Le bilan 2012 est encourageant

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2013 - 2093 mots

La réussite des grands musées parisiens masque une réalité plus contrastée à Paris et en régions. Globalement les musées résistent à la crise.

 Pris dans leur ensemble, les musées affichent une belle santé en 2012 malgré un contexte économique morose. Avec une progression de 2,7 % du nombre de leurs visiteurs, c’est moins que la hausse de 2011 (5,4 %) mais cela reste très satisfaisant. Surtout si l’on compare ce chiffre avec la baisse du nombre d’entrées dans les cinémas en 2012 (-5,9 %) et plus encore dans les théâtres privés (-10,2 %). 38,9 millions de visiteurs se sont donc rendus dans les 320 musées qui ont répondu à l’enquête. La progression est cependant plus limitée s’agissant des visiteurs payants ( 1,7 %). Sans surprise, avec des courbes de fréquentation orientées à la hausse, tout le reste suit. Les recettes commerciales (274 millions d’euros) grimpent de 6,1 %, les cartes d’adhérents (228 000 membres) augmentent de 3,5 % tandis que les locations privatives (4 153) explosent, en progression de 39 % par rapport à l’an dernier. Mêmes les recettes de mécénat, mises à mal par les menaces récurrentes de rabotage de l’avantage fiscal et les difficultés économiques des entreprises ne subissent qu’une petite baisse de 5 % à 55,7 millions d’euros.
Alors tout va bien dans le paysage muséal français ? Oui et non, car en entrant dans les détails, apparaît une réalité un peu moins rose. Ainsi, sans compter les quatre plus importants musées parisiens, la fréquentation baisse de 2,28 %. C’est qu’ils pèsent lourd ces quatre musées dans le paysage français, près de la moitié de la fréquentation totale (49 %). Et eux s’en sortent très bien avec 7 % de visiteurs en plus et une progression de 5,7 % des visiteurs payants.

Les touristes et le public scolaire dans la balance
Leur succès repose d’abord sur une manne qui ne semble pas se tarir : les touristes. 29 millions de touristes sont venus à Paris en 2012, en hausse de 1 % par rapport à 2011, et comme leur guide de voyage recommande la visite d’un ou deux grands musées, ces derniers s’exécutent et en profitent. Les touristes constituent en effet 57 % du nombre total de visiteurs du top 4. À ce gisement, s’ajoute celui des expositions temporaires grand public. « Matisse », « Degas », « l’Impressionnisme et la mode », « Gerhard Richter » ont approché les 500 000 visiteurs tandis que la « Sainte Anne » de Léonard de Vinci a conquis 300 000 visiteurs au Louvre.
L’évolution de la fréquentation reflète les moyens des tutelles des musées, c’est-à-dire en grande majorité les villes. Ainsi la fréquentation dans les grandes villes (plus de 200 000 habitants) augmente de près de 10 % et de 5,5 % dans les villes moyennes (entre 20 000 et 200 000 habitants) tandis qu’elle baisse de 7 % dans les 139 musées répondants à l’enquête des villes de moins de 20 000 habitants. Dans cette catégorie, si l’on met à part le château de Fontainebleau, atypique, la fréquentation moyenne est de 76 visiteurs par jour, ce qui n’est pas beaucoup. Dans la catégorie intermédiaire, elle est de 150 visiteurs par jour. En semaine, de nombreux musées sont vides, constituant une opportunité pour les mairies dans la mesure où le coût d’un nouveau visiteur est marginal par rapport aux dépenses fixes induites par l’ouverture du musée.
C’est ici que devraient se concentrer les moyens publics alloués à l’éducation artistique. Les coûts des cars scolaires et des médiateurs sont faibles en proportion des coûts généraux des musées, l’effet de levier sur une « fréquentation d’avenir », comme on pourrait appeler ces scolaires, est en revanche maximum. D’ailleurs de nombreuses villes l’ont bien compris. Les scolaires représentent en moyenne 9,3 % du public des musées avec des pointes à 49 % pour le Musée des beaux-arts de Cambrais, 41 % pour le Musée site archéologique de Saint-Romain-en-Gal ou le Musée des beaux-arts de Dôle.

