La réforme de l’enseignement de l’architecture imaginée en 1992 par Armand Frémont, recteur de l’Académie de Versailles, entre actuellement dans sa phase d’application. Salué lors de sa publication, le rapport Frémont est aujourd’hui contesté par des étudiants en grève depuis un mois et demi. Une grève de plus en plus suivie et que de nombreux enseignants viennent de rejoindre. Le point sur un dialogue de sourds.
Accueilli, dès sa publication, comme étant “modéré et ambitieux”, le rapport Frémont proposait de remettre à niveau cet enseignement, de le rénover dans le respect de la tradition, en entretenant une habile dialectique entre la spécificité de la formation et son harmonisation souhaitée avec le système universitaire dominant. Soit, en bref, rompre l’isolement de l’enseignement de l’architecture depuis toujours considéré comme le parent pauvre de l’enseignement supérieur, sans pour autant perdre son âme.
Modérées et ambitieuses, donc, les propositions du rapport Frémont sont en passe, sept ans plus tard, d’être mises en application. Depuis lors, l’architecture a réintégré le giron de la Culture. Rendre l’architecture à la Culture, c’était redonner la parole à l’architecture. Et l’architecture, aujourd’hui, prend la parole. Ou du moins les étudiants, au nom seul et unique de la “Coordination nationale du mouvement des étudiants en architecture” qui vient de doubler l’Unéa (Union nationale des étudiants en architecture), au fond fort peu représentative tant les 18 000 étudiants en architecture sont très peu syndicalisés. Les enseignants, dans une bonne proportion, ont rejoint leurs étudiants dans la grève. Et même si certaines unités pédagogiques (UP) sont très en pointe, telles Paris-Belleville, Paris-La Villette, Paris-Val-de-Marne – dite Charenton – et Grenoble, l’ensemble des établissements vibre, bruit et conteste.
Pourtant, le rapport Frémont en allongeant le cursus de cinq ans à six ans, divisés en trois cycles de deux ans, fait véritablement passer l’enseignement de l’architecture d’un registre professionnel à un registre universitaire. De même qu’il prévoit de réelles augmentations budgétaires, une meilleure répartition géographique des établissements, de nombreuses équivalences et passerelles avec l’université, une ouverture effective aux technologies nouvelles, une amélioration du niveau du corps enseignant, une reconsidération du statut des enseignants et des étudiants, des ouvertures vers d’autres territoires, tels agences d’urbanisme, collectivités territoriales... Bref, un arsenal indispensable et incontestable.
Mais voilà qu’on s’énerve dans les UP. Deux points de la réforme focalisent les aigreurs. La carte scolaire tout d’abord, c’est-à-dire la répartition géographique des établissements ; et plus particulièrement pour ce qui concerne Paris et l’Île-de-France, qui en comptent huit aujourd’hui. Quatre vont fermer définitivement – Conflans, La Défense, Paris-La Seine et Paris-Villemain – et deux seront créés. Deux autres verront le jour en province (affectations non encore déterminées). Le deuxième point d’achoppement concerne la licence d’exercice, envisagée comme une menace. Pour les étudiants, six ans d’études paraissent suffisants. Ces six ans suivis de deux ans de pratique en agence avant de devenir réellement architectes sont ressentis comme un non-sens, l’expression d’un mépris insultant. Et quoique François Barré affirme être “violemment contre la licence”, les étudiants n’en croient pas un mot et la redoutent eux aussi violemment. Un jeune étudiant diplômable déclare : “C’est vrai que la licence existe partout en Europe et que la norme européenne fait loi. Mais cette licence est une imbécillité, ici comme ailleurs. Mieux vaut tenter de réformer l’Europe que se plier à une aberration”.
Dans toute cette agitation, une seule chose est claire, le flou. De son côté, la ministre Catherine Trautmann se déclare prête à discuter, à étudier toute proposition, et affirme : “Un des grands points de la démocratisation de la culture, c’est le droit des étudiants”. De leur côté, les étudiants exigent la prise en compte de leurs revendications et n’accepteraient de négocier qu’après l’acceptation de leurs exigences. Dialogue de sourds et blocage idéologique. Un responsable de la coordination nationale a démenti cette rumeur : “Nous avons des inquiétudes, des revendications, des points d’ancrage, des convictions, des droits, et nous entendons bien qu’ils soient pris en compte. Mais nous ne refusons en rien la négociation, bien au contraire. La seule exigence que nous ayons est le départ de François Barré. C’est la raison pour laquelle nous voulons parler directement avec la ministre”.
Ce qui ressort de tout cela, c’est le sentiment d’un immense imbroglio, d’une succession de malentendus. Et la certitude que chacun en est plus que conscient puisque tous, étudiants, enseignants, architectes, s’ils acceptent de s’exprimer, demandent qu’on protège leur anonymat. Comme si, au fond, personne ne savait effectivement à quoi s’en tenir, n’avait de réelle opinion. Il est vrai que l’affrontement est plus qu’ambigu. D’un côté, on condamne la “dérive centralisatrice et jacobine” de l’État. De l’autre, on se méfie d’une manipulation éventuelle de l’agitation. Car si certains points évoqués par les “contestataires” sont justes, il règne dans leur discours certaines équivoques, notamment pour ce qui concerne la survivance corporatiste (mandarinat, libéralisme...), et un probable refus de la modernité (certains enseignants interdisent à leurs élèves l’utilisation de l’informatique... d’autres, “modernistes en diable”, leur ont même interdit la visite du Guggenheim Bilbao de Frank Gehry !). Entre ouverture et ambiguïté, entre repliement et éclectisme, le débat enfle, il n’est pas prêt d’être clos.
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Architecture : la réforme contestée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Architecture : la réforme contestée