Réclamées par les uns, décriées par les autres, les interventions de l’État dans le domaine artistique ne cessent de susciter les passions. Faut-il laisser les créateurs seuls face au marché ou, au contraire, leur apporter une aide publique ? À cette question qui se pose aujourd’hui peut-être avec une plus grande acuité qu’hier, il n’existe assurément pas de réponse universelle, les approches d’un pays à l’autre étant évidemment tributaires de traditions que tout oppose, les achats royaux en France ou en Angleterre n’ayant, par exemple, pas eu d’équivalent aux États-Unis. Et dans notre pays, l’art a souvent été une affaire d’État, de François Ier à François Mitterrand. Cependant, les idées reçues sur le sujet ont la vie dure quand on examine plus précisément la réalité des chiffres. Petit tour d’horizon des politiques étatiques en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
“Aide publique” ne rime pas nécessairement avec “art officiel”. Au Royaume-Uni, les gouvernements successifs sont restés fidèles au principe de “non-ingérence”, mais versent tout de même de confortables subventions à des organisations autonomes : le ministère de la Culture finance l’Arts Council of England, et le ministère des Affaires étrangères le British Council. Ces deux institutions sont relativement indépendantes et peuvent arbitrer la répartition des fonds en fonction de critères artistiques et non politiques. Des 144 millions de livres sterling (1,44 milliard de francs) accordés en 1998 par l’Arts Council of England, 10 millions (7 %) sont allés aux arts plastiques et à la photographie, distribués en Angleterre par l’Arts Council lui-même et par dix conseils régionaux des Arts. Il existe plusieurs Arts Council, mais celui d’Angleterre dispose pour lui seul de 80 % des fonds gouvernementaux. Outre les subventions du ministère de la Culture, l’Arts Council of England gère aussi le “Lottery Fund” destiné à subventionner les arts, soit actuellement 200 millions de livres par an, dont 25 millions – 13% – sont attribués aux arts plastiques. De plus, le British Council dépense environ 1,8 million de livres pour les arts visuels.
En France, c’est la Délégation aux Arts plastiques (DAP), au sein du ministère de la Culture, qui est chargée de la répartition des différentes aides, souvent par des commissions où siègent critiques d’art indépendants, artistes, collectionneurs, directeurs d’institutions... En 1998, son budget total, pour les différentes interventions publiques, s’est élevé à 315,28 millions de francs. La DAP réserve chaque année une enveloppe – 237,8 millions en 1998 – qui est répartie dans les différentes régions afin de soutenir les artistes, acquérir des œuvres, réaliser des travaux pour des ateliers, des centres d’art ou même dans les écoles d’art. Aux États-Unis, les fonds artistiques publics sont gérés par le National Endowment for the Arts (NEA). Après une “guerre culturelle” qui semble aujourd’hui apaisée, son budget de 98 millions de dollars (607 millions de francs) devait être reconduit sans difficulté par un vote du Congrès, le 8 septembre. Il correspond cependant à une très faible proportion du budget de l’État américain, environ 0,1 %. Mais, comme souvent dans les pays fédérés – à l’exemple de l’Allemagne ou de la Suisse –, les aides fédérales sont moins importantes que celle des États. Le Congrès a demandé à ce que 40 % des fonds du NEA soient versés aux cinquante agences artistiques des États américains, dont les budgets se sont élevés à 370 millions de dollars pour l’année budgétaire 1999. Les agences artistiques locales ont dépensé l’an dernier environ 700 millions de dollars.
Des ateliers aux bourses
Passée la sortie des écoles d’art, dont l’enseignement est en général assuré grâce aux deniers publics, les États disposent d’une grande latitude d’action, tout au long de la carrière des créateurs : aide aux expositions, édition d’une publication, achat d’œuvres pour des collections, commandes pour l’espace public, bourses pour des séjours à l’étranger, aides à la production, ateliers subventionnés. Ces différentes interventions peuvent se classer en trois catégories : le soutien à la création, les achats et commandes, la promotion et la diffusion.
Le soutien à la création commence souvent par le b.a.ba : permettre aux artistes de disposer d’un atelier. En France, la Délégation aux Arts plastiques et la Ville de Paris mènent dans ce domaine, et depuis des années, une politique de construction et de subvention. En 1998, la DAP a accordé un budget de 3 millions de francs aux ateliers, auxquels s’ajoute 1,95 million en allocations d’installation. L’État participe également au financement de la construction d’ateliers d’initiative privée, comme ceux de l’association “La Source”, à La Géroulde, en Normandie. Le ministère verse aussi des aides aux artistes pour des résidences temporaires : 130 en ont bénéficié en 1998. Enfin, des subventions individuelles sont attribuées, dans les régions, à des plasticiens qui souhaitent aménager eux-mêmes leur atelier. De son côté, la Direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris a réservé un budget de 2,6 millions de francs aux ateliers d’artistes, en 1997. Elle a, dans le même temps, apporté une subvention de 2 749 500 francs à la Cité internationale des arts, qui comprend 195 ateliers-logements pour les plasticiens. Si le Royaume-Uni ne porte que peu d’attention à ce poste, les gouvernements des États américains prévoient des avantages fiscaux pour les ateliers, et aident les artistes à trouver des lieux de travail.
