Pour les musées bâlois, la période de la foire Art Basel est cette année propice à aligner les têtes d’affiche. Jean-Michel Basquiat, Gabriel Orozco et Matthew Barney sont à l’honneur.
C’est un programme qui s’annonce avec tambours et trompettes. Une sorte de choc des titans artistique qui s’empare de la ville de Bâle durant la foire, avec une batterie de noms prestigieux alignés comme à la parade. Très attendue à la Fondation Beyeler, la rétrospective consacrée à Jean-Michel Basquiat (1960-1988), qui à l’automne rejoindra les cimaises du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ne déçoit pas. En une centaine de travaux, à la fois picturaux, graphiques et sculpturaux, c’est l’énergie vorace d’un artiste touche-à-tout qui traverse les salles de part en part. Dans un quasi-syncrétisme à la puissance visuelle parfois presque hallucinée, l’artiste impose un mélange de références tous azimuts, entre problématiques des racines africaines, du pouvoir ou de la culture de la consommation, créativité des cultures urbaines et du graffiti, questionnement du langage, aspect fondamental de la signature et du nom… Le tout en conservant une cohérence visuelle qui a fait sa marque, qu’il sature complètement la surface du tableau ou à l’inverse, parfois, s’astreigne à une retenue plus inattendue qui n’en est pas moins visuellement puissante. Parfois un peu trop dense, l’accrochage n’en enchaîne pas moins chefs-d’œuvre et morceaux de bravoure. C’est ce qui évite la confusion et l’effet de saturation.
Toujours à la Fondation Beyeler est convoquée une autre figure disparue et devenue mythique en la personne de Felix Gonzalez-Torres (1957-1996). Deuxième étape d’un circuit imaginé par Elena Filipovic qui en compte trois (il a démarré début 2010 au Wiels à Bruxelles et finira au Musée d’art moderne de Francfort en 2011), la version bâloise de « Specific Objects Without Specific Forms » s’installe dans les galeries souterraines et… la collection permanente ! Une belle réponse à la conception de l’artiste qui refusait de voir en l’exposition ou la formule rétrospective une forme définie une fois pour toutes et temporellement close.
Résistance physique
Au Kunstmuseum, Gabriel Orozco a pris possession des salles d’exposition temporaires, là encore avant une présentation parisienne automnale, au Centre Pompidou cette fois. D’emblée y est affirmée l’énergie transformatrice d’un artiste qui a fait du quotidien son terrain de jeu, tout en y intégrant dès le début des années 1990, à l’aube de l’emballement du questionnement relatif à la mondialisation, l’expérience du voyage, du mouvement et du déplacement, formels et culturels. Remarquable de simplicité, la première salle le rappelle prestement en réunissant trois œuvres emblématiques : sa fameuse DS (1993), ses bicyclettes imbriquées (Four Bicycles (There Is Always One Direction), 1994) et une boule de plastiline (Recaptured Nature, 1990). S’enchaînent ensuite photographies, sculptures en suspension ou une belle table de travail qui rend la dimension à la fois intime et expérimentale de son œuvre. Plus fluide que lors de sa présentation au Museum of Modern Art, à New York, l’accrochage se termine sur une œuvre méconnue, faite de résidus provenant de sèche-linge, accrochés comme sur des cordes à linge (Lintels, 2001-2010). Quelques marches plus bas, Rosemarie Trockel a les honneurs du cabinet d’arts graphiques, avec une présentation de dessins et collages. Tous les ensembles importants ayant jalonné sa carrière y sont représentés, complétés par des pièces créées pour l’occasion.
Au bord du Rhin, c’est Rodney Graham qui s’installe au Museum für Gegenwartskunst, avec un accrochage ambitieux fort d’une centaine d’œuvres couvrant la période 1978-2008. Empruntant à tous les médias, les travaux rassemblés dans « Through the Forest » font la part belle aux influences exercées sur l’artiste par différentes figures de l’art, de la littérature ou de la musique, envers lesquelles il manie l’hommage tout en démystifiant l’incontournable influence. Avec Matthew Barney, le Schaulager voit, quant à lui, s’effectuer le retour sur le devant de la scène d’un autre poids lourd. L’exposition « Prayer Sheet with the Wound and the Nail » s’articule autour du projet « Drawing Restraint », initié au début des années 1990. Composée de seize volets exécutés jusqu’à récemment, cette série de performances prend appui sur l’idée de contrainte et de résistance physiques entravant l’habileté de l’artiste dans l’exécution du dessin. L’intégralité des archives de ce vaste ensemble (dessins, vidéos, sculptures, photographies) est ici exposée, de même que le film Drawing Restraint 9, tourné sur un baleinier avec Björk, sa compagne, qui en a composé la musique, et des sculptures monumentales faisant partie du projet. Le tout est mis en relation avec des œuvres de la Renaissance nordique censées faire émerger des « significations latentes » du travail de Barney !
Tout près de Bâle, à Aarau, monumentale est également l’exposition « The Night of Lead » d’Ugo Rondinone, déployée à l’Aargauer Kunsthaus. L’artiste suisse, maître des atmosphères où toujours pointe un fond de doute et de mélancolie, y déploie avec maestria son univers ambivalent qui défie le temps. Son œuvre navigue entre le spectaculaire et le presque rien, à travers des formes biomorphiques de grande ampleur ou de minuscules fruits en bronze, des peintures de constellations exécutées avec du sable ou des arbres qui s’éloignent du naturel, des portes closes qui pourraient s’ouvrir sur l’inconnu. L’artiste entraîne son public dans des dédales narratifs où se forme une intense pression psychologique, qui toutefois jamais n’agresse mais ouvre en grand le champ des possibles.
RODNEY GRAHAM. THROUGH THE FOREST, du 13 juin au 26 septembre, Museum für Gegenwartskunst, 60, St. Alban-Rheinweg, Bâle, tél. 41 61 206 62 62, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h
MATTHEW BARNEY. PRAYER SHEET WITH THE WOUND AND THE NAIL, du 12 juin au 3 octobre, Schaulager, 19, Ruchfeld-strasse, Münchenstein/Bâle, tél. 41 61 335 32 32, www.schaulager.org, tlj sauf lundi 12h-18h, jeudi 12h-19h, samedi et dimanche 10h-17h
UGO RONDINONE. THE NIGHT OF LEAD, jusqu’au 1er août, Aargauer Kunst-haus, Aargauerplatz, Aarau, tél. 41 62 835 23 30, www.aargauerkunsthaus.ch, tlj sauf lundi 10h-17h, jeudi 10h-20h
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Le choc des titans
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GABRIEL OROZCO, jusqu’au 8 août, ROSEMARIE TROCKEL, jusqu’au 5 septembre, Kunstmuseum Basel, 16, St. Alban-Graben, Bâle, tél. 41 61 206 62 62, www.kunstmuseumbasel.ch, tlj sauf lundi 10h-18h
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Le choc des titans