États-Unis - Archives

L’avenir des “œuvres d’art nazies”? en question

Un fonds d’archives photographiques et quatre aquarelles de Hitler au centre d’un procès retentissant

Par LeJournaldesArts.fr · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 1995 - 1059 mots

NEW-YORK / ÉTATS-UNIS

Un juge fédéral de Houston (Texas) vient de condamner le gouvernement américain à payer 7,9 millions de dollars (environ 41 millions de francs) de dommages et intérêts à Billy Price, l’ayant droit des héritiers de Heinrich Hoffman, le photographe de Hitler. Ce jugement démontre que les œuvres d’art saisies en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et détenues depuis par les États-Unis, ne rentrent pas systématiquement dans la catégorie des “œuvres d’art nazies”? (lire encadré). Cette décision pourrait augurer d’autres procès en restitution émanant des héritiers des anciens responsables du régime nazi.

NEW YORK (de notre correspondant) - Magnat américain du pétrole, Billy Price collectionne les peintures de Hitler. Il est également l’auteur d’un Adolf Hitler, l’artiste inconnu, publié à compte d’auteur. Après s’être associé à l’action intentée contre le gouvernement américain par les héritiers de Heinrich Hoffman, le photographe de Hitler – pour récupérer un important fonds d’archives photographiques d’environ 1,5 million de clichés, ainsi que quatre aquarelles de Hitler offertes par ce dernier à Hoffman –, Billy Price a bénéficié d’un transfert des droits de propriété, de la part des héritiers, avant que ceux-ci ne décèdent.

Aux dires de Price, qui accuse le gouvernement d’avoir fait traîner l’affaire, ni les tableaux, ni les photographies incriminées ne relèvent de la catégorie des “œuvres d’art nazies”, seul élément qui aurait justifié leur confiscation par le gouvernement américain, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Pillés par les correspondants de Time-Life
À Nuremberg, Hoffman avait été condamné à une peine de prison et privé de 80 % de ses biens, à l’exclusion des aquarelles de Hitler. À sa mort, en 1957, ses titres de propriété furent transmis à ses enfants, Henrietta Hoffman von Schirach et Heinrich Hoffman Jr. Ceux-ci ont fait valoir qu’à sa sortie de prison, en 1950, leur père savait que les Américains avaient saisi les aquarelles. En revanche, aucun des héritiers n’a su où les tableaux se trouvaient jusqu’en 1982, date à laquelle Billy Price leur a fait parvenir une brochure de l’US Army dans laquelle les aquarelles étaient représentées.

Au sujet des archives photographiques, Heinrich Hoffman Jr s’était entendu assurer à plusieurs reprises qu’elles lui seraient retournées dès que possible, mais que l’US Army les garderait aussi longtemps que nécessaire. En 1971, de passage à Washington, il vit les clichés exposés sous la mention “collection Heinrich Hoffman” aux Archives nationales et entreprit alors des démarches pour rentrer en possession des clichés.

Un second lot d’archives est entreposé dans une base de l’US Army, en Pennsylvanie. Selon les pièces du procès, ces clichés ont été “pillés par des correspondants de Time-Life, en 1945, dans un château d’Allemagne”. Certains d’entre eux ont été restitués aux plaignants, à la suite d’une décision de justice à l’encontre de Time-Life, qui écartait Billy Price des tractations.

Les héritiers Ribbentrop ou Goering
Pour justifier la position de l’armée, les avocats américains ont déployé une batterie d’arguments, que la Cour a invalidé en 1989. Ils se sont d’abord prévalu de l’immunité contre toute action intentée par des ressortissants allemands à propos d’œuvres d’art saisies par les Alliés en temps de guerre. Puis, ils ont allégué que les œuvres étaient “probablement propriété de l’Allemagne”, ce qui autorisait leur confiscation.

Enfin, ils ont avancé que les quatre aquarelles de Hitler pouvaient constituer “des points de ralliement pour une renaissance possible du nazisme”. Une position d’autant plus difficile à soutenir que la brochure de l’US Army où les œuvres avaient été publiées les décrivait comme des “scènes inoffensives et plaisantes”.

Dans sa décision, la Cour a accusé le gouvernement américain de “dénigrement politique” et réduit l’affaire à “un simple différend sur le droit à la propriété personnelle”.

Il reste que le jugement ne contraint pas les autorités américaines à remettre les aquarelles et les photographies à Billy Price. Selon un avocat de l’armée, le montant obtenu par Price – 7,9 millions de dollars (43,3 millions de francs) – s’apparenterait à une compensation financière. Le gouvernement américain ayant fait appel de cette décision, un jugement définitif devrait intervenir dans les soixante jours.

Les experts prévoient que ce procès devrait encourager d’autres héritiers de notables nazis à entreprendre des actions similaires aux États-Unis, comme les héritiers de von Ribbentrop, mais aussi la famille de Goering, dont le bâton de maréchal et d’autres effets personnels se trouvent dans le Musée de l’Académie militaire de West Point.

Le sort des “œuvres d’art nazies”? saisies en Allemagne

Les États-Unis conservent des centaines d’”?œuvres d’art nazies”?, exaltation des dignitaires et de la politique du régime, saisies en Allemagne pendant ou après la Seconde Guerre mondiale. Ces “œuvres”? ont été rassemblées conformément aux accords de Potsdam, en 1945, qui stipulaient que toutes les œuvres d’art et tous les symboles pouvant évoquer la tradition militaire de l’Allemagne nazie devaient être confisqués ou détruits.
Au terme de ces accords, ni l’Allemagne, ni les citoyens allemands n’avaient le droit de réclamer des objets saisis en application de ces conventions. Estimant que leur valeur de propagande restait intacte, rapporte Marylou Gjernes, conservateur de l’US Army Art Collection, la plupart des objets rapportés aux États-Unis s’y trouvent encore. Ainsi, sept toiles – y compris Le porte étendard : Hitler en armure, par Hubert Lanzinger – ont quitté Washington pour l’exposition “Berlin-Moscou – Moscou-Berlin, 1900-1950”? à la Berlinische Galerie, avant de gagner Moscou au début de 1996 (lire article page 18).

Quatre cents “œuvres”? environ sont conservées dans l’US Army Art Collection, à Washington. On y trouve des représentations de Hitler en héros, des évocations romantiques des grand-messes nazies, mais aussi des bandes dessinées antisémites et de pures scènes de barbarie. L’US Air Force détient une autre centaine de tableaux au Pentagone et sur la base Wright Patterson, à Dayton dans l’Ohio.
Pendant plus de vingt ans, ces collections n’avaient guère attiré l’attention, mais vers la fin des années soixante-dix, le gouvernement ouest-allemand a introduit une requête pour le retour d’un certain nombre d’œuvres, dont quelques-unes étaient réclamées par les artistes eux-mêmes ou par leurs héritiers. En 1978, le Musée naval de Bremerhaven a ainsi récupéré dix marines ; en 1992, plus de 6 000 œuvres ont été renvoyées en Allemagne, après examen d’un comité du Congrès qui n’a retenu que les œuvres de propagande présentant favorablement Hitler et le mouvement nazi. Les tableaux rendus sont aujourd’hui conservés dans le Musée de l’armée bavaroise, à Ingolstadt.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°18 du 1 octobre 1995, avec le titre suivant : L’avenir des “œuvres d’art nazies”? en question

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