En France, pour les aides directes aux artistes, allocations et bourses, le Fonds d’incitation à la création (Fiacre) de la DAP disposait en 1998 d’un budget de 5,078 millions de francs, dont 2,919 millions en crédits déconcentrés ; les 22 Directions régionales des Affaires culturelles ont ainsi attribué 115 subventions. Des allocations de recherches en France et à l’étranger ont, par exemple, été accordées à dix projets d’artistes, pour un total de 540 000 francs – un programme identique existe aussi pour les photographes (360 000 francs pour 8 allocations). Dans le domaine des nouveaux médias, les artistes peuvent recevoir un soutien pour la création et la réalisation d’œuvres spécifiques, comme les cédéroms. Une commande publique d’un type nouveau a même été lancée sous la forme de créations sur l’Internet, le projet “Entrée libre” bénéficiant d’une enveloppe de 300 000 francs. Au Royaume-Uni, les artistes vivants sont – en apparence – peu soutenus directement par l’État. Pourtant, certains obtiennent parfois une subvention, et des conseils artistiques régionaux accordent des aides individuelles. De plus, un autre “National Lottery Fund” vient d’être créé pour les jeunes artistes, le National Endowment for Science, Technology et the Arts (NESTA). L’Arts Council a décrété l’an 2000 “Année de l’artiste”. Parmi les mesures annoncées, mille bourses seront attribuées à des créateurs dans tous les domaines, des arts plastiques aux arts du spectacle, pour leur permettre de travailler pendant un an dans des lieux précis. L’objectif de ce projet, organisé de juin 2000 à mai 2001 et doté d’un budget de 5 millions de livres, est de sensibiliser l’opinion “au rôle et au statut de l’artiste dans la société”. La bourse de “l’Année de l’artiste” sera de 20 000 livres. Enfin, le British Council a mis en place un système de bourses de 100 000 livres qui concerne 150 artistes par an. Aux États-Unis, après les violentes remises en cause dont le NEA a fait l’objet il y a quelques années, les bourses aux artistes sont passées de 7 millions à 1 million de dollars, tandis que le nombre de demandes annuelles dépassait les neuf mille, dont trois mille pour les arts plastiques. À la tête du NEA, Bill Ivey va d’ailleurs lancer une étude sur l’impact de cette réduction drastique sur la production des artistes. En réaction à cette baisse, de l’argent privé a commencé à remplacer les fonds publics. Des fondations comme Rockefeller et MacArthur continuent d’accorder des bourses aux plasticiens, mais peu offrent la diversité de celles versées auparavant par le NEA. “Creative capital” récemment créée, entend distribuer 500 000 dollars à soixante projets pour sa première année. “Nous pensons que le support fédéral est important, déclare son directeur exécutif, Ruby Lerner. Beaucoup d’artistes ont besoin que leurs œuvres soient subventionnées, parce que, avant d’être reconnus, le marché ne les soutient pas”. Certains prennent aussi pour exemple les fonds provenant de la Loterie anglaise, estimant qu’il s’agit là d’un système dont les Américains devraient s’inspirer. Selon les chiffres réunis par “Americans for the Arts”, les agences artistiques locales ont également affecté environ 259 millions de dollars aux aides individuelles aux créateurs.
Autres voies d’intervention, les achats et commandes ne profitent pas autant aux artistes qu’on pourrait l’imaginer. Les galeries prennent leur commission, et parfois les budgets des commandes publiques ne suffisent qu’à couvrir les frais. Si, depuis 1995, le “Lottery Fund” de l’Arts Council a financé les commissions d’arts plastiques – à hauteur d’environ 50 millions de livres –, les artistes touchent rarement directement les fonds distribués. L’Ange du Nord d’Anthony Gormley, à Gateshead, a par exemple coûté 800 000 livres. La somme a couvert la fabrication de cette sculpture d’acier de 200 tonnes, son montage et son installation sur le site. Mais le projet a été si coûteux, en temps et en argent, que Gormley n’est finalement pas rentré dans ses frais. Les gouvernements des États américains commandent également aux artistes des œuvres pour l’espace public urbain ou pour des sites spécifiques. En France, le budget de la commande publique s’est élevé à 18 millions de francs, en 1998.
