Agrégé d’histoire et administrateur au ministère de la Culture, Jean-François Chougnet a été aussi administrateur du Centre Pompidou et conseiller auprès du ministre de la Culture Jack Lang. De 2001 à 2007, il prend les rênes du Parc de la Villette. Commissaire de l’année du Brésil en 2005, il devient directeur du Musée Berardo à Lisbonne en 2007 avant d’accepter la direction de Marseille-Provence 2013 (MP 2013) en 2011.
Francine Guillou : En avril 2011, alors directeur du Musée Berardo à Lisbonne, quelles raisons vous poussent à accepter la direction de MP 2013 ?
Jean-François Chougnet : C’est une histoire qui s’est faite vite : j’avais travaillé longtemps avec Bernard Latarjet [précédent directeur général du MP 2013] à la Villette. Quand il m’a fait part de son souhait de prendre de la distance, je me suis dit que c’était un défi un peu compliqué, mais je dois aimer les choses compliquées. Au Musée Berardo, je ne sortais pas d’une mission simple. On me dit souvent que c’est du masochisme, mais c’est passionnant. Les capitales européennes ne sont jamais simples. Le cahier des charges est très écrit : pérennité des efforts, participation des habitants et excellence de la programmation. Et la charte européenne demande une autonomie de programmation depuis 2006, pour pallier la fragilité d’une capitale par rapport aux alternances politiques. C’est fondamental dans des processus qui durent plus de six ans, et un dossier de candidature qui ressemble un peu aux Jeux olympiques !
F.G. : Dès votre arrivée, vous attendiez-vous à être accueilli par une polémique sur le retrait de Bernard Latarjet et l’incompréhension des élus ?
J.-F.C. : Cela ne m’a pas vraiment surpris, Bernard Latarjet ne m’avait pas raconté d’histoires. Ce n’était pas vraiment une polémique, plutôt l’expression de susceptibilités et c’est d’ailleurs une des marques du projet, tout le monde en a envie, et en même temps il est extrêmement multipolaire : 90 villes, 13 groupements. Cela a complexifié l’élaboration de la programmation. Plusieurs facteurs sont entrés en jeu : le fait d’un appel à projets qui permettait de faire remonter les projets autrement que par le filtre des collectivités, une liste de financeurs et de partenaires très longue. C’est plus complexe de concerter une programmation avec des dizaines de villes que dans un face à face comme beaucoup de capitales européennes.
F.G. : Comment gérez-vous les attentes de villes qui, historiquement, sont concurrentes, à l’image de la relation entretenue entre Aix-en-Provence et Marseille ?
J.-F.C. : Bernard Latarjet dit toujours que les capitales européennes sont des machines à faire des mécontents. C’est le cas également des Directions des affaires culturelles, surtout en période de tensions sur les finances publiques. Les dossiers arrivent par sac postal : bien sûr qu’on fait des mécontents ! Il faut savoir expliquer les décisions. Les capitales européennes sont des ballons d’oxygène, surtout maintenant que les financements culturels diminuent. Il faut aussi se rappeler que Marseille représente 50 % de la population du territoire. Le fait marseillais est central, étendu en géographie. Le pacte initial passé entre les villes participantes a été librement choisi : Toulon en est sorti. Le consensus se crée par l’envie de travailler ensemble, sans juxtaposer la programmation. Cette vision d’un travail collectif est défendue par la région, qui ne fait pas dans le localisme. Ensuite, c’est un jeu de force, de tensions, on n’y parvient pas toujours.
F.G. : MP 2013 est souvent comparée à Lille 2004 : ce rapprochement a-t-il du sens selon vous ?
