Mariage de pièces chinoises ou japonaises et du travail des plus grands bronziers de la capitale, ces objets ont toujours eu la cote. Leurs prix soutenus s’affirment encore aujourd’hui.
Des porcelaines ornementées de bronze doré du XVIIIe siècle pourraient être un bon placement. Plusieurs chefs-d’œuvre du genre ont récemment battu des records en vente publique. Le 23 juin 2004, chez Sotheby’s à Paris, un grand vase couvert de forme balustre en céladon à motifs en relief, d’époque Qianlong, avec une monture de bronze doré d’époque Louis XV attribuée à Jean-Claude Duplessis, a été adjugé 1,5 million d’euros, un record mondial pour une porcelaine montée. La pièce qui avait été achetée par la marquise de Pompadour au marchand mercier Lazare Duvaux, et livrée le 5 août 1755 à Jean-Baptiste de Machault d’Arnouville, était restée dans la descendance du contrôleur général des finances jusqu’à sa mise à l’encan. Ce record a été détrôné le 9 avril 2008, toujours à Paris chez Sotheby’s, par une paire de vases pots-pourris en céladon craquelé d’époque Kangxi, à monture de bronze doré d’époque Louis XV, vendue 2,2 millions d’euros. La prise était magnifiquement ornée de corail, coquillages et perles en bronze doré. Cette paire avait été précédemment vendue le 16 décembre 1998 chez Sotheby’s à Londres pour 227 000 livres (285 000 euros). En dix ans, la valeur de ces pots-pourris a donc été multipliée par plus de sept. Le 8 juillet 2008, à Londres, encore une fois chez Sotheby’s, un vase pot-pourri d’époque Qianlong, orné d’un décor raffiné feuillagé de style rocaille d’époque Louis XV (vers 1755), provenant de la collection Dimitri Mavrommatis, a établi un nouveau record sur une enchère de 2,1 millions de livres (2,7 millions d’euros). Il s’agit d’un rare modèle de porcelaine noire à décor doré, ayant appartenu au XIXe siècle à Ismaël Pacha, ex-khédive d’Égypte. Son pendant est conservé au Musée des Arts décoratifs et appliqués (Kunstgewerbemuseum) de Berlin. Cette pièce faisait précédemment partie de la collection Djahanguir Riahi, dispersée aux enchères chez Christie’s, à New York, le 2 novembre 2000. Dimitri Mavrommatis, qui l’avait acquise pour 1,5 million de dollars (environ 1 million d’euros), soit trois fois l’estimation haute, se souvient s’être entendu dire à l’époque qu’il l’avait payée cher. Moins de huit ans plus tard, le collectionneur a lui-même réalisé une belle opération financière...
Sèvres et Meissen aussi
Le goût pour les objets montés, qui se développe au Siècle des Lumières, remonte au Moyen Âge, alors que les minéraux ou les matières animales précieuses telles les conques, éléments chargés de symbolique et de pouvoir magiques, étaient magnifiés par des montures en or, en argent, ou plus rarement en bronze doré. Les premières porcelaines importées d’Extrême-Orient, assimilées à des étrangetés de la nature (car le mystère de leur fabrication est percé tardivement en Europe), furent ornées de la même manière. Sortant des cabinets de curiosités, ces objets extrêmement décoratifs prennent place dans l’intégralité de la demeure. Si les plus belles pièces, réservées à une élite, coûtaient cher à l’époque, elles n’ont, avec le temps, rien perdu de leur valeur. Elles intéressent une élite de collectionneurs de mobilier et objets d’art français du XVIIIe et/ou d’amateurs de porcelaines, à l’exception des acheteurs asiatiques. « Les plus belles porcelaines chinoises montées n’intéressent pas le marché chinois car elles apparaissent comme des objets occidentalisés », observe Brice Foisil, l’expert de Sotheby’s à Paris.
