Nicholas Frank est le commissaire de l’exposition itinérante d’une sélection d’œuvres des FRAC présentée aux États-Unis
Pour la première fois, les collections des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) font l’objet d’une exposition aux États-Unis. Baptisée « Spatial City : an Architecture of Idealism », la manifestation coordonnée par Platform, le regroupement des FRAC, a débuté à l’Institute of Visual Arts (Inova), à Milwaukee (Wisconsin). Elle se terminera le 18 avril et sera ensuite présentée au Hyde Park Art Center à Chicago (Illinois) du 23 mai au 8 août, avant de rejoindre le Museum of Contemporary Art de Detroit (Michigan) du 10 septembre au 26 décembre. L’exposition, qui réunit vingt-cinq artistes autour de la personnalité de l’architecte Yona Friedman, a été conçue par Nicholas Frank. Ce dernier a été directeur de la Hermetic Gallery à Milwaukee de 1994 à 2002, avant de devenir curateur à l’Inova en 2006. Il est également artiste et enseigne au Milwaukee Institute of Art & Design. Nicholas Frank commente l’actualité.
Comment le projet « Spatial City » est-il né ?
J’ai été contacté par Laurent Maillaud, qui était à l’époque attaché culturel à Chicago, pour réfléchir à une exposition d’artistes français à l’Inova. À travers des cédéroms et des sites Internet, il m’a donné accès à des informations sur les collections des FRAC. En faisant mes recherches, j’ai d’abord cru que le FRAC Centre était l’entité qui réunissait l’ensemble des collections, avec ses nombreuses œuvres d’architectes. Immédiatement, j’ai été intéressé par le travail de Yona Friedman. J’ai aussi effectué des recherches sur Lionel Schein, Claude Parent et d’autres architectes expérimentaux. J’ai alors réfléchi à une exposition autour de l’utopie. Mais le FRAC Centre a entamé un travail de conservation de deux ans sur ses collections, ce qui a rendu l’exposition que j’avais imaginée impossible à monter. De ce fait, j’ai commencé à regarder les artistes présents dans les autres collections. J’ai voyagé pendant dix jours en France où j’ai visité des FRAC, à Carquefou, Metz, Villeurbanne ou Paris. J’ai rencontré et parlé avec beaucoup de personnes. J’ai été très impressionné par l’idée même des FRAC.
Connaissiez-vous les FRAC auparavant ?
Non, pas du tout. Je n’étais pas non plus très au fait de l’art actuel en France. Aujourd’hui, trois ans après le début de ce projet, j’ai l’impression que de plus en plus d’artistes français exposent aux États-Unis, à Miami, New York, dans les foires. Ils sont présents dans les magazines, dans le cadre d’articles sur des expositions des FRAC. Je suis vraiment jaloux de cette diffusion de l’art à travers les régions de France, de l’indépendance des collections et des directeurs qui peuvent acheter aussi bien des artistes français, que d’autres venant du monde entier, avec l’appui du gouvernement. Nous n’avons rien de comparable aux États-Unis.
L’exposition a-t-elle, dès le départ, été conçue pour voyager ?
Quand j’ai élaboré le projet « Spatial City », je n’étais pas sûr que cela marcherait. J’ai conçu une exposition flexible en écho à l’architecture flexible de Yona Friedman. Aussi, elle n’évoluera pas seulement en fonction de la particularité de chacun des espaces, mais aussi philosophiquement pour s’adapter à chaque lieu. Chicago a une longue tradition architecturale et Detroit est un fort symbole social à cause de la chute des activités industrielles et de la présence de nombreux bâtiments abandonnés. Chaque commissaire a ajouté des artistes et fait un peu glisser le sens de l’exposition.
Connaissiez-vous tous les artistes avant de travailler sur cette exposition ?
Non, j’ai fait de nombreuses recherches et appris beaucoup. J’ai été particulièrement heureux de découvrir Tatiana Trouvé, Didier Marcel, etc. J’ai vu beaucoup de leurs œuvres dans les collections des FRAC. J’ai aussi découvert François Morellet au Musée des beaux-arts de Nantes et j’ai décidé qu’il devait être dans l’exposition. J’ai ensuite discuté avec les directeurs des FRAC pour savoir quelles œuvres étaient transportables.
« Spacial City » est accueillie dans une université. Avez-vous pensé à son aspect éducatif ?
Tout à fait. Cela fait partie de mon approche. Quand on montre des œuvres qui ne sont pas connues du public, il faut accompagner l’exposition d’un travail éducatif. Nous publions systématiquement un catalogue. J’ai pris très au sérieux la volonté de Laurent Maillaud de présenter ces œuvres dans une université. C’est la première fois que je voyais des réalisations de Yona Friedman et des autres artistes. Et cela a conforté mon opinion sur l’art français, le relatif optimisme et cynisme dans l’art contemporain. J’ai d’ailleurs rédigé un essai universitaire sur ce sujet.
Les étudiants se sont-ils impliqués dans l’exposition ?
Chaque exposition est associée à un programme de résidence. Kristina Solomoukha est venue à Milwaukee, Philippe Durand devrait se rendre à Chicago, et Katinka Bock à Detroit. Kristina a travaillé avec des étudiants en architecture de Milwaukee sur divers sites de la ville, notamment industriels. Nous collaborons aussi avec plusieurs départements de l’université pour construire nos expositions. Cela nous amène des visiteurs. L’Inova est situé dans une université où l’on enseigne l’art, mais aussi l’architecture expérimentale. C’était donc parfait.
Avez-vous été libre de monter l’exposition de votre choix ?