J.-F.C. : Comparaison n’est pas raison, dit-on. D’un point de vue historique elle a du sens, le succès de Lille 2004 a donné envie à Marseille d’être candidate. Elle continue d’avoir du sens dans l’idée d’une coopération territoriale élargie, comme cela a été le cas pour la Ruhr en 2010. Mais il y a des différences. La principale à mes yeux, c’est que Lille-Métropole avait déjà une structuration du territoire en amont, une habitude de travailler en commun. Cela change beaucoup la donne. Après, dans la programmation, les comparaisons deviennent beaucoup plus hasardeuses. La réussite de Lille 2004 et la littérature développée sur les capitales européennes, en particulier sur les retombées économiques, sont évidemment une pression. Dans une période de crise, on est obligé d’en tenir compte.
F.G. : Cette période de crise a-t-elle compliqué la recherche de mécénat ?
J.-F.C. : Je pense. Une partie des entreprises sollicitées est aujourd’hui en repli sur le mécénat culturel. Obtenir les 15 millions d’euros prévus dans le budget a été compliqué, mais nous avons réussi à le faire. Le fonds de dotation de la mairie, qui a suscité localement la polémique, n’a pas éloigné les entreprises. Il y a la place pour les deux processus.
F.G. : Dans les rues, on entend beaucoup de Marseillais excédés par les travaux, peu au courant des projets de l’année capitale. Avez-vous le sentiment que les Marseillais seront au rendez-vous ?
J.-F.C. : C’est de l’intuition, mais je le crois. Nous jouons beaucoup sur le week-end d’ouverture. Des projets plutôt discrets n’ont pas encore été repérés par les Marseillais, mais cela va se recaler. Il faut savoir montrer et faire des choses inhabituelles. La logique qui me motive en matière culturelle, c’est de se dire « On va épater la galerie » ! La programmation dévoilée en novembre prévoit un « épisode I », de janvier à mai, en forme de prologue, puisque la plupart des grands équipements ne seront pas prêts en janvier. Les ouvertures se succéderont, avec un temps fort en juin : l’ouverture très attendue du MuCEM et du palais Longchamp. Dans une capitale européenne de la culture, il y a forcément plusieurs rendez-vous. Il y a les contraintes de chantiers, bien sûr, mais sur la programmation, c’est une volonté très claire de répartir dans le temps les événements. Ce ne sont pas des choses qui nous inquiètent, les travaux sont allés incroyablement vite.
F.G. : Marseille a déjà une vie culturelle riche et disparate, mais peu connue sur le plan national : l’année capitale de la culture peut-elle infléchir le regard extérieur sur la ville, souvent citée pour sa criminalité et son insécurité, et moins pour son énergie créative ?
J.-F.C. : La mythologie des médias nationaux est un des points qui inquiète les partenaires politiques locaux. L’image est quand même très surfaite, les Marseillais ne mettent pas un gilet pare-balles… Marseille est une ville mal connue, secrète, qui ne se livre pas facilement. Sa communication extérieure n’a pas de points de repère forts. En matière muséale, la ville a eu une période faste [les années 1980 et 1990], sous l’impulsion de Germain Viatte et Bernard Blistène, puis une période en demi-teinte. Pour le coup, la mobilisation autour de MP 2013 a été très importante.
F.G. : L’annulation de l’exposition Albert Camus prévue à Aix-en-Provence a été très médiatisée. Comment expliquez-vous qu’on en soit arrivé à une telle situation ?
J.-F.C. : Nous portons une très grande part de responsabilité. En tant que producteur, nous n’avons pas réussi à mettre d’accord le triangle commissaire, ayant droit et collectivité. Le contrat de commissariat que nous avons signé avec Benjamin Stora a été passé à un moment où Aix-en-Provence hésitait sur son entrée dans l’année capitale. La phase de concertation préalable a manqué, c’était une période électorale. Et la cohésion n’a pas été complète sur la vision et le type d’exposition envisagée avec Catherine Camus, ayant droit de Camus. C’est une déception, évidemment.
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L'actualité vue par Jean-François Chougnet - Directeur général de l’association Marseille-Provence 2013
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : L'actualité vue par Jean-François Chougnet - Directeur général de l’association Marseille-Provence 2013