Des écoles d’art de petite taille insuffisamment équipées et atomisées face à leurs homologues étrangères, des bourses d’échanges insuffisantes, des doubles diplômes inexistants : la France a pris du retard dans le domaine de l’internationalisation des formations, même si les échanges d’étudiants, organisés dans le cadre de programmes européens ou d’accords bilatéraux se multiplient.
“Il faut qu’avant deux ans, les établissements français se placent dans un rapport d’égalité avec les écoles les plus développées de l’enseignement artistique européen, principalement celles des pays du nord de l’Europe (Grande-Bretagne, Pays-Bas, Allemagne), écrivait en novembre 1989 Jean-Jacques Passera, dans une étude sur les enseignements artistiques supérieurs en Europe. Dans le cas contraire, à court terme, les partenaires européens les plus ambitieux et les mieux armés en ressources humaines et financières s’implanteront en France et recueilleront la maîtrise de la formation dans certains secteurs. Les éléments de solution passent tous par le même chemin : la France doit se donner les moyens de ses ambitions”.
Le constat établi, il y a dix ans, par l’actuel directeur de l’École des beaux-arts de Caen semble toujours d’actualité, même si le risque d’installation d’écoles étrangères sur le territoire national ne s’est pas produit. La faiblesse des moyens et le manque de poids des écoles françaises sur la scène internationale demeurent préoccupants. Que pèse par exemple l’Énsb-a et ses 600 étudiants face à un mastodonte comme le London Institute, qui compte près de 17 000 étudiants avec un budget total de plus de 600 millions de francs ? “Face à des directeurs d’écoles représentant des milliers d’étudiants et des centaines de professeurs, notre pouvoir d’action est ridicule, déplore Jean-Jacques Passera. Les écoles françaises se trouvent perdues, car trop petites et dotées de moyens financiers insuffisants. Il faudrait mener une politique de regroupement géographique afin de leur donner plus de poids et de lisibilité. En Allemagne ou en Angleterre, nos diplômes ne sont pas reconnus”.
La directive relative à la reconnaissance des diplômes sanctionnant des formations d’une durée de trois ans, adoptée le 22 juin 1988 par le Conseil des Communautés européennes, s’est révélée d’autant plus inefficace qu’elle ne s’applique pas véritablement aux études d’art. Une recommandation propre aux enseignements artistiques serait souhaitable. Dix ans après l’étude de Jean-Jacques Passera, les problèmes posés par la reconnaissance et la validation des études faites dans l’Union européenne n’ont pas été réglés. Comment alors favoriser la mobilité des étudiants ? “Il demeure difficile de trouver un accord commun sur la reconnaissance des diplômes, remarque Michel Enrici, directeur de l’École d’art de Marseille. Une autorité de tutelle devrait prendre à bras le corps ces problèmes en créant des équivalences”. L’absence en France de doubles diplômes – permettant à un étudiant de passer une année à l’étranger et d’obtenir sur place le diplôme de l’université ou de l’école qui l’a accueilli – témoigne encore des retards pris par les écoles françaises face à leurs homologues allemandes ou anglaises, par exemple.
Erasmus et Tempus
Nonobstant ces handicaps, les étudiants sont de plus en plus nombreux à partir à l’étranger, que ce soit dans le cadre d’un programme européen d’échanges comme Erasmus ou Tempus, ou en vertu d’un accord bilatéral signé avec une école ou université étrangère. En 1998, 50 étudiants de l’Énsb-a, généralement en troisième ou quatrième année, ont bénéficié de trois à quatre mois d’études à l’étranger. L’école de la rue Bonaparte est liée par des accords avec 25 pays du monde, en Europe, en Amérique et en Asie surtout. À l’Ensad, environ neuf étudiants, sur un effectif total de 543, partent chaque année dans le cadre du programme européen Socrates ou d’accords inter-écoles signés avec des établissements situés à New York. Un protocole est en train d’être signé avec l’Université du Québec, à Montréal. À l’École régionale des beaux-arts de Saint-Étienne, une des plus dynamiques de France en matière d’échanges internationaux, 35 à 40 étudiants partent chaque année à l’étranger pour une durée de trois à cinq mois, alors que 25 à 30 jeunes viennent d’Europe ou du reste du monde (Mexique, Lituanie notamment) pour suivre des études dans le Forez, dont une dizaine d’entre eux au sein du 3e cycle international de design. Une antenne de l’École des beaux-arts de Saint Étienne a été créée à Thessalonique, en