L’un des plus importants intervenants sur le marché mondial de l’art, le cheikh Saud Al-Thani, a été arrêté.
LONDRES - L’un des plus importants collectionneurs du monde, le cheikh qatari Saud Al-Thani, a été arrêté fin février et mis en examen pour détournement de fonds publics. Le cheikh Saud, cousin de l’actuel émir du Qatar, serait actuellement en résidence surveillée à Doha, capitale du pays, après avoir été placé en détention à la fin du mois de février. Président du Conseil national de la culture, des arts et du patrimoine (NCCAH), le cheikh Saud, âgé de 38 ans, a supervisé les achats d’œuvres d’art effectués au nom de l’émir durant ces huit dernières années. Ses acquisitions sont destinées à être exposées dans cinq musées actuellement en construction à Doha, dans le cadre d’un programme visant à faire de ce petit État du Golfe un centre culturel de premier plan. Durant cette période, le cheikh Saud a également acquis des œuvres pour sa collection personnelle.
Avec ses vastes réserves de gaz et de pétrole, le Qatar se classe parmi les pays arabes les plus riches de la région et le cheikh Saud a paru disposer pour ses achats d’un budget quasiment illimité. Il a dépensé des sommes colossales pour des acquisitions dans de nombreux domaines – art islamique, antiquités égyptiennes, créations Fabergé, photographies, mobilier Art déco, livres et spécimens d’histoire naturelle, voitures de collection, sculptures et objets d’archéologie classique… Travaillant avec des marchands européens, il a acquis des collections entières.
Un fax en date du 16 février a été envoyé du Qatar par le NCCAH à des marchands londoniens et parisiens à qui le cheikh avait acheté des œuvres d’art. Il indique que « le cheikh Saud Mohammed Al-Thani n’est plus président du Conseil national de la culture, des arts et du patrimoine de l’État du Qatar. Il n’a donc plus autorité pour négocier ou conclure des engagements en son nom. Nous vous prions de mettre à jour vos fichiers et de vous assurer de la transmission de cet avis à toute personne concernée. Le NCCAH décline toute responsabilité pour quelque engagement que ce soit avec le cheikh Saud Mohammed Al-Thani après l’émission du présent avis ». Cette lettre est signée du nouveau président du NCCAH, le Dr Mohammed Abdulraheem Kafoud, ancien ministre de l