Les élus investissent dans leurs musées
Pour autant, la baisse conjoncturelle de la fréquentation, qui touche 128 musées parmi les répondants ne remet pas en cause le formidable dynamisme des musées depuis une vingtaine d’années. Les élus locaux ont tous pris conscience que ce sont des vecteurs d’image et d’attractivité pour leur ville et n’hésitent plus à investir des millions d’euros. Cette année encore, la liste des musées fermés partiellement ou totalement pour des travaux de rénovation ou d’agrandissement est édifiante : les musées de beaux-arts de Marseille (qui doit enfin ouvrir ce mois-ci), de Nantes, de Dijon, de Pont-Aven, le Musée Bonnat à Bayonne, le Musée Dobrée à Nantes, le Musée Picasso à Paris, le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence. Sans compter les nouveaux musées : le Musée Soulages à Rodez (ouverture prévue en novembre 2013), la Fondation Louis Vuitton à Paris (octobre 2014), le Musée des confluences à Lyon (février 2014). Chaque projet vise à mieux mettre en valeur les collections tout en offrant une large palette de services aux visiteurs afin de les fidéliser. En 2012, 62 % des musées disposent d’une librairie, 23 % d’une cafétéria, 39 % d’un auditorium afin d’y organiser des conférences (16 500 conférences).
Mais ces facilités restent subsidiaires par rapport à l’attente première du public : les expositions temporaires. Malgré les contractions budgétaires, leur nombre reste élevé, plus de 1 000 expositions organisées dont 441 avec un catalogue (indiquant une exposition importante) soit une petite hausse – mais une hausse quand même – de 2 % par rapport à l’an dernier. Contre toute attente, les budgets alloués à la production de ces manifestations ont crû de 3 % pour s’établir à 80,9 millions d’euros. Cela ne veut pas dire qu’ici ou là, les institutions n’ont pas dû supprimer une exposition ou réduire son ampleur, mais dans l’ensemble il y en a toujours autant, sinon plus.
Ce phénomène s’explique aisément, il faut créer l’événement pour entretenir la notoriété d’un lieu, d’autant plus qu’avec la multiplication des espaces, une forme de concurrence se fait jour. On peut raisonnablement parier sur la poursuite de cette abondance dans les années qui viennent, qui irait de pair avec un contrôle plus serré des coûts et des propositions. Alors que le coût moyen des dépenses d’exposition est de 15 € par visiteur payant, il est de 7,40 € pour le Musée de Grenoble qui fait un retour remarqué dans notre palmarès, alors qu’il est de 23 € pour le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, voire de 43 € pour le Carré d’art de Nîmes.

Des conservateurs mécontents
Cependant cette programmation foisonnante ne fait pas le bonheur de tous. Plusieurs conservateurs dénoncent une surenchère du spectaculaire au détriment des expositions de fonds, mais aussi de leurs missions habituelles scientifiques, par exemple le récolement décennal des œuvres dont le premier doit être achevé en juin 2014. Or à ce jour, 37 % des 8,5 millions d’œuvres de nos répondants ont été localisées, inventoriées et évaluées. Si certains ont terminé avant l’heure (le Quai Branly, Orsay, Les Abattoirs et le Musée des Augustins à Toulouse), d’autres sont à la peine : le MBA de Rouen (9 %), le LaM de Villeneuve d’Ascq (10 %), le Palais des beaux-arts de Lille (13 %). L’Association générale des conservateurs des collections publiques de France, animée par Christophe Vital, conservateur en chef des musées de Vendée pointe dans un rapport non publié sur « les conséquences de la Révision générale des politiques publiques sur les musées de France », un « corps des conservateurs du patrimoine en voie d’extinction » et appelle à une augmentation des effectifs. Selon le panel du Palmarès, le personnel scientifique est stable (2083) avec une légère augmentation du nombre de conservateurs. Les technocrates (ou plutôt les communicants) du ministère de la Culture, eux, ont trouvé un autre remède pour aider les conservateurs en place : « ralentir le rythme d’accroissement des collections pour achever le récolement en 2014 » (PLF 2013, page 17). C’est raté, puisqu’en 2012, les collections publiques ont augmenté d’un petit 1 % (pour 100 millions d’euros). Le ministère va-t-il aller jusqu’à interdire les dons d’œuvres (70 % des sources d’enrichissement) pour faciliter le récolement de l’existant ?

