Laurent Salomé, le premier directeur scientifique de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, évoque ses missions et projets.
Laurent Salomé assure depuis tout juste un an la direction scientifique de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP). Il est le premier à occuper ce poste spécialement créé au sein de la nouvelle entité parisienne. Ancien directeur du Musée des beaux-arts de Rennes, Laurent Salomé est surtout connu pour avoir dirigé pendant dix ans les Musées de Rouen. Le succès de l’exposition « Rouen, une ville pour l’impressionnisme », dans le cadre de la première édition du festival « Normandie impressionniste » en 2010, a confirmé son talent de scientifique capable d’organiser des expositions grand public. Laurent Salomé commente l’actualité.
Maureen Marozeau : Pourriez-vous définir ce rôle de directeur scientifique de la RMN-GP ?
Laurent Salomé : Le président, Jean-Paul Cluzel, voulait conforter l’établissement dans son rôle d’interlocuteur naturel de la communauté des musées français et internationaux. Malgré la présence d’un conseiller scientifique responsable de la programmation, la RMN ne confiait plus de rôle stratégique fort à un conservateur. Je dois assumer ma responsabilité scientifique pour construire la programmation, mais c’est d’abord en suscitant des échanges permanents avec les musées et les historiens de l’art. Nous sommes loin d’un rôle de prestataire de service qui ne s’occupe que d’affaires techniques ou financières. Disposer désormais d’un lieu associé à la RMN change aussi la donne : le Grand Palais devient un lieu d’expérimentation, où l’on réfléchit à l’avancée de l’histoire de l’art et au désir du public. Outre ce travail de programmation, la direction scientifique englobe toutes les activités de production des expositions et joue un rôle d’« irrigation » à travers les diverses activités de l’établissement.
M. M. : Comment ce rôle de coordination se concrétise-t-il ?
L. S. : Mon rêve est que la RMN-GP (re)devienne un carrefour d’idées, un partenaire pour tous les musées désireux de monter des projets, in situ, au Grand Palais ou au Musée du Luxembourg. Dans certains cas, ce sont nos collègues qui nous sollicitent, comme le Musée du château de Malmaison qui célébrera à Paris le bicentenaire de la mort de Joséphine en 2014. Mais nous lançons aussi des projets indépendants – une rétrospective sur Élisabeth Vigée-Le Brun me tenait à cœur depuis longtemps et devrait voir le jour à la fin 2015. Avec le Louvre, Orsay, le Centre Pompidou, le Musée Guimet, nous avons mis en place une pratique de rencontres régulières sur nos programmes et nos souhaits respectifs, pratique qu’il faudra étendre à d’autres institutions.
M. M. : Quelle politique d’exposition entendez-vous mener, notamment au Musée du Luxembourg ?
L. S. : Le Musée du Luxembourg est un cas très particulier. Pour répondre aux attentes du Sénat, le cahier des charges impose deux axes principaux : la Renaissance et « Art et pouvoir ». Auxquels s’ajoute tout ce qui touche à l’histoire du Palais et de l’ancien musée du Luxembourg. L’approche de la Renaissance sera renouvelée, ce qui n’est pas chose facile : les œuvres sont fragiles, et beaucoup d’institutions sont actives dans le domaine. Mais le sujet est riche, et le format particulier du musée permet des visions concentrées – sans pour autant faire des expositions-dossiers savantes. L’exposition « Cézanne et Paris » est exemplaire à ce titre : un sujet complètement nouveau concernant un artiste suffisamment célèbre pour toucher un large public ; dans quelques jours, « Cima da Conegliano, maître de la Renaissance italienne » [à partir du 5 avril] sera une découverte, mais éblouissante. Cette recherche d’équilibre est nécessaire pour le Grand Palais, dont les frais d’exploitation et de production élevés ne peuvent s’accommoder de manifestations confidentielles. Son gigantisme est un élément à prendre en compte : il faut éviter d’y faire de la recherche fondamentale ou de montrer un peintre de second ordre. La liberté est tout de même assez grande. Quel est l’intérêt d’un directeur scientifique si l’on n’a pas pour objectif de défricher, d’explorer ?
M. M. : L’exposition « Helmut Newton », que l’on verrait plus au Jeu de paume, y a-t-elle vraiment sa place ?
L. S. : C’est un projet typique de la programmation des nouveaux espaces inaugurés il y a peu avec « Game Story ». Cette galerie sud-est permet une certaine souplesse, une diversification des périodes et des supports : l’art contemporain était, sans raison valable, très peu présent jusqu’à récemment au Grand Palais. Nous allons y travailler en concertation avec le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo et le Jeu de paume, entre autres institutions. Il est de ma responsabilité de créer un dialogue permanent entre tous ces interlocuteurs – ce qui peut paraître évident, mais qui n’était pas si simple jusqu’à présent.
M. M. : Des projets vous sont-ils néanmoins imposés ?
L. S. : Nous pouvons produire des manifestations voulues par le ministère de la Culture. « La France en relief », organisée avec la Maison de l’histoire de France dans la nef du Grand Palais, en est l’exemple. On nous demande aussi de participer à des saisons croisées. Mais ce type d’événement reste assez marginal.