Comme les pièces asiatiques, les porcelaines de Meissen à partir de 1740 puis celles de Sèvres sous Louis XVI furent montées en bronze doré. Le 8 décembre 2004, à Londres, chez Sotheby’s, une paire de vases de forme balustre en porcelaine de Sèvres à fond jaune et décor néoclassique en biscuit blanc et bleu, avec une monture de bronzes dorés attribuée à Pierre-Philippe Thomire, d’époque Louis XVI, vers 1786, s’est envolée à 733 600 livres (1,06 million d’euros), le double des prévisions hautes. Ces vases montés avaient figuré dans les collections du comte d’Artois. Mais l’essor de la porcelaine française n’éclipse pas le goût pour les pièces venues d’Asie. Ainsi, deux vases chinois de porcelaine aubergine d’époque Kangxi, dans leur monture de bronze ciselé et doré en forme d’aiguière attribuée à Pierre Gouthière, commandés pour le cabinet intérieur de la Reine au château de Versailles, ont pu être admirés par le public nombreux de l’exposition « Marie-Antoinette », présentée ce printemps au Grand Palais, à Paris. Cette paire royale a été acquise par Madame Pinault le 9 juin 1994, à Londres, chez Christie’s pour un peu plus de 1 million de livres (1,3 million d’euros). Si elle repassait à présent sur le marché, elle vaudrait une fortune.
Alors que les porcelaines asiatiques étaient souvent modifiées, coupées, rognées ou aboutées afin de pouvoir être adaptées à leur monture de bronze doré, ces vases chinois à triple gourde ornés de cartouches représentant des objets usuels ont été littéralement enchâssés dans leur monture. L’ornementation qui transforme ces vases en aiguière appartient tout entière à l’esprit rocaille qui s’épanouit en France entre 1730 et 1750. La vigueur de leur mouvement et l’asymétrie, tout comme les jeux de courbes et contre-courbes, ainsi que les feuillages étirés, sont symptomatiques de ce style ayant cours sous Louis XV. La datation stylistique peut être précisée grâce à la présence du « C » couronné frappé sur les terrasses et les anses de chacune des aiguières. Ce poinçon correspond à une taxe instituée en France entre 1745 et 1749 sur tous les objets, anciens ou modernes, contenant du cuivre et passant alors dans le commerce. « On connaît une autre paire d’aiguières, conservée au Metropolitan Museum of Art à New York (anciennes collections Erich von Goldsmith-Rothschild, puis baronne Renée de Becker), en tout point identique, aussi bien en ce qui concerne les montures que la forme des vases triple gourde. Seuls les décors des cartouches diffèrent ainsi que quelques ornements secondaires sur les porcelaines, note Bill Pallot, spécialiste parisien en mobilier et objets d’art français du XVIIIe. Il est possible que ces deux paires aient été réalisées sous la houlette d’un même marchand mercier. »
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La double vie des porcelaines montées
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Abonnez-vous dès 1 €Brice Foisil, directeur du département mobilier, sculptures et objets d’art, Sotheby’s, Paris
Qu’est-ce qui fait la valeur d’une porcelaine montée : la porcelaine ou la monture ?
Les deux, mais surtout un mariage réussi où l’un met en valeur l’autre et réciproquement. Les porcelaines montées sont des objets d’apparat d’un très grand raffinement présentés à hauteur d’yeux, sur un meuble ou une cheminée. Les marchands merciers parisiens sélectionnaient, en fonction de leurs formes rares et originales et de leur décor, les pièces chinoises ou japonaises qui arrivaient d’Extrême-Orient par les différentes « Compagnies des Indes ». Ils les faisaient monter par les plus grands bronziers de la capitale pour séduire les princes, mais aussi les financiers, les fermiers généraux et les hauts fonctionnaires. La beauté de la monture, c’est-à-dire la virtuosité de son dessin, la qualité de la ciselure et de la dorure des bronzes, est essentielle. Le travail des bronzes doit être encore plus minutieux que pour un meuble. Car les bronzes sont une partie intégrante de ces objets et non un simple élément décoratif. Les amateurs d’aujourd’hui aiment les porcelaines monochromes, en raison de la pureté et de la profondeur de la couleur (notamment céladon uni, craquelé ou gaufré ; bleu poudré ; sang de bœuf ou encore aubergine), mais aussi les vases polychromes comme les porcelaines chinoises de la famille verte. Les paires ou les garnitures sont généralement plus recherchées et ce, dans un pur esprit de symétrie décorative. Mais les pièces isolées exceptionnelles remportent tous les suffrages. La valeur d’une pièce montée tient également compte de son format et de l’originalité de sa forme. Enfin, une prestigieuse provenance apporte une plus-value non négligeable.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : La double vie des porcelaines montées