Grèce, accueillant chaque année une quarantaine d’étudiants, grecs principalement, qui suivent les mêmes enseignements que les Français. “Cette initiative permet de faire connaître la culture française à l’étranger”, souligne Josiane Franc, responsable des relations publiques internationales de l’école. À Toulouse, les étudiants peuvent partir dans le cadre de Socrates ou de Tempus, qui offrent la possibilité d’effectuer des stages d’un trimestre à un an dans un établissement ou une entreprise d’Europe centrale. Sur les sept étudiants bénéficiaires de ces échanges en 1999, seuls trois d’entre eux ont pu recevoir des bourses. Leur montant diminue d’année en année comme peau de chagrin, malgré l’aide de la Région et de la Commission de Bruxelles. L’École d’art de Marseille, une des premières à avoir participé au programme Erasmus des écoles d’art, à partir de 1988, semble disposer de financements plus nombreux et plus importants. “Dans le cadre d’Erasmus, les étudiants bénéficient d’une bourse mensuelle de 700 à 1 000 francs par mois. La mairie de Marseille verse de son côté un forfait de 7 000 francs à des étudiants qui présentent des projets particuliers à destination des pays d’Europe, mais aussi du Canada, des États-Unis ou d’Afrique, explique Michel Enrici, directeur de l’école. Le Conseil régional propose de son côté des enveloppes permettant des échanges en Europe ou aux États-Unis. Une quarantaine d’étudiants bénéficient de ces dispositifs chaque année”.
Post-diplômes
Si les séjours à l’étranger se multiplient pour les étudiants, les échanges d’enseignants semblent encore très peu pratiqués. Le bilan est nettement plus positif du côté des post-diplômes qui connaissent un grand succès, en particulier à l’École d’art de Marseille, à l’Ensad et aux Beaux-Arts de Nantes. Le post-diplôme créé en 1991 dans la préfecture de Loire-Atlantique accueille chaque année dix artistes. En 1999, neuf d’entre eux sont étrangers, comme Saâdam Afif qui a exposé cet hiver à Tours dans “Bruitsecrets”. “Ces échanges, réalisés dans le cadre de notre post-diplôme, enrichissent l’école qui est fréquentée par des artistes parfois connus. Cela permet aussi de promouvoir l’image culturelle et artistique de la ville de Nantes”, indique Robert Fleck, responsable de cette structure.
Elsa Mazeau Étudiante à l’École nationale supérieure des beaux-arts, à Paris, Elsa Mazeau est partie six mois à New York dans le cadre d’un échange bilatéral avec la School of Visual Arts. “L’enseignement et le cursus détonaient par rapport à celui des Beaux-Arts, explique-t-elle. Cette école d’arts appliqués new-yorkaise était une véritable usine à former des étudiants�?. Elle a découvert un système où l’argent est roi, où tout est pensé et conçu pour être vendu. Un enseignement plus scolaire qu’en France, avec la nécessité de rendre des devoirs régulièrement. Actuellement en troisième année à l’Énsb-a, elle souhaiterait pouvoir revenir un jour à New York pour y exposer. Benjamin Gozlan Benjamin Gozlan est parti pour quatre mois, de septembre à décembre 1998, à Barcelone, dans le cadre d’un échange Erasmus, alors qu’il était étudiant en quatrième année au sein de la section illustration-gravure de l’École nationale supérieure d’arts décoratifs (Ensad). En Espagne, il a suivi des cours et participé à des ateliers de peinture, gravure et dessin aux côtés d’Espagnols, mais aussi de nombreux étudiants étrangers, américains, polonais, allemands ou argentins. “Cette rencontre avec des étudiants de cultures différentes, qui ont un regard singulier sur l’art, s’est révélée très enrichissante. J’ai commencé à avoir des propositions pour exposer à Barcelone�?, témoigne-t-il. Shanti-Paul Nguyen-Geslin Seul étranger de la plus grosse école d’art de Bratislava, Shanti-Paul Nguyen-Geslin est resté un an en Slovaquie pour suivre les cours dispensés dans le cadre de la section design industriel. Aucun professeur ne parlant français, l’étudiant de l’École des beaux-arts de Saint-Étienne a dû apprendre le slovaque. “Cette expérience a été enrichissante. L’enseignement s’est révélé complémentaire par rapport à celui que je suis en France. En Slovaquie, les étudiants sont plus expérimentés car ils ont plus d’années de design derrière eux, les sections étant plus spécialisées�?. Actuellement en cinquième année à Saint-Étienne, il souhaiterait, ses études terminées, pouvoir travailler dans un pays slave.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La France en retard
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : La France en retard