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L'actualité vue par

Jean-Michel Foray

Directeur des musées nationaux des Alpes-Maritimes

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 1054 mots

Directeur des musées nationaux des Alpes-Maritimes, commissaire de l’exposition “Chagall connu et inconnu” qui se déroule à Paris au Grand Palais jusqu’au 23 juin, Jean-Michel Foray dirige les musées nationaux des Alpes-Maritimes (le Musée message biblique Marc-Chagall à Nice, le Musée Fernand-Léger à Biot et le Musée Picasso à Vallauris). Il commente l’actualité.

L’État et le Louvre viennent de signer un contrat d’objectifs et de moyens pour le Musée du Louvre sur la période 2003-2005. Outre la création d’un département des Arts de l’Islam, ce contrat, en contrepartie de moyens supplémentaires, engage le Louvre à augmenter ses ressources propres. Parallèlement, il incite l’établissement à intensifier son action territoriale. Que pensez-vous de cette “première” ? En tant que responsable des musées nationaux des Alpes-Maritimes, comment jugez-vous l’action des musées nationaux parisiens en régions ?
Ce contrat d’objectifs et de moyens modernise le rapport de l’État et des grands musées et s’inscrit dans un mouvement général de déconcentration et de décentralisation. Les grands établissements ont acquis une autonomie de fonctionnement et, de fait, leur rapport à l’État change. Il devient contractuel. Évidemment, cela contraint ces établissements à rechercher des équilibres financiers, mais ils peuvent les trouver. Ce qui n’est pas le cas pour d’autres établissements. Les musées nationaux Marc-Chagall et Fernand-Léger, que je dirige, sont plus fragiles et ne recherchent pas spécialement cette autonomie. Quant à la politique d’actions vers les régions, elle fonctionne déjà. Notre partenaire naturel pour les musées nationaux des Alpes-Maritimes est le Musée national d’art moderne, à Paris, qui a déposé des tableaux de sa collection au Musée Léger, il y a deux ans, ainsi qu’au Musée Chagall, une première fois en 1985 et une seconde fois cette année. Nous disposons ainsi d’œuvres importantes de Chagall, hors du thème biblique, qui nous permettront dans les mois à venir de constituer une salle monographique. Avec le Louvre, nous avons monté une exposition sur la dynastie de sculpteurs Della Robbia.

Parallèlement, l’indépendance acquise par les grands musées parisiens comme le Louvre ou Orsay ne se fait-elle pas au détriment du système de “mutualisation” des musées nationaux qui prévalait jusque-là ?
À l’évidence, si le rapport des grands musées et de l’État se transforme, c’est tout le système des relations de la Réunion des musées nationaux (RMN) à l’État et aux musées qu’il faut repenser. Peut-être la RMN sera-t-elle amenée à se développer comme un prestataire de services. Mais pour les musées dont je m’occupe, elle reste indispensable : elle a un réel savoir-faire en matière d’expositions et d’édition.

La vente Breton a été marquée par un grand nombre de préemptions et d’importants dons des héritières du poète. Quel était votre sentiment sur cette vente, souteniez-vous l’idée d’une fondation ou d’un musée ? L’État a-t-il rempli son devoir lors de la vente ?
Étant fonctionnaire, je suis peut-être mal placé pour le dire, mais l’État a vraiment fait ce qu’il fallait. Avec des préemptions d’une valeur totale de 11,5 millions d’euros, on ne peut pas dire que les objets de la vente Breton aient été dispersés aux quatre coins de la planète. Par ailleurs, l’idée de créer une fondation n’est pas nécessairement bonne. Les fondations ne se justifient que lorsque les artistes eux-mêmes ont œuvré à leur création. Hans Hartung en est un bon exemple. Il a accumulé toute sa vie des tableaux destinés à former une collection de référence. Dubuffet aussi. Et Chagall a toujours eu l’idée de rassembler son travail biblique pour en faire un musée. Les fondations qui se font sans les artistes ne fonctionnent pas. André Breton, à ma connaissance, n’a jamais pensé à la pérennité de sa collection, ni donné d’instructions pour la conserver. Il n’est pas le seul, prenez l’exemple de Picabia. Les artistes nous disent toujours, d’une façon ou d’une autre, ce qu’il faut faire de leur œuvre après leur disparition.

Vous avez entrepris un programme d’expositions d’art contemporain au Musée Chagall. De nombreux musées proposent aujourd’hui ce type de rencontre, jusqu’au Louvre qui accueille pendant l’exposition “Léonard de Vinci” une installation de James Coleman. Quel est, pour vous, le sens de ces dialogues ?
Si les musées existent, et les conservateurs avec eux, c’est tout de même grâce au travail des artistes du passé. Il est donc naturel que les musées tendent la main aux artistes vivants. Dans les expositions d’art contemporain, la peinture est désormais quasiment absente, à l’inverse de la photographie, de la vidéo ou du cinéma. Comme je m’occupe de musées consacrés à des peintres, il me paraît intéressant de confronter des peintres d’aujourd’hui aux “vieux maîtres du XXe siècle” et de montrer au public que la peinture n’a pas totalement disparu des pratiques artistiques. Le programme a commencé avec Stéphane Pencreac’h et Vincent Corpet. Actuellement, et jusqu’au 23 juin, nous exposons les œuvres d’Alex Amann. Je pense poursuivre avec Gérard Garouste. Il ne s’agit pas d’établir un dialogue entre artistes : en fait, il est très difficile d’établir un dialogue direct avec Chagall car aucun artiste ne le cite aujourd’hui. Mais ce programme contemporain permet de proposer, à doses un peu homéopathiques, un parcours dans la peinture d’aujourd’hui, comme une fenêtre ouverte sur l’extérieur. Il suffit juste d’observer quelques règles : ne pas oublier, entre autres, que la vocation du musée est d’abord de présenter les œuvres de Chagall.

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
L’installation d’Ugo Rondinone au Centre Pompidou. C’est un artiste que j’aime beaucoup. L’usage qu’il a fait dans le passé du thème du clown est très intéressant. Il a renouvelé la façon dont Bruce Nauman l’a traité avant lui, mais aussi nombre d’autres artistes, de Rouault à Léger. Ensuite, j’ai évidemment été marqué par l’exposition “Picabia”. La dernière rétrospective datait de 1976 et j’ai trouvé celle du Musée d’art moderne de la Ville de Paris très réussie, en ce que les salles se suivaient sans se ressembler. Picabia se prête vraiment à la séquence. Il ne revient jamais sur ce qu’il a fait. Il a un rapport à la peinture comparable à celui qu’il a eu avec les femmes : il les aime, il les quitte. Il n’a qu’une fidélité, très bizarre, ses Espagnoles. Il va les peindre constamment, un peu à la manière d’un fétichiste qui serait fidèle toute sa vie à un même objet. De ce point de vue-là aussi, cela en fait un artiste passionnant.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Jean-Michel Foray

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