Oui, absolument. Au début, vu mon rôle à l’université, je n’étais pas sûr de pouvoir justifier d’une exposition d’artistes français à l’Inova. Je réfléchissais à la façon de l’intégrer. La tradition de l’architecture est forte au Wisconsin, la patrie de Frank Lloyd Wright [1867-1959]. Nous cultivons des relations étroites avec Buckminster Fuller [1895-1983] ou avec le designer Brooks Stevens [1911-1995]. Tous sont sur le terrain de l’utopie. Cela m’a conduit à montrer les œuvres des FRAC. De plus, des peintres français se sont établis dans la région de Milwaukee pour représenter des tribus indiennes [entre 1600 et 1700]. Il y a donc un héritage français ici.
Yona Friedman est aussi lié à l’après-guerre et à l’architecture utopique. La Seconde Guerre mondiale est, d’une certaine manière, un point bas et les penseurs utopiques ont écrit là-dessus. Cette polarité a alimenté ma réflexion. Entre la période de l’après-guerre et maintenant, je vois une sorte de parallèle entre la France et les États-Unis, de la révolution hippie avec Mai 68, en France, jusqu’aux États-Unis avec la guerre du Vietnam, quand tout s’est écroulé, et la perte des idéalismes. L’art contemporain est en grande partie l’héritier de cette expérience. Même si elles ne sont pas forcément évidentes, il y a des relations étroites qui sous-tendent l’exposition.
Au niveau national, Barack Obama est arrivé il y a un peu plus d’un an à la Maison Blanche. Comment jugez-vous sa politique culturelle ?
Cet homme a voulu changer la façon qu’ont les Américains de se penser dans le monde. Mais il a dû gérer une guerre en Irak et en Afghanistan, et se sortir d’un profond désastre économique. Cela a saturé son agenda. Il a été accusé d’être un intellectuel, il parle bien, et je pense que, du coup, il se fait discret en matière de culture. Il a cependant recruté un nouveau directeur pour le National Endowment for the Arts [l’agence fédérale de soutien aux artistes], afin de donner une nouvelle force à ce programme. Je pense que, même s’il aime l’art contemporain, il n’a pas forcément envie que les gens le sache. Ce n’est pas toujours bien vu des électeurs. Les gens qui l’ont soutenu se plaignent aujourd’hui qu’il n’a pas encore changé la culture, mais comment aurait-il pu le faire en une seule année ?
La crise a affecté le monde des musées aux États-Unis, notamment le MOCA à Los Angeles. Que pensez-vous de la nomination de Jeffrey Deitch à sa tête ?
Les gens sont préoccupés par le fait que la sensibilité commerciale devienne un élément de la culture des musées. Ce sont des historiens de l’art qui devraient diriger de tels musées, parce qu’ils ont une vision à long terme et ne sont pas uniquement sensibles aux demandes immédiates du marché. Cela dit, Jeffrey Deitch est quelqu’un de très brillant. Une partie de son programme, chez Deitch Project, était non conventionnelle dans le sens commercial du terme. Le galeriste ne représentait pas les artistes à qui il n’offrait qu’un seul projet. Bien sûr, il vendait leurs œuvres, mais il fonctionnait plutôt comme un centre d’art. Je ne pense pas que Jeffrey Deitch soit le problème : il est entraîné dans un système qui veut que les musées américains rapportent de l’argent. La fréquentation est devenue le nouvel indice pour juger de la qualité des musées, plutôt que l’intégrité du programme d’exposition.
Une sculpture de Giacometti vient d’établir un nouveau record en vente publique. Que vous inspire ce résultat alors que le monde est plongé dans une grave crise économique ?
C’est en dehors de toute réalité. Dans la culture américaine, on ne croit pas que l’art soit très important, c’est pourquoi je me sens plus à l’aise en France. Aux États-Unis, les gens n’ont pas forcément conscience de la valeur des musées, des collections, des œuvres d’art. Ces questions ne touchent pas les Américains, sauf les intellectuels dans les universités. Ceux-ci ont alimenté la controverse à propos du New Museum, à New York, où Dakis Joannou va montrer [du 3 mars au 6 juin] sa collection dans un musée dont il est membre du conseil d’administration. Il y a conflit d’intérêt. C’est symptomatique du combat pour le pouvoir, de ce qui est important en art, et du fait que l’argent prend le pouvoir. Au début, je regrettais l’ascension des galeries, devenues extraordinairement influentes. Puis sont arrivées les collectionneurs avec leurs luttes de pouvoir. Finalement, ce sont les commissaires d’exposition qui en sont les victimes.
Quelles expositions vous ont marqué dernièrement ?
Je répondrais d’abord par la pire. The Kitchen est un centre d’art à New York. J’y ai vu en décembre « Besides, With, Against, and Yet : Abstraction and the Ready-Made Gesture », une exposition de jeunes peintres que l’on pourrait trouver dans n’importe quelle galerie de Chelsea et qui vendent leurs œuvres comme des malades, qui sont dans toutes les foires. Pourquoi exposer ces jeunes artistes dans un centre d’art alors que l’on peut les voir partout ailleurs ? Sinon, j’ai beaucoup aimé l’exposition de Roni Horn au Whitney Museum [New York]. Les femmes n’offrent pas le même travail que les hommes. C’était vraiment une très bonne exposition, sophistiquée, multipolaire, pleine de complexité et de niveaux de lecture.
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L’actualité vue par Nicholas Frank, artiste et commissaire d’expositions
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Abonnez-vous dès 1 €Hyde Park Art Center - photographe : helloleticia - Licence Creative Common 2.0
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°319 du 19 février 2010, avec le titre suivant : L’actualité vue par Nicholas Frank, artiste et commissaire d’expositions