Directrice de la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, Sylvie Wuhrmann souhaite multiplier les partenariats tout en restant fidèle à l’esprit du lieu.
En 1998, Sylvie Wuhrmann alors jeune doctorante en peinture du XVIIIe siècle était engagée à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne en qualité de collaboratrice scientifique. En août 2011, devenue conservateur des collections, elle prend la suite de Juliane Cosandier à la direction de la fondation. Fidèle à l’esprit de l’institution, Sylvie Wuhrmann ne cache pas son souhait de l’ouvrir vers d’autres horizons, notamment contemporains. Étape incontournable du circuit des musées autour du lac Léman, la Fondation de l’Hermitage vient d’inaugurer son exposition printanière, coproduite avec le Museo Cantonale d’Arte et le Museo d’Arte de Lugano, sur le thème de la fenêtre dans l’histoire de l’art. Créée en 1984 par François Daulte, la fondation fêtera ses 30 ans en 2014.
Maureen Marozeau : Vous avez pris la succession de Juliane Cosandier, avec laquelle vous avez travaillé pendant près de quinze ans. Cette succession était-elle naturelle ?
Sylvie Wuhrmann : Tout à fait naturelle, puisque, avec les années, j’étais devenue en quelque sorte son bras droit. Elle a eu cette grande générosité de me faire participer très étroitement aux projets d’exposition, qu’ils soient élaborés avec des commissaires extérieurs ou construits entièrement en interne. Cette continuité va aussi dans l’esprit, familial, de l’institution.
M.M. : Souhaitez-vous conserver ou renouveler la ligne directrice de la programmation ?
S.W. : Un peu les deux. Avec Juliane, nous avions mis en place une programmation qui privilégiait un certain type d’expositions centrées sur l’art occidental des XIXe et XXe siècles. Présenter une collection particulière ou inviter un musée étranger, qu’il soit en travaux ou non, est toujours un plaisir. Nous bénéficions de relations de confiance, avec un très bon réseau de collectionneurs privés, tout comme avec les institutions. Cet été, nous accueillerons par exemple des œuvres de la Fondation Miró de Palma de Majorque, en Espagne, emblématiques des trente dernières années du peintre. Nous avions également envie d’explorer des contrées artistiques moins arpentées, en nous concentrant sur des mouvements et des pays qui ne sont pas forcément représentés dans nos musées. L’exposition prévue l’année prochaine sur la peinture américaine au XIXe siècle, avec notre commissaire fétiche William Hauptman, entre dans ce cadre. Je tiens vraiment à continuer sur cette même voie, tout en ouvrant de nouvelles perspectives. L’été dernier, l’exposition « Asger Jorn » était un défi car elle nous amenait vers l’après-guerre, un champ chronologique sur lequel la Fondation s’aventure rarement. Enfin, je souhaiterais développer des expositions thématiques. « Fenêtres », actuellement à l’affiche, est une première dans son genre.
M.M. : Pensez-vous que la Fondation, à l’instar d’un musée cantonal, ait un rôle à jouer dans l’exploration des thèmes méconnus du public suisse ?
S.W. : Les musées cantonaux possèdent des collections plus importantes, à partir desquelles ils construisent des projets, pour les valoriser. Leur activité se partage entre cette mission patrimoniale, répartie entre plusieurs départements, et le travail de prospection du type d’une Kunsthalle [centre d’art]. Nous poursuivons également cette mission patrimoniale, même si elle n’est chez nous pas aussi accentuée, notre collection étant beaucoup plus récente. La Fondation s’est créée en une génération une identité différente, centrée sur les grands projets internationaux, en jouant l’alternance entre des choses connues mais peu vues ici, et des découvertes d’artistes périphériques, moins centrés sur la francophonie. Nous essayons de faire ce que les autres ne font pas, pour être complémentaires. Nous ne sommes pas dans la rivalité, mais à l’écoute les uns des autres, dans un esprit d’émulation et de vraie solidarité.
M.M. : Quel regard posez-vous sur le projet de « pôle muséal » à Lausanne, ce nouvel ensemble architectural qui doit, à terme, regrouper au centre-ville le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) et le Musée de l’Élysée ?