Méthodologie

Cette enquête a été réalisée d’avril à mai 2013, via un questionnaire adressé à 600 musées (de beaux-arts, d’archéologie et d’histoire nationale). Parmi ces institutions, 340 ont répondu et 320 sont classées. Les musées fermés au public (le plus souvent pour travaux) sont absents de ce palmarès. La méthodologie a été entièrement revue grâce à une enquête réalisée auprès d’une cinquantaine de musées en novembre 2012 et un audit du calcul des points effectué par la Junior entreprise de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique. Les résultats reposent sur 61 critères d’évaluation, auxquels ont été attribués un coefficient allant de 1 à 3. Les réponses oui/non sont notées 5 points. Les questions quantitatives sont notées de 1 à 15, selon la méthode des quintiles avec un lissage des notes dans chaque quintile pour éviter les effets de seuil. Les informations non communiquées sont comptées pour nulle et affectent donc la notation globale. De nombreuses données quantitatives ont été relativisées (par rapport au nombre d’habitants, au nombre de visiteurs, à la superficie du musée) afin de les évaluer plus pertinemment. Les 61 critères sont répartis en quatre catégories. Le type de critère (O/N : Oui/Oui, Q : quantitatif, R : relatif) et le coefficient sont indiqués dans la parenthèse.

Accueil du public : Label Musée de France (O/N, 1), Nombre total de journées d’ouverture (Q, 1), Nombre de nocturnes (Q, 1), Tarif plein (Q, 2), Prix de l’audioguide dans le billet d’entrée (O/N, 1), Nombre de jours gratuits dans l’année (Q, 1), Publication et envoi par courrier d’un programme (O/N, 1), Librairie d’une surface supérieure à 10 m² (O/N, 1), Cafétéria supérieure à 20 m² (O/N, 1), Accès aux handicapés moteurs sur plus de 70 % de la superficie, rapporté à la superficie (R, 1), Fiche explicative à disposition dans chaque salle (O/N, 1), Nombre de fiches en langues étrangères (Q, 1), Nombre d’adhérents par rapport au nombre d’habitants dans la ville (R, 1), Nombre d’adhérents à l’association des amis par rapport au nombre d’habitants (Q, 1), Auditorium (O/N, 1), Site internet autonome (O/N, 1), Nombre d’internautes en décembre 2012 par rapport au nombre de visiteurs (R, 1), Évolution du nombre d’internautes (Q, 1), Nombre de Fans Facebook (Q, 1).

Médiation : Nombre total de visiteurs (Q, 1), Taux de visiteurs payants (R, 2), Nombre de visiteurs gratuits /au nombre d’habitants (R, 1), Évolution du nombre de visiteurs (R, 3), Nombre de scolaires par rapport au nombre d’habitants (R, 2), Nombre d’entrées gratuites aux moins de 26 ans par rapport au nombre d’habitants (R, 1), Plan de visite remis gratuitement (O/N, 1), Audioguide (O/N, 1), Nombre de visites guidées à télécharger sur un smartphone (Q, 1), Salle dédiée au jeune public (O/N, 1), Effectif d’accueil et de surveillance par 100 m² (R, 2), Nombre de médiateurs par 100 m² (R, 1), Nombre d’écrans tactiles par 100 m² (R, 1), Nombre de conférences (Q, 1), Nombre de participants aux conférences par rapport au nombre d’habitants (R, 1), Nombre de nouveaux publics (Q, 1)

Collection : Nombre d’œuvres dans la collection (Q, 1), Nombre de peintures (Q, 1), Nombre de sculptures ou installations (Q, 1), Nombre d’œuvres prêtées (Q, 1), Nombre d’œuvres prêtées à des musées étrangers (Q, 2), Valeur des nouvelles acquisitions (Q, 2), Valeur des acquisitions entrées par libéralités, mécénat (Q, 1), Effectif rattaché à la conservation (Q, 1), Nombre de conservateurs (Q, 1), % d’œuvres récolées (R, 1), Catalogue des collections (O/N, 1), Nombre de nouveaux ouvrages sur le musée édités dans l’année (Q, 1), % d’œuvres numérisées (R, 1), Nombre de chercheurs (Q, 1), Superficie des réserves par rapport à la superficie totale (R, 1).

Expositions : Surface totale des salles d’exposition (Q, 1), Nombre d’expositions temporaires (Q, 1), Nombre d’expositions coproduites (Q, 1), Nombre d’expositions avec catalogue (Q, 1), Nombre d’expositions hors les murs (Q, 1).

Gestion : Recettes commerciales par rapport au nombre de visiteurs (R, 2), Évolution des recettes commerciales (R, 1), Évolution des recettes de mécénat (R, 1), Nombre de locations privatives (Q, 1), Dépenses de restauration des œuvres (Q, 1), Dépenses pour les expositions temporaires par rapport au nombre de visiteurs payants (R, 2).

Dans la mesure où certains musées n’ont pas répondu en 2012 ou en 2011, toutes les évolutions globales sont calculées à périmètre constant, mais les données indiquées concernent tous les musées répondants.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : Le bilan 2012 est encourageant

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