La Biennale de Venise change de tête

Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 770 mots

Intervenue bien avant l’échéance normale du mois d’avril, la nomination de Franco Bernabè pour remplacer Paolo Baratta à la présidence de la Biennale de Venise n’a pas manqué de provoquer des réactions en Italie. Jugée brutale, cette décision intervient alors que le ministère de la Culture semble opérer un retour aux “valeurs sûres�? dans le domaine de la création contemporaine.

Venise (de notre correspondante) - C’est un manager avant tout que le ministre de la Culture, Giuliano Urbani, veut pour présider la Biennale de Venise. Avec beaucoup d’avance par rapport à l’échéance prévue le 9 avril prochain, Franco Bernabè a été nommé comme successeur de Paolo Baratta. Cet homme d’affaires, qui plus est proche du ministre des Finances, Giulio Tremonti, et du nouveau directeur général du Trésor, Domenico Siniscalco, se voit donc confier la tâche de trouver les fonds privés qui pallieront la diminution de la subvention de l’État. Celui-ci était jusqu’alors l’unique financier de la Biennale, qui dispose d’un budget d’environ 20 millions d’euros par an. Âgé de cinquante-trois ans, Franco Bernabè a obtenu une licence en économie avant de travailler à l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) à Paris, puis d’être engagé au bureau d’études économiques de Fiat. En 1983, il entre à l’Eni (conglomérat énergétique italien) dont il devient l’administrateur délégué (1992-1998), assurant sa privatisation et son assainissement. Son expérience comme administrateur délégué de Telecom Italia n’a, en revanche, duré que de novembre 1998 à novembre 1999. Bernabè a alors créé sa propre entreprise dans le secteur des télécommunications, la Franco Bernabè & C., un groupe au chiffre d’affaires annuel d’environ 3 millions d’euros.
Plus que ce parcours, d’un prestige indéniable, ce sont les méthodes employées pour sa nomination qui ont provoqué de nombreuses critiques. Après des mois d’indiscrétions et d’incertitudes, le renouvellement de Paolo Baratta, président de la Biennale depuis 1998, semblait acquis, celui-ci ayant été maintenu dans l’ignorance. La manœuvre semble avoir désavoué implicitement quatre années de travail qui ont pourtant donné d’excellents résultats. “Le gouvernement change et les nominations politiques aussi. C’est une question de méthode, non de jugement de valeur”, a lancé Vittorio Sgarbi. Sous-secrétaire aux Biens culturels, désormais célèbre pour ses avis “tranchés” contre la création contemporaine, ce dernier avait mis le feu aux poudres en août dernier. Giuliano Urbani avait alors dû intervenir pour le freiner. Paolo Baratta avait, lui, continué à exercer la plénitude de ses pouvoirs, se lançant dans une riche programmation pour les mois à venir, et nommant le nouveau directeur de la Biennale d’architecture, Deyan Sudjic. Le tout en totale autonomie, comme le prescrivent les statuts de la Biennale. Toujours selon Sgarbi, ces actes d’indépendance seraient à l’origine de son limogeage. Parfois violentes, ces confrontations posent évidemment la question de la validité des engagements déjà pris pour la Mostra et la Biennale d’architecture de septembre. “Rien n’empêche de changer le cours des choses, a déclaré Sgarbi d’un ton sec, avant de rajouter, mais s’il advenait que le programme soit bon...”
Pour la direction artistique du secteur des arts visuels, aucune nomination n’a encore été décidée, mais le critique australien Robert Hughes (lire encadré) a fait connaître sa disponibilité. L’ère Szeemann est désormais révolue. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement alors que Sgarbi semble appliqué à opérer un retour à la “tradition” ? La récente nomination du cinéaste Franco Zeffirelli comme conseiller ministériel pour les arts et le spectacle, prouve en effet que l’Italie se tourne vers ses valeurs sûres.

Robert Hughes, un “libéral�? sur les rangs

Né à Sydney en Australie en 1938, Robert Hughes, qui vit en Europe et aux États-Unis depuis 1964, est un candidat déclaré à la reprise de la direction artistique de la Biennale de Venise. Critique d’art dans les colonnes de l’hebdomadaire américain Time, il est depuis le milieu des années 1960 au micro de nombreux programmes à succès radiophoniques et télévisuels de la BBC et d’autres médias britanniques. Auteur de plus d’une quinzaine d’essais, dont The Shock of the New (1981) et Culture of complaint (1993), un ouvrage consacré aux excès du “politiquement correct�? et à la valeur du multiculturalisme américain, il se définit comme “libéral plutôt que conservateur�?. En 1997, dans American Visions : the Epic History of Art in America (Knopf), il disait considérer l’art “fatigué et son modèle de progrès (le mythe de l’avant-garde) épuisé, une parodie de lui-même�?. Auteur de monographies sur Frank Auerbach et Lucian Freud, il est connu pour ses critiques virulentes de l’œuvre d’Andy Warhol (alors au sommet de sa gloire) et de Julian Schnabel. Sans grande originalité, il considère Picasso et Matisse comme les plus grands artistes du XXe siècle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : La Biennale de Venise change de tête

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