision d’ensemble de l’œuvre de Giotto (v. 1266-1337) ressortant de l’exposition : du novateur solitaire et hargneux de la peinture médiévale à l’intelligent et habile chef d’entreprise, entouré des meilleurs et des plus fiables collaborateurs. Sur la base des plus récentes études, l’interprétation de l’œuvre de Giotto, au-delà des termes habituels de spatialité et de plasticité, est élargie. Elle révèle l’importance de la composante chromatique et des intuitions du peintre dans le rapport lumière-couleur, parallèlement mais de manière autonome par rapport au Siennois Simone Martini, seul artiste de l’époque à lui disputer sa suprématie.
Présentant les peintures de Giotto à côté de celles attribuées à ses plus proches collaborateurs, tout en laissant souvent le champ libre aux différentes attributions possibles, le parcours suit un ordre chronologique, après avoir placé en introduction la Madone à l’Enfant de Cimabue du Musée de Santa Verdiana à Castelfiorentino ; Luciano Bellosi la tient pour preuve concrète de la formation de Giotto dans l’atelier de Cimabue, notamment à cause des plis tranchants du tissu dans lequel est enveloppé l’Enfant, très semblables à ceux des registres supérieurs de la basilique Saint-François, à Assise. Mais Angelo Tartuferi observe que c’est une mode issue du style de l’architecte et sculpteur Arnolfo Di Cambio, passée à la fin du XIIIe siècle dans le langage pictural, non seulement en Toscane mais aussi dans le Latium. La manière du jeune Giotto est en revanche très proche de celle du Maître des Histoires d’Isaac dans l’église supérieure d’Assise, attribuée, non sans controverse, à Arnolfo Di Cambio. La Maestà de Giotto, de l’église Borgo San Lorenzo, de 1285-1290, illustre en effet, sur la terre natale du maître, ce langage moderne qui s’affermit ensuite sur le chantier d’Assise. De ces mêmes années, on peut admirer la Madonna di San Giorgio alla Costa (1290-1295), aujourd’hui au Musée diocésain de Santo Stefano al Ponte, ainsi que deux fragments appartenant à l’intrados d’entrée de l’église supérieure d’Assise, en partie détruit par le séisme de 1997.
Autour de 1300
La période suivante, pendant laquelle Giotto réalise à Saint-Pierre de Rome la célèbre mosaïque de la Navicella, est représentée par le Polyptyque de la Badia, que le sculpteur Lorenzo Ghiberti a, le premier, attribué à Giotto. Cette œuvre exerça une forte influence sur les artistes florentins de la première génération giottesque, de Bernardo Daddi et Taddeo Gaddi au Maître du polyptyque de la chapelle Médicis. Malgré un état de conservation déplorable, il offre un important témoignage d’une étape intermédiaire dans l’évolution de sa manière, entre les fresques d’Assise et les Histoires de la Vierge et du Christ de la chapelle Scrovegni, à Padoue, en 1303. Les différences entre les deux cycles, sur lesquelles beaucoup ont insisté, concernent surtout la technique picturale. À Padoue, Giotto atteint un langage solennel et posé, caractérisé par une peinture plus douce, mûrie dans les œuvres de la décennie précédente. Après un bref passage à Florence en 1305-1306, époque de la Maestà des Offices, et un deuxième séjour à Assise où il travaille dans l’église inférieure, Giotto revient à Florence pour s’attaquer aux fresques de la chapelle Peruzzi à Santa Croce, qui ont fait l’objet de réfections et de retouches, mais dont l’état de conservation fortement altéré rend difficile la datation.
Une rencontre avec Simone Martini ?
Plusieurs études récentes, dont l’exposition fait état, se sont concentrées sur la deuxième décennie du XIVe siècle. Le Saint Jean-Baptiste en prison de la Gemäldegalerie de Dresde, que Ferdinando Bologna considérait comme le verso du polyptyque de l’autel de la chapelle Peruzzi, est exposé, mais la référence au cercle de Giotto est écartée. Témoignant du style du maître dans la seconde décennie du XIVe, sont présentées d’autres œuvres attribuées, malgré quelques réserves, au maître : les fresques détachées de l’église de la Badia, la Vierge éplorée et des fragments de vitrail peint du Musée de l’Œuvre de Santa Croce, ainsi que le Polyptyque de Santa Reparata de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Ce sont les années d’un autre tournant stylistique : contemporaine de la décoration du transept droit de l’église inférieure d’Assise (vers 1320), la prédelle du polyptyque Stefaneschi, dont le panneau central de la partie postérieure conservé à la Pinacothèque vaticane représente trois saints, affirme un raffinement du trait, une extraordinaire science chromatique et des mises en place spatiales hardies, qui suggèrent presque une rencontre idéale entre Giotto et Simone Martini, peut-être à la suite d’un séjour du maître à Avignon. De récentes attributions à Giotto et à son atelier viennent compléter le tableau, comme un diptyque d’une collection privée new-yorkaise, la Madone à l’Enfant Wildenstein ou encore les deux Crucifixion des musées de Troyes et de Strasbourg.
Le retour en Italie de la Présentation au temple du musée Isabella Stewart Gardner de Boston, qui n’était pas exposée en 1937, est très attendu. Elle fait partie d’une célèbre série de sept peintures illustrant la Vie du Christ, datées de 1325 à 1330. Autre pièce fondamentale de l’exposition, la flèche du polyptyque Baroncelli de Santa Croce, légendée Opus Magistri Iocti, est encore au centre d’un débat acharné sur son caractère autographe et sa datation. Découpée autrefois, la flèche représentant le Père Éternel et des anges a été identifiée par Zeri en 1957. Autre datation tout aussi débattue, celle de la chapelle Bardi à Santa Croce, réalisée après 1317 puisque saint Louis de Toulouse y figure, mais très probablement avant le départ de Giotto pour Naples en 1328, période illustrée par le Saint Étienne du Musée Horne de Florence.
L’œuvre ultime et les suiveurs
Nommé le 12 avril 1334 par la Commune magistrum et gubernatorem, après son retour à Florence, Giotto supervise le chantier du Dôme où il s’occupe du campanile et peut-être d’une partie des reliefs sculptés de sa partie basse. Mais d’autres travaux publics lui échoient, comme le renforcement des remparts et la conception, voire une partie de l’exécution, de la décoration de la chapelle du Podestà au Bargello. La Madone à l’Enfant et des anges de l’église Santa Maria, à Ricorboli, datée de cette époque, conclut la section des œuvres de Giotto ou de son atelier, pour ouvrir celle consacrée à ses suiveurs. Dans cette seconde partie, se trouve par exemple le Crucifix du Musée d’art sacré de Santa Casciano Val di Pesa, qui pourrait avoir été peint par le Maître de San Lucchese, mais dont la qualité avait permis d’avancer le nom de Giotto. D’autres tableaux confirment que Giotto était bien “le plus souverain maître en peinture de son temps”, comme l’avait défini le chroniqueur Giovanni Villani.
- GIOTTO, 5 juin - 30 septembre, Galleria dell’Accademia, 60 via Ricasoli, Florence, tlj sauf lundi 8h30-19h, samedi 8h30-22h, tél. 39 055 26 54 321.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
« Le plus souverain maître en peinture de son temps »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°106 du 26 mai 2000, avec le titre suivant : « Le plus souverain maître en peinture de son temps »