John Russell, professeur d’archéologie au Massachusetts College of Art de Boston, réside à Bagdad depuis sept mois. En tant que conseiller de l’Autorité provisoire de la coalition (APC) auprès du ministère irakien de la Culture, il a contribué à la coordination de la reconstruction du Musée archéologique national et à l’amélioration de la sécurité des sites archéologiques du pays. Entretien.
Avec l’escalade actuelle de la violence en Irak, vous devez vous sentir constamment en danger…
Je ressens un climat général d’insécurité. Nous essuyons des tirs de roquettes fréquents qui visent les quartiers généraux de la coalition. Ce secteur administratif se situe à quelques encablures du département des Antiquités où je passe le plus clair de mon temps.
Lors de votre arrivée à Bagdad, en automne 2003, comment avez-vous décidé des priorités ?
Sur place, nous avons évalué les besoins les plus pressants et défini deux grands domaines : le réaménagement du musée et la protection des sites archéologiques. En 2003, le département d’État a reçu un crédit de 1 million de dollars réservé aux institutions culturelles, au Musée archéologique national et à la Bibliothèque nationale, somme dont la majeure partie a été consacrée au bâtiment du musée. Un demi-million supplémentaire a été voué à l’élimination du trafic et à la recherche des objets archéologiques en Irak, ainsi qu’à la création d’une base de données des pilleurs et des trafiquants connus. Le but est de restreindre le flux d’antiquités qui sortent du pays en utilisant la documentation et les techniques de la police.
Qu’en est-il du ministère de la Culture irakien ?
Le ministère est reconstitué, avec à sa tête Mufid Al-Jazairi, un ancien expatrié revenu au pays prendre ses fonctions (lire page ci-contre). Je suis très enthousiaste en ce qui concerne la manière dont le tout fonctionne. Les projets et les idées foisonnent. Le Conseil national des antiquités et du patrimoine, l’une des dix divisions du ministère de la Culture, n’a pas changé. Abdul Aziz Hamid, spécialiste en art islamique, vient d’être nommé à sa tête, mais, d’une manière générale, les équipes sont les mêmes qu’avant le conflit. Celles-ci réfléchissent à la gestion du musée, aux méthodes à appliquer lors des fouilles et à la préservation des bâtiments historiques.
Que s’est-il passé depuis la mise à sac du Musée archéologique national de Bagdad ?
Le bureau des affaires de l’Éducation et de la Culture (AEC) attaché au département d’État américain a envoyé une équipe d’experts évaluer les besoins liés à la réhabilitation et à la reconstruction des infrastructures. Les divers contrats de réparation (fluides…) et d’installation (système de communication, informatique…) s’élevaient à un total de 750 000 dollars. Les travaux, dont la plupart ont été entrepris par des compagnies irakiennes locales, arrivent à terme. Le musée devenu un édifice fonctionnel aura même son site Internet et son adresse électronique.
Dans quel état se trouve la Bibliothèque nationale ?
La bibliothèque se trouvait dans un état bien pire que le musée et les travaux sont en cours. À l’automne dernier, l’AEC a envoyé des experts de la bibliothèque du Congrès américain pour évaluer les dégâts – deux incendies avaient ravagé la Bibliothèque nationale et les Archives lors des pillages. L’équipe a recommandé un transfert de la bibliothèque dans une structure existante – un ancien club des officiers de la Garde républicaine. Le ministère prépare un concours d’architecture pour le réaménagement de cette structure, mais d’ici là les employés travaillent dans le bâtiment originel.
Quelle est la situation des autres grands musées ?
Oubliez les dégâts dus aux pillages ! Saddam Hussein avait négligé ces musées pendant des décennies, aussi 90 % des travaux concernent la modernisation des infrastructures. Le musée de Mossoul bénéficie d’un contrat de 350 000 dollars signé par l’APC locale de la province de Ninive pour améliorer sa sécurité. Le musée de Nassiriah attend la rénovation promise par les Carabiniers italiens. Le musée de Babylone a été magnifiquement rénové, mais les collections d’antiquités ne sont pas encore réinstallées.
Comment estimez-vous le travail accompli ?
Les conditions générales du Musée national et de la Bibliothèque s’améliorent de jour en jour. Grâce à l’intervention de la coalition en particulier, les pillages sur les sites archéologiques ont ralenti, notamment dans la province de Nassiriah où les Carabiniers italiens ont fait de leur lutte une priorité, mais c’est un travail de longue haleine. Idem pour la province de Babel où l’administration locale de l’APC a établi un large système de protection des sites, avec de nombreux gardes et véhicules. L’APC a promis 1 million de dollars à la région du centre-sud pour équiper les sites.
Quelles sont les priorités actuelles ?
L’ensemble des sites archéologiques nécessite plus de moyens pour une protection continue, province par province. Connaissant la richesse du pays en termes de sites archéologiques, dont beaucoup restent à découvrir, l’idéal serait que les entreprises sous contrat pour la reconstruction soient dotées d’un programme de surveillance archéologique pour contourner les sites. Le Conseil des antiquités souhaite minimiser les dégâts causés par les projets de développement et a donc instauré une clause dans les contrats assurant la présence d’experts en antiquités sur les projets de reconstruction. Le renforcement de l’équipe de sécurité du département des Antiquités est également nécessaire.
La formation et le développement des équipes de professionnels à travers les programmes d’échanges internationaux constituent une autre priorité. L’AEC a récemment financé une formation de cinq semaines aux États-Unis pour des employés du Musée national. De leur côté, les Britanniques ont organisé un projet de formation pour les conservateurs à Londres. L’Agence américaine pour le développement international a fait don de plus de 4 millions de dollars à la State University de New York à Stonybrook (New York) pour aider le Musée national à moderniser ses départements d’archéologie et d’assyriologie. La réhabilitation du musée doit se poursuivre afin que celui-ci reprenne un rôle dans la vie des Irakiens mais aussi sur le plan international. Le travail de la police pour la recherche des milliers d’objets encore manquants doit être soutenu. Nous ne disposons pour l’instant que d’une estimation, mais de nombreux objets semblent se trouver encore à Bagdad et en Irak. Les propositions d’assistance sont considérables, mais celles-ci ont besoin d’un cadre général d’organisation qui réponde aux besoins des musées. Sans système de comunication efficace, les personnes étrangères aux services ont toutes sortes d’idées, mais, à moins de les coordonner et de les diriger vers les institutionnels, ces idées ne prennent pas forme.
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John Russell, professeur d’archéologie conseiller auprès du ministère de la Culture irakien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : John Russell, professeur d’archéologie conseiller auprès du ministère de la Culture irakien