M. M. : Comment s’est effectuée la transition entre Rouen et la RMN-GP ?
L. S. : Elle a été si frénétique que je ne l’ai pas vue passer. Curieusement, je ne regrette pas du tout de ne plus être à la tête d’une collection. Je ne ressens pas de privation. Le contact avec les œuvres est le même, qu’il s’agisse d’organiser une exposition ou de gérer une collection. Au contraire, je vois des collègues dont les spécialités ne me concernaient pas lorsque j’étais à Rouen. Tout ce travail avec les musées SCN (services à compétence nationale), les projets en France et à l’étranger, la réflexion sur la programmation, impliquent sans arrêt un regard sur les collections.
M. M. : Vous tournez donc le dos aux aspects techniques inhérents à la direction d’un musée…
L. S. : Cela ne me manque pas beaucoup. Tout directeur de musée vous dira que le travail scientifique est réduit à la portion congrue. Cela dit, la liberté de conception est totale. On tient une maison, on se sent responsable des moindres détails, et voir les visiteurs ressortir avec le sourire a quelque chose de profondément satisfaisant. Je suis désormais un observateur, mais je reste très sensible à la vie des musées de régions. Et je suis certain que de plus en plus de partenariats pourront voir le jour, à l’image de celui monté avec « Marseille 2013 » [« Le Grand atelier du midi » à Aix-en-Provence et à Marseille], du MuCEM, ou du festival Normandie impressionniste qui a demandé notre soutien pour sa deuxième édition.
M. M. : Un rôle de commissaire d’exposition est-il exclu ?
L. S. : Avec ma charge de travail actuelle, je ne peux même pas l’imaginer ! Mais il n’y a pas de raison de l’exclure a priori. J’espère surtout que la direction scientifique va s’étoffer : il existe une vraie demande de la part des musées, et le travail est titanesque.
M. M. : Comment ressentez-vous la différence entre les deux structures sur le plan administratif ?
L. S. : J’ai toujours eu la chance d’être très libre dans les postes que j’ai occupés en région. D’autres ont eu des expériences plus difficiles… Je n’ai jamais souffert de la rigidité de la gestion en régie directe. À Rouen, nous parvenions à travailler d’une manière assez moderne et rapide. La différence avec un établissement public comme celui-ci ne se fait pas sentir. Comme beaucoup de collègues, j’avais l’image d’une RMN rigide. J’ai été surpris par sa souplesse et sa réactivité. Le département des expositions est une machine de guerre impressionnante. La vraie différence réside dans la diversité des métiers – l’édition, les boutiques…
M. M. : Quels aspects de votre candidature ont, selon vous, joué en votre faveur ?
L. S. : Je crois avoir compris que Jean-Paul Cluzel cherchait quelqu’un qui soit capable de dialoguer facilement avec autrui. On ne m’a pas fait de compte rendu détaillé des raisons pour lesquelles je pouvais convenir à ce poste. Tout cela est le résultat d’une série d’entretiens, et le courant est passé. Je n’ai pas rédigé de projet. D’ailleurs, je suis très surpris de cette manie que l’on a de demander aux candidats aux postes de conservation ou de direction de musée de rédiger un projet. Pourquoi demander à quelqu’un qui vient d’ailleurs d’avoir une idée préconçue de l’essence même et de la vocation profonde de l’institution ? Je trouve ce procédé tout à fait absurde.
M. M. : Qu’en est-il de la volonté de développement à l’international de l’ancien administrateur général de la RMN, Thomas Grenon, qui avait répondu à un appel d’offres en Italie ?
L. S. : Le développement à l’international, sous la forme de filiales, n’est plus d’actualité. Pour l’instant, il y a une vraie volonté de consolider et de redéfinir notre cœur de métier en France et dans des coproductions avec les grands musées étrangers. Là aussi, le dialogue essaie de se faire plus régulier et plus diversifié. Quelques grands professionnels étrangers font partie de notre nouveau conseil d’orientation stratégique. On y discute en profondeur de l’avenir de nos activités, des publics, de la révolution numérique.
M. M. : Quelle exposition vous a-t-elle le plus marqué récemment ?
L. S. : La rétrospective des peintures d’Ilya Kabakov au Sprengel Museum de Hanovre. J’ai trouvé merveilleux de voir un artiste conceptuel aussi radical se révéler sous les traits d’un peintre véritable qui regarde Rembrandt droit dans les yeux. [J’ai aussi aimé] l’exposition toute simple des dessins de Claude au Musée du Louvre [« Claude Lorrain. Le dessinateur face à la nature »] avec la collection sublime du Teylers Museum à Haarlem (Pays-Bas). Quelques études d’arbres peuvent vous donner la brusque impression d’être en vie.
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Laurent Salomé : « Que la RMN-GP redevienne un carrefour d’idées »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°365 du 16 mars 2012, avec le titre suivant : Laurent Salomé : « Que la RMN-GP redevienne un carrefour d’idées »