Père de famille nombreuse et peintre catholique, Maurice Denis a témoigné un intérêt pour les scènes familiales qu’il a transfigurées en d’angéliques sujets religieux, sans renoncer au décoratif.
Noëlle, l’aînée, Dominique, Jean-François, Bernadette, Anne-Marie, Madeleine, la petite dernière, tous peints dans la douce quiétude de la propriété de Saint-Germain-en-Laye. Maurice Denis ajoute même dans son Autoportrait devant le Prieuré (1921), Marthe, la femme adorée disparue en 1919, accueillant paisiblement Élisabeth, épousée en secondes noces en 1921. Au premier plan, le peintre veille sur son exemplaire et joyeuse famille chrétienne.
Touché par la grâce
Une telle composition suffirait à évoquer la vie de Maurice Denis, fils d’un employé de la compagnie des chemins de fer de l’Ouest et d’une modiste, né en 1870 dans la Manche, mort à Paris le 13 novembre 1943 à l’âge de 73 ans, renversé par une voiture sur le boulevard Saint-Michel. Derrière lui, Denis laisse neuf enfants et une existence tranquille passée sur les lieux de l’enfance à Saint-Germain-en-Laye, sans frisson ni scandale, avec son compte de deuils, sa Grande Guerre, ses tourments de peintre et de croyant.
Mais les choses n’étant pas si simples, Maurice Denis fut aussi un peintre catholique d’une étoffe particulière. Il aura connu une première et courte vie de théoricien audacieux, suivie d’une seconde, moins connue, tout entière promise à la redéfinition de l’art sacré. « Il faut que je sois peintre chrétien, que je célèbre tous ces miracles du christianisme, je sens qu’il le faut » s’enflamme déjà le jeune Denis en 1885 dans les pages de son journal. Élève au lycée Condorcet, il engage alors des discussions ardentes avec ses jeunes condisciples, Vuillard, Roussel ou Lugné-Poe. Le cadet de la bande manie le pinceau autant que la plume, mais se sait déjà peintre.
« Denis avait une figure ronde, plutôt souriante où se lisaient la volonté et la réflexion. Son œil bleu regardait à l’intérieur » écrira Bonnard en 1945. Une volonté qui le mène finalement à dix-sept ans aux portes de l’académie Julian. Avec lui, Sérusier, Bonnard, Ranson rejoints par Vuillard, Roussel et Piot affûtent la tâche à accomplir et donnent naissance à la confrérie nabie.
Les Ateliers de l’art sacré
L’amitié de jeune homme unissant Denis à Vuillard résistera aux sérieuses dissensions idéologiques les opposant, en particulier au moment de l’affaire Dreyfus. Mais par la suite, Maurice Denis associe son environnement affectif à ses questionnements spirituels. Admirateur de Paul Claudel, il se lie à Gide, au peintre Verkade, à Bernanos, se rapproche un temps de l’Action française.
En père de famille nombreuse exalté, il s’installe au Prieuré en 1914 et y exerce jusqu’à la fin son mysticisme du quotidien. L’année 1919 marque avec précision cette orientation nouvelle. Le peintre sort de la guerre, perd sa femme, souffre de problèmes de vue et s’engage dans une véritable croisade de modernisation de l’art sacré. Un prosélytisme qui le pousse à fonder avec George Desvallières les Ateliers d’art sacré.
Denis est alors un notable bénéficiant déjà de rétrospectives dont les préoccupations spirituelles orientent pleinement le théâtre des opérations. Il enseigne, écrit, enchaîne les commandes religieuses. Et si, le siècle finissant, Denis se mêlait énergiquement aux bourrasques intellectuelles et esthétiques de son temps, la modernité en marche le heurte. « Le monde nouveau qu’on est en train de découvrir, pourrait bien se passer d’artistes », écrit en 1927 le peintre, dépassé par les audaces de Matisse et Picasso. « L’art tend à devenir une sorte de divertissement mondain, une dépendance de la mode ».
1888 Formation du groupe des nabis (prophètes en hébreu). 1890 Maurice Denis écrit le fameux article « Définition du néo-traditionnisme » dans la revue Art et Critique. Dès sa formation, le groupe s’affirme dans une esthétique du sacré. 1891-1896 Les nabis organisent 13 expositions collectives et collaborent à la Revue Blanche. Surface plane, formes simplifiées et cernées, teintes saturées caractérisent le groupe. 1899 Un hommage à Odilon Redon à la galerie Durand-Ruel marque l’ultime manifestation du groupe. 1903 La dissolution de la Revue Blanche coïncide avec la dispersion du groupe.
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La consécration de l'intime
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°585 du 1 novembre 2006, avec le titre suivant : La consécration de l'intime