S’y ajoutent, dans notre pays et au Royaume-Uni, un certain nombre de collections publiques qui ne sont attachées ni à des musées, ni à des centre d’art, et dont les œuvres peuvent être librement empruntées par des institutions ou viennent garnir les bâtiments appartenant à l’État. Ainsi, la collection du British Council, qui voyage principalement à l’étranger, a un budget annuel de 50 000 livres sterling pour des œuvres britanniques modernes et contemporaines. La collection de l’Arts Council bénéficie de 150 000 livres sterling par an pour l’art contemporain britannique. Enfin, la “Government Art Collection”, principalement dispersée dans les ministères et les ambassades, bénéficie de 100 000 livres sterling par an, dont la moitié pour des pièces contemporaines. À noter que ces collections, tout comme les commandes publiques, concernent uniquement, au Royaume-Uni, les artistes britanniques. En France, tradition de terre d’accueil oblige, les aides aux artistes ne sont pas attribuées sous condition de nationalité, et ne peuvent donc être considérées comme servant à promouvoir un art national, a fortiori un art officiel. Des créateurs allemands ou italiens, par exemple, disposent d’ateliers du ministère de la Culture, et l’on voit même régulièrement des “étrangers” résidant en France bénéficier de financements publics pour des expositions ou des séjours à l’étranger, actions pourtant les plus diplomatiquement sensibles. Ainsi, en 1998, avec son budget de 21 millions de francs, le Fonds national d’art contemporain (Fnac) a acquis 697 œuvres de 294 artistes vivants, français et étrangers.
Une allocation pour les plus de 60 ans
Le champ de la promotion et de la diffusion est souvent celui que les États privilégient. Les fonds de l’Arts Council sont en premier lieu consacrés à des expositions ou à des projets similaires ; de même, la majeure partie de la manne du “Lottery Fund” est attribuée aux commissions d’art public et à l’organisation d’expositions. La politique britannique vise non pas à apporter une aide aux artistes, mais à permettre à tout un chacun de se familiariser avec l’art, rejoignant ainsi, en quelque sorte, une mission de service public. En France, l’une des plus anciennes mesures en faveur des artistes est l’aide à la première exposition, introduite par Jacques Duhamel en 1972 : 800 000 francs sont distribués chaque année aux galeries qui montent la première exposition personnelle d’un jeune artiste. Une disposition semblable a été prise par la Mairie de Paris. La DAP participe également, à hauteur de 3 millions de francs par an, à l’organisation d’expositions. Elle réserve encore une enveloppe de 5 millions à la promotion des artistes français à l’étranger, en concertation avec la Direction des Affaires internationales du ministère de la Culture et l’Association française d’action artistique (Afaa), ministère des Affaires étrangères. Cette dernière dispose d’un confortable budget pour financer résidences et expositions de Français à l’étranger, à l’exemple de “Côte Ouest”, actuellement aux États-Unis. Le gouvernement américain verse aussi une subvention annuelle de 1,1 million de dollars pour financer la présence d’artistes nationaux dans les expositions internationales d’art contemporain ou dans le domaine du spectacle. Quant au British Council, il consacre environ 100 000 livres par an à l’organisation d’importantes expositions, comme celle de Gary Hume cette année à la Biennale de Venise. Au total, les dépenses du British Council pour les arts visuels se montent à environ 1,8 million de livres.
Au niveau de l’édition, l’Arts Council contribue financièrement à des publications sur l’art (comme les revues Art Monthly ou Frieze) pour un montant global annuel de 100 000 livres. En France, la DAP subventionne également l’édition de livres en langue française dans le domaine de l’art contemporain. En 1998, vingt-cinq enveloppes ont été distribuées, soit 1,37 million de francs, et. 1,14 million a aussi été affecté à des collections coéditées par le Centre national des arts plastiques.
À toutes ces aides, versées sur des considérations artistiques, s’ajoutent quelques mesures d’ordre plus social. Aux États-Unis, des États et des villes aident les artistes, notamment dans le domaine de l’assurance maladie. En Grande-Bretagne, une politique sociale a été développée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La DAP dispose, en France, d’une allocation de secours de 600 000 francs (en 1998). Plus surprenant, la Mairie de Paris verse une allocation de 7 500 francs par an aux artistes âgés de plus de 60 ans en situation précaire. En 1997, cent cinquante-quatre créateurs en bénéficiaient, pour un montant total de 1,176 million de francs. Ces interventions sociales, souvent surestimées, restent cependant marginales par rapport aux crédits disponibles pour les arts plastiques dans chacun de ces pays.
Débat au Café des Arts de la Fiac , le samedi 18 septembre de 17h30 à 19h30, “L’État et les artistes�?, avec Marjorie Allthorpe-Guyton (Director of Visual Arts, Arts Council of England), Guy Amsellem (Délégué aux Arts plastiques, ministère de la Culture et de la Communication), Gilbert Brownstone (galeriste).
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L’art et l’Etat, mariage de cœur ou de raison ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : L’art et l’Etat, mariage de cœur ou de raison ?