S.W. : C’est un très beau projet. La votation, il y a quelques années, qui a coupé court au projet de musée au bord du lac Léman, a laissé un souvenir malheureux (lire le JdA no 293, 12 déc. 2008, p. 3). Je suis tout à fait séduite par son emplacement stratégique, en plein cœur de la ville. L’avantage de cette halle ferroviaire désaffectée est que, contrairement aux abords du lac, le public ne se l’est pas appropriée. C’est en quelque sorte un « non-lieu », en dépit de sa situation centrale et de ses possibilités. Du coup, l’enjeu émotionnel n’est pas le même. L’idée de réunir sur un même site trois musées qui ont leur propre dynamique, leur identité et leur public, le tout à un jet de pierre de la gare de Lausanne, est très enthousiasmante. Comme tout citoyen vaudois, je me réjouis de voir le Musée des beaux-arts prendre de l’ampleur, ce qui lui est aujourd’hui impossible au palais de Rumine.
M.M. : Pensez-vous que la Fondation devra se repositionner par rapport à ce nouveau pôle muséal ?
S.W. : Nous ne craignons pas d’hémorragie de la fréquentation, au contraire, nous avons tous beaucoup à gagner à ce que de beaux projets prennent forme chez nos voisins ! L’Hermitage est avant tout un lieu exceptionnel, ce qui est fondamental dans la compréhension de la Fondation. Au-delà des expositions, les visiteurs apprécient la maison, le parc, la vue, atouts que nous allons continuer à optimiser. Nous bénéficions d’une identité marquée, et c’est une chose à préserver, tout en ouvrant les perspectives, tant sur le contenu des expositions que sur des collaborations avec d’autres institutions. J’aime aussi beaucoup développer des partenariats au niveau local. « Fenêtres » a été montée avec les musées de Lugano, puis a reçu le concours de la Cinémathèque suisse à Lausanne pour un cycle thématique qui a débuté avec Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Les étudiants de l’École cantonale d’art de Lausanne (ECAL) ont par exemple participé l’an dernier à la réalisation du catalogue de l’exposition de la collection de la Banque cantonale vaudoise (BCV). Je suis prête à toutes les initiatives.
M.M. : La Fondation a en effet exposé une partie de la collection de la Banque à la fin 2012. N’était-ce pas du ressort d’un musée cantonal ?
S.W. : C’est une collection importante qui a fait l’objet de plusieurs expositions depuis une quarantaine d’années, notamment au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne et au Musée Jenisch à Vevey. Présenter une collection d’entreprise est une première pour la Fondation, un nouvel exemple de cette volonté d’ouvrir le champ de la programmation à l’art contemporain, car elle regroupe les œuvres d’artistes travaillant ou ayant travaillé dans le canton de Vaud. C’était également une nouvelle manière de renforcer le réseau de la Fondation. Et puis, n’oublions pas que la demeure de l’Hermitage a été construite par une famille de banquiers !
M.M. : Promise au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne sous réserve de la présenter dans un site approprié, la collection Jean Planque a été victime de cette fameuse votation populaire, qui a mis un terme au projet de déménagement du musée dans un nouvel édifice au bord du lac. La collection est aujourd’hui exposée au Musée Granet, à Aix-en-Provence, où elle est en dépôt jusqu’à 2025. Pensez-vous que la collection pourra un jour retrouver le chemin de la Suisse ?
S.W. : La collection Jean Planque avait été présentée au public pour la première fois ici même, à la Fondation de l’Hermitage, en 2001. Comme beaucoup, la Fondation Planque a été très déçue par le résultat de cette votation de 2008. Jean Planque n’aimait pas le palais de Rumine, mais maintenant qu’un nouveau musée va voir le jour, et que les pouvoirs politiques en font un projet prioritaire, la donne est nouvelle. On rêve naturellement qu’un ensemble réuni ici par une personnalité fascinante de ce canton retrouve un jour sa terre d’origine.
M.M. : Que préparez-vous pour le trentième anniversaire de l’institution ?
S.W. : Outre une exposition sur Diderot, en partenariat avec le Musée Fabre à Montpellier, et celle sur la peinture américaine, nous allons mettre en place une série d’événements festifs. Mais chut, ce sera une surprise !
jusqu’au 20 mai, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne, Suisse, tél. 041 21 320 50 01, www.fondation-hermitage.ch, tlj sauf lundi 10h-18h, le jeudi 10h-21h. Catalogue, coéd. Fondation/Skira (Milan), 228 p., 48 francs suisses (env. 40 €).
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L’actualité vue par Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage à Lausanne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : L’actualité vue par Sylvie Wuhrmann, directrice de la Fondation de l’Hermitage à Lausanne