Le cirque est marqué par une très grande permanence architecturale. De nombreuses
réalisations récentes en France font cependant preuve d’innovation. Tour de piste...
En architecture, il est rare pour un modèle de traverser les siècles sans bouger d’un iota. C’est pourtant assurément le cas du cirque. Du manège en planches de Philip Astley, en 1768, aux « arènes » hi-tech actuelles, du chapiteau itinérant dressé pour un soir à l’édifice « à demeure », comme le Cirque d’Hiver, à Paris, les solutions formelles se révèlent, en effet, d’une extraordinaire permanence. Deux raisons techniques à cela, qui sont aussi les deux « mamelles » de l’univers circassien : la piste et le chapiteau. La première est un cercle de treize mètres de diamètre, dimension invariable et quasi universelle, qui correspond à la dimension d’une longe standard tenue par un écuyer faisant tourner son cheval autour de lui. Quant au second, hormis les matériaux, sa silhouette n’a pratiquement pas varié depuis son apparition, aux États-Unis, vers 1820. Seule distinction possible : le cirque est soit pérenne, soit éphémère.
Connivence entre l’architecture et le spectacle
D’un côté donc, on trouve des formes démontables qui sont, peu ou prou, des déclinaisons sur le modèle de la demi-sphère. Ainsi le « chapiteau-cathédrale » ellipsoïdal, que l’ingénieur Serge Calvier a imaginé, en 1990, pour la compagnie Archaos et son spectacle « Metal Clown-Culture Clash ». Celui-ci, en deux parties, se compose de quatre arceaux métalliques qui se replient à la manière d’une capote d’automobile. Dessinée la même année par Patrick Bouchain et Anne-Sophie Lecarpentier, la Volière Dromesko du couple Igor et Lily s’inspire, elle, de la serre royale du jardin d’hiver du château de Laeken, en Belgique, construite en 1876 par l’architecte Auguste Balat. Avec sa structure en acier et sa coupole transparente, elle fait penser à une yourte mongole. Il existe également des formes plus écrasées, tel ce parapluie « aplati » conçu par Christoph Gärtner pour la compagnie Que-Cir-Que – trois acrobates-danseurs –, dont le « manche », ou mât central, sert aussi bien d’accessoire de spectacle que de colonne vertébrale – il supporte la toile et les projecteurs. Ou à l’inverse plus pointues, comme celle des Colporteurs – deux funambules-fildeféristes –, imaginée par Napo pour leur spectacle « Filao » (1997), et qui fait plutôt penser à un dou li, ou chapeau chinois.
Mais le plus surprenant est à n’en point douter le chapiteau de la compagnie Les Arts Sauts – quinze trapézistes et cinq musiciens –, réalisé en 1998 pour le spectacle « Kayassine » : une étrange bulle gonflable de 41 mètres de diamètre, connivence magistrale entre l’architecture et un spectacle fondé exclusivement sur l’acrobatie aérienne. Elle est l’œuvre de l’architecte Hans-Walter Muller, spécialiste depuis plus de trente ans des structures gonflables, et auteur, entre autres, de décors pour la Comédie-Française ou les ballets de Maurice Béjart. « La contrainte majeure du cahier des charges des Arts Sauts concernait les hauteurs, se souvient Hans-Walter Muller. Ainsi, les trapèzes devaient être à 13,50 mètres du sol et le chapiteau culminer à 20 mètres. Ce sont donc finalement moins les idées que les nécessités qui ont guidé l’élaboration de cette forme architecturale. » À l’intérieur de la bulle, la structure métallique qui porte les agrès est entièrement désolidarisée de la toile gonflable. Si « Kayassine » était un spectacle frontal, les spectateurs étant placés de part et d’autre du filet, le nouveau spectacle des Arts Sauts, « Ola Kala », actuellement en tournée (1), s’est, lui, complexifié. La bulle, conçue cette fois par Nicolas Pauli et Patrick Clody, est toujours d’actualité, mais la structure métallique est en forme de croix, ce qui permet le croisement perpendiculaire, en plein vol, de plusieurs trapèzes. Frissons assurés.
Notion d’éphémère
En parallèle à cette multitude de structures démontables, symboles du voyage, le cirque, désormais confronté à de nouveaux impératifs – enseignement des arts du cirque, préparation de spectacles… –, se dote aussi aujourd’hui de constructions permanentes. À l’image de ces deux projets implantés en Seine-Saint-Denis et conçus par les architectes Patrick Bouchain et Loïc Julienne : l’Académie nationale contemporaine des arts du cirque Fratellini, à Saint-Denis-La Plaine, inaugurée en juin 2003, et l’École nationale des arts du cirque, à Rosny-sous-Bois, qui sera livrée en mai. Les deux projets sont radicalement différents : « l’École de Rosny – 3 500 m2 pour un coût HT de 1 million d’euros – est un immense chapiteau qui regroupe sous sa toile les différentes fonctions : administration, salles de cours et spectacle, explique Loïc Julienne. En revanche, l’Académie Fratellini est, elle, éclatée dans l’espace, avec une spécialisation de chaque bâtiment liée à sa fonction : le foyer, la salle de spectacle (1 560 places), les ateliers, les salles de remise en forme… » Un peu comme les roulottes autonomes du cirque traditionnel.
Construite en majeure partie en bois et habillée de matériaux de récupération, l’Académie Fratellini – 5 500 m2 pour un coût HT de 3,2 millions d’euros – a néanmoins conservé cette notion d’éphémère chère à l’imagerie circassienne. « Quoique réalisé en dur, l’édifice est entièrement démontable, fait remarquer Loïc Julienne. Ce fut une exigence du cahier des charges. D’ailleurs, la ville de Saint-Denis n’a cédé le terrain qu’à titre provisoire. » Preuve que, même fixée, du moins en apparence, l’architecture de cirque aura toujours des fourmis dans les jambes. C’est inscrit dans ses gênes.
(1) Les dates de la tournée des Arts Sauts sont sur le site www.arts-sauts.org
Nota Bene :
L’exposition « Architecture du cirque : du permanent à l’éphémère », montée, en 2001, par le Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage (CIVA), à Bruxelles, et montrée, du 12 juin au 5 octobre 2003, au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris, sera présentée, du 18 novembre au 19 décembre 2004 au Centre du design de l’UQAM, à Montréal.
Deux ouvrages retracent l’histoire de l’architecture circassienne : Architecture du cirque, des origines à nos jours, de Christian Dupavillon (éd. du Moniteur, 2001, 45 euros) et Du permanent à l’éphémère, espaces de cirque (éd. du CIVA, 2002, 40 euros).
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L’architecture des funambules
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : L’architecture des funambules