Issue d’une collection privée, La Femme au virginal, présentée dans « Vermeer et l’École de Delft » au Metropolitan Museum de New York, pourrait être attribuée à l’auteur de La Dentellière. La confrontation avec les deux toiles de la National Gallery de Londres devrait permettre de trancher le débat.
LONDRES (de notre correspondant) - Un Vermeer oublié a refait surface après avoir été déclassé et caché dans une collection privée pendant près de cinquante ans. La Femme au virginal, qui a appartenu à la collection Beit avant d’être la propriété du baron Rolin de Bruxelles, a été dévoilée officiellement à l’occasion de l’exposition "Vermeer et l’École de Delft", au Metropolitan Museum (jusqu’au 27 mai). Elle est accrochée dans la même salle que les Vermeer tardifs, avec deux autres peintures de femmes au virginal provenant de la National Gallery de Londres. Ce tableau redécouvert n’a été exposé que deux fois, en 1907 et en 1952, et la décision de le présenter à New York n’a été prise qu’en janvier. Il ne figure donc pas au catalogue, seule une note de bas de page indique qu’il a été examiné au musée et qu’il “pourrait être considéré comme authentique”. La démonstration de Walter Liedtke, conservateur au Metropolitan, est la suivante : cette œuvre est contemporaine de Vermeer, elle rappelle fortement son style et sa technique et, autant que l’on sache, il ne dirigeait pas d’atelier et n’avait pas d’élèves. Ainsi, soit l’œuvre est authentique, soit un autre artiste travaillait dans le même style que Vermeer, une découverte qui forcerait les historiens de l’art à reconsidérer toute l’œuvre du maître.
Cette toile pouvant être présentée sur le marché de l’art, la prudence s’impose. Dans le cadre de l’exposition, elle sera donc montrée avec une légende “neutre”, invitant les spécialistes à tirer leurs propres conclusions. Les œuvres de Vermeer sont si rares – 35 seulement sont reconnues comme authentiques – que tout nouveau tableau susceptible de lui être attribué attise la curiosité. S’il est authentifié, ce sera le seul Vermeer en mains privées (à condition d’exclure Sainte Praxède, dont l’authenticité est contestée). Par ailleurs, depuis La Ruelle, en 1921, plus aucun Vermeer n’a été proposé sur le marché. Sotheby’s conseille actuellement le propriétaire, ce qui annonce une possible mise en vente.
La Femme au virginal est mentionnée pour la première fois en 1907 par Hofstede de Groot dans une étude consacrée à Vermeer, mais, en 1948, l’œuvre a été déclassée par Arie de Vries, suite au scandale relatif aux faux exécutés par Hans Van Meegeren. Selon Arie de Vries, il pouvait s’agir de “l’œuvre d’un de ces artistes qui, vers 1800, peignaient de petits intérieurs à l’ancienne manière hollandaise”. Depuis, pratiquement tous les spécialistes l’ont dûment rejeté et récemment encore, en 1998, Ben Broos, conservateur et chercheur au Mauritshuis de La Haye, a considéré lors d’un congrès que “Sir Alfred Beit fut, pour un temps, l’heureux propriétaire d’un pastiche grossier des deux tableaux de femme au virginal, conservés à la National Gallery de Londres, doté en prime d’une craquelure soi-disant ancienne.” Il date le tableau de 1930-1940 environ, époque à laquelle Hans Van Meegeren a produit ses faux. Cette datation est d’autant plus surprenante que l’œuvre avait été mentionnée par de Groot dès 1907.
Rares sont les publications faisant état de la provenance de La Femme au virginal ; elle a été achetée par le magnat de l’exploitation minière Alfred Beit, dans les années 1890, auprès d’un certain Gruyter (il aurait pu être présenté lors de la vente Reyers à Amsterdam en 1814). Le tableau est ensuite passé aux mains de son fils, sir Otto, puis de son petit-fils, sir Alfred, qui l’a vendu en 1960. Le baron Rolin en a fait l’acquisition par l’intermédiaire de la galerie Marlborough Fine Art, et il en est toujours le propriétaire.Le tableau du baron Rolin a été examiné par des conservateurs du Metropolitan, de la National Gallery de Londres et de l’University College, de Londres. Libby Sheldon, directrice du laboratoire d’analyses picturales de cette dernière institution, a mis en évidence la présence du jaune de plomb et d’étain, un pigment qui n’est plus utilisé depuis 1700 environ, mais aussi du bleu outremer et de la terre verte, caractéristiques de la palette du maître. En comparant le fond de La Femme au virginal à celui des deux Vermeer de Londres, Libby Sheldon a découvert de nombreuses similitudes. Elle conclut que l’examen technique du tableau “tend à prouver que l’œuvre est de Vermeer”.
D’un point de vue stylistique, les arguments les plus convaincants en faveur de l’authenticité du tableau ont été avancés par Gregory Rubinstein, spécialiste des maîtres anciens chez Sotheby’s. Même s’il est manifestement intéressé dans l’affaire. “Cette œuvre présente une exécution de grande qualité, surtout dans le bas du drapé, dans la lumière et les reflets sur le virginal et dans la manière dont les mains vont vers l’instrument et se reflètent sur sa surface. Plus je le comparais à d’autres Vermeer, plus j’étais convaincu qu’il était authentique.” Il s’agirait, selon lui, d’un Vermeer tardif, du début des années 1670, soit peu de temps avant la mort de l’artiste en 1675. Le tableau Rolin n’est connu qu’à travers de piètres reproductions. Aussi Gregory Rubinstein assure-t-il que les spécialistes seront étonnés par sa qualité. Les principaux doutes proviennent des repeints. Les rubans rouges dans les cheveux de la femme ont été ajoutés dans les années 1950, même si on distingue les traces du rouge original sous la couche actuelle, et certains traits du visage ont également été retouchés. Si la cape jaune a été repeinte, vraisemblablement au XVIIe siècle, le drapé original que l’on devine est plus proche du style de Vermeer.
Après New York, "Vermeer et l’École de Delft" sera présentée à la National Gallery de Londres, du 20 juin au 16 septembre.
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La Femme au virginal est-elle le 36e Vermeer ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°123 du 16 mars 2001, avec le titre suivant : La Femme au virginal est-elle le 36e Vermeer ?