Une mutation profonde s’opère dans l’architecture qui regarde du côté de la nature pour expérimenter de nouvelles formes et de nouveaux modes de construction.
Depuis quelques années, écologie et développement durable obligent, l’architecture fabrique, à travers de nouveaux matériaux ou des fonctionnements sophistiqués, des bâtiments plus verts que nature. Certains architectes, un brin critiques envers cette mode du « durable », proposent, eux, de pousser le curseur d’un cran : ils ne se contentent plus de concevoir des édifices siglés « Haute Qualité Environnementale », mais expérimentent des modes de fabrication similaires à ceux existants dans la nature. Objectif : élaborer l’architecture de demain. Une quarantaine de projets pour le moins originaux, et parfois loufoques, sont réunis dans cette exposition intitulée « Naturaliser l’architecture », déployée au Frac Centre, à Orléans, à l’occasion de la 9e édition d’ArchiLab, manifestation dédiée à l’architecture prospective.
Comment les architectes peuvent-ils mettre en œuvre des processus qui évoluent selon des principes de croissance propres au règne du vivant ? En recourant à une nouvelle génération de logiciels de conception par ordinateur fondée notamment sur l’emploi d’algorithmes génétiques et de techniques de simulation organique. En clair : s’ouvrent désormais aux « expérimentateurs » – architectes, mais aussi artistes, designers ou stylistes – des champs d’investigation sans précédent et ceux-ci s’en donnent à cœur joie. Ainsi en est-il du duo Anouk Legendre et Nicolas Desmazières (agence X-TU) qui, avec Fresh City, implante, dans une zone inondable et soumise à de fortes chaleurs de la plaine du Var, une ville fictive dont les façades regorgent de micro-algues qui, à la fois, produisent de l’énergie par photosynthèse et deviennent supports de dispositifs dépolluants.
Tout modèle biologique est scruté en détail. Michael Hansmeyer a analysé les phénomènes de subdivision cellulaire et, grâce à la simulation informatique, revisite la classique colonne dorique pour créer un spécimen de 2,7 m de haut, Subdivided Columns, à partir d’un empilement de feuilles de plastique de 1 mm d’épaisseur et à l’aide d’une fraiseuse numérique. Ses colonnes arborent tant de contours irréguliers et de facettes par milliers qu’on les dirait naturelles, comme érodées par les éléments. Il n’en est rien évidemment. Avec Degenerate Chair, Daniel Widrig pense un tabouret dont les trois pieds semblent se propager en un maillage tridimensionnel qui forme l’assise, à la manière d’une voûte gothique. La styliste Iris Van Herpen, elle, a observé des micro-organismes tel le plancton pour élaborer, en impression 3D, la robe Hybrid Holism et le designer Joris Laarman la structure et la croissance des os pour concevoir le bien nommé fauteuil Bone.
La prospective est reine. Le tandem B U projette, à Lima (Pérou), un immeuble baptisé Animated Apertures [« ouvertures animées »] qui ressemble à une plante sous-marine. Ses « ouvertures » justement sont dotées de longues tiges flexibles en matériau composite qui, tels des cils, réagissent au vent ou au soleil et contrôlent l’ombre et la lumière pénétrant à l’intérieur de l’édifice. Thom Faulders, lui, imagine pour Dubaï (Émirats arabes unis) la tour GEOtube, dont la forme évolue en fonction du sel qui la recouvre et qui est présent en forte concentration dans les eaux de la région, le processus de cristallisation étant, ici, recréé artificiellement grâce à un système de brumisation.
L’utopie devenue réalité
Certains projets sont déjà sortis des cartons. Ainsi, Philippe Morel (agence EZCT) dessine de séduisantes structures de béton qui imitent le squelette d’une éponge de mer en optimisant l’usage de la matière par un affinage graduel du maillage. À Yeosu (Corée du Sud), dans le cadre de l’Expo 2012, le cabinet autrichien Soma a conçu, l’an passé, le pavillon One Ocean avec une façade cinétique évoquant le ressac. Sa ribambelle de lamelles se meut grâce à des mécanismes d’oscillation fondés sur des principes biomimétiques, régulant lumière naturelle, aération et ventilation. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’architecture apparaît soudain « vivante ». Ainsi en est-il aussi du pavillon « météosensitif » d’Achim Menges, baptisé Hygroskin, dont les « pores » réagissent à l’hygrométrie ambiante. Habillés de fines lamelles de bois, ils s’ouvrent ou se ferment telles les écailles d’une pomme de pin, le tout sans la moindre assistance électronique, comme si l’édifice lui-même était… animé. Sans paraphraser Lamartine, une question s’impose : l’architecture de demain aura-t-elle une âme ?
L’architecture de demain se fera-t-elle encore avec des architectes ? À voir certains des projets ici exposés, la question se pose indubitablement. Spécialiste en design informatique et chercheur au MIT (États-Unis), Skylar Tibbits expérimente les systèmes d’auto-assemblage, omniprésents dans la nature. Plutôt que de construire selon un mode traditionnel avec des unités disjointes assemblées par un bâtisseur, il imagine des structures composées d’éléments programmés susceptibles de s’assembler par eux-mêmes selon un schéma prévu. L’expérience 4D Printing: Multi-Material Shape Change montre un cube qui se construit tout seul sous l’eau, grâce à la pression du liquide et à un matériau intégrant une logique passive d’assemblage automatisé.
Dans leur livre Digital Materiality in Architecture (Lars Müller Publishers, 2008), Fabio Gramazio et Matthias Kohler avancent, ainsi, que le rôle de l’architecte est désormais « d’écrire des logiques architecturales, et non plus de dessiner ou de modeler des formes. Le robot connecte la réalité digitale de l’ordinateur avec la réalité matérielle de l’architecture construite. » À travers leur performance Flight Assembled Architecture, réalisée en 2011, ils proposent un système innovant d’architecture assemblée par… quatre robots volants. Programmés informatiquement, ces derniers ont érigé, avec quelque 1 500 modules de polystyrène, et sans intervention humaine, un « objet » tridimensionnel de 6 m de haut, simulation d’un village vertical de 600 m de haut implanté dans une zone rurale de la Meuse et pouvant accueillir jusqu’à 30 000 habitants.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’architecture à la recherche de son ADN
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 2 février. Frac Centre à Orléans. Ouvert du mercredi au dimanche de 12 h à 19 h. Nocturne chaque premier jeudi du mois jusqu’à 20 h. Tarifs : 4 et 2 €. Commissaires : Marie-Ange Brayer et Frédéric Migayrou, assistés d’ Emmanuelle Chiappone-Piriou. www.frac-centre.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°664 du 1 janvier 2014, avec le titre suivant : L’architecture à la recherche de son ADN