Partiellement transformée, la maison où vécut Jean Cocteau à Milly-la-Forêt, près de Paris, vient d’être ouverte au public. Les admirateurs du poète ne manqueront pas d’y faire le pèlerinage.
Petit portrait de famille pour commencer. Jean Cocteau s’installe à Milly-la-Forêt (Essonne) en 1947, où il trouve refuge dans la maison du bailli achetée avec Jean Marais. Là, il engage, en qualité d’aide-jardinier, Édouard Dermit, rencontré dans une librairie parisienne. Très vite, le jeune Slovène devient régisseur du domaine et ses liens avec le poète se resserrent. En 1963, Cocteau meurt, faisant de Dermit son légataire universel. L’héritier se marie en 1966 : l’un de ses deux fils, Stéphane, a pour parrain l’homme d’affaires Pierre Bergé. Il préserve fidèlement les lieux et la mémoire du poète jusqu’à sa mort, en 1995. Sa famille hérite des biens matériels, tandis que Bergé devient titulaire du droit moral de l’œuvre de Jean Cocteau.
C’est en toute logique que le parrain propose à son filleul de racheter la maison en 2001. La demeure familiale chargée de souvenirs est inhabitée depuis les décès précoces de l’épouse et du premier fils d’Édouard. Le montant de l’acquisition s’élève à un million d’euros : Pierre Bergé y participe à hauteur de 200 000 euros, le conseil régional d’Île-de-France et le conseil général de l’Essonne y contribuent à parts égales (400 000 euros chacun). Pour convaincre les élus, l’agence In Situ mène une étude de faisabilité sur la reconversion du bâtiment. En 2005, les travaux démarrent. Pierre Bergé y va une nouvelle fois de sa poche (950 000 euros), tout comme le département et la région (650 000 euros chacun) ainsi qu’un groupe de mécènes pour réunir les 3,545 millions d’euros nécessaires. Aux commandes du parcours muséographique, Dominique Païni rédige un projet scientifique et culturel : commissaire de la rétrospective « Jean Cocteau sur le fil du siècle » au Centre Pompidou, en 2003, il dit avoir reçu « carte blanche » de Bergé. Nathalie Crinière est à la scénographie et Stéphane Chomant, secrétaire général de l’association de la Maison Cocteau, à la coordination. Cet ancien professeur de philosophie est responsable des affaires politiques de Bergé, lequel l’a également chargé de superviser le projet de « Musée Dreyfus » dans les jardins de la Maison Zola à Médan (Yvelines). Les trois pièces gardées intactes par Édouard Dermit (le grand salon au rez-de-chaussée, le bureau et la chambre à l’étage) ont été rénovées – quelques libertés ont été prises – et le reste de la maison a été aménagé en espace muséal, où est présentée une sélection des 500 pièces de la collection Stéphane Dermit, dont l’intégralité est en dépôt pour une durée de quinze ans.
« C’est à Milly que j’ai découvert la chose la plus rare au monde : un cadre », lançait Jean Cocteau. Cette boutade poétiquement encadrée par ses soins est présentée dans l’une des premières salles. Ledit cadre a-t-il résisté à la reconversion de la maison ? À vrai dire, non. Réservée à un survol biographique, la première salle laisse pourtant augurer d’un parcours évoquant l’histoire du lieu, restituant son esprit, son ambiance aussi studieuse que bucolique. Signalée en tant que telle, cette ancienne cuisine a conservé son carrelage et son estrade et, adaptée avec succès, elle accueille des écrans où défilent les différents autoportraits de Jean l’oiseleur. À l’étage, tout espoir disparaît. Les cloisons des pièces ont été abattues pour créer un large plateau d’exposition, choix ainsi justifié par Stéphane Chomant : les pièces en question (chambres à coucher, salles de bain…) n’avaient « strictement aucun intérêt ». Que les lieux soient adaptés au public est une chose, mais l’on cherche en vain un rappel de leur ancienne configuration sur l’un des murs de ce white cube. Jean Marais n’avait-il pas son atelier au second étage ? L’aménagement néo-baroque des lieux par Madeleine Castaing, grande prêtresse de la rue Bonaparte à peine mentionnée dans le parcours, ne s’est pas limité aux trois pièces parvenues jusqu’à nous. Quid de la moquette au motif panthère dans l’escalier ? Dominique Païni revendique son parti de conjuguer restitution patrimoniale et geste contemporain : « C’était l’occasion d’imaginer un concept neuf. » Ou comment se débarrasser de l’odeur de naphtaline d’une maison d’écrivain qui baigne dans son jus tout en évitant de faire table rase. Foin de nostalgie, de recueillement, de « cocteaulâtrie » : Cocteau était « foncièrement contemporain ».
En quête d’atmosphère…
Mais à trop vouloir aller de l’avant, l’ensemble ne tient pas la route. Le projet n’a pas d’atmosphère propre, car l’identité de la maison a été oubliée sur le bas-côté. Au point que les pièces conservées « en l’état » relèvent de l’anecdote, du pense-bête : au fait, Cocteau vivait ici… Et inutile d’essayer d’identifier les œuvres dont le poète avait choisi de s’entourer : il n’y a pas de notices. L’accrochage temporaire aborde quant à lui différents aspects de la période 1910-1940, le tout sans réel fil directeur ni souci pédagogique. La vie amoureuse du poète est passée à la trappe (Jean Marais ? Raymond Radiguet ?). L’espace pédagogique au rez-de-chaussée a été remplacé par une pièce de projection, prioritaire aux yeux des concepteurs. Quant à « l’espace de restauration légère sous une pergola », il se résume à quelques tables et chaises ainsi qu’à un distributeur automatique de boissons et de friandises des plus glamours.
En ouvrant cette maison au public, Pierre Bergé entendait respecter la volonté d’Édouard Dermit d’offrir un musée dédié à Cocteau. Or, Édouard souhaitait l’ériger sur une parcelle qu’il avait acquise à côté de la chapelle Saint-Blaise-des-Simples, où il repose aujourd’hui auprès de Cocteau. Le juste compromis n’aurait-il pas été d’adapter la maison pour y accueillir un nombre restreint de visiteurs, et de transformer le pavillon attenant en espace d’exposition ? D’après Dominique Païni, les autres membres du comité Cocteau n’ont tenu « aucun rôle » dans ce projet, qui s’est « déroulé dans la plus grande amitié ». Pourtant, les personnes aptes à donner un avis n’ont pas été consultées. Ajoutons qu’aucun conservateur ni personnel scientifique ne veille sur ce projet livré clés en main, et ce, alors que le legs de la collection Stéphane Dermit est attendu. Les admirateurs du poète ne manqueront pas de faire le pèlerinage à Milly. Les autres n’apprendront pas grand-chose et ressentiront peut-être cette désagréable sensation de superficialité, renforcée par le dénuement actuel des jardins, intégralement replantés. Les photographies montrent Cocteau devant une façade mangée par le lierre, témoin de « l’absurde entêtement magnifique des végétaux ». Au moins la nature fera-t-elle son travail pour redonner corps à la maison du bailli.
Maison Jean Cocteau - 15, rue du Lau, 91490 Milly-la-Forêt, tél. 01 64 98 11 50, www.jeancocteau.net, tlj sauf lundi et mardi 10h-19h jusqu’au 30 octobre, 14h-18h à partir du 1er novembre, fermé du 16 janvier au 28 février 2011. Catalogue, éd. Somogy, 104 p., 12 euros, ISBN 978-2-7572-0390-3
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À la recherche d’un temps perdu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : À la recherche d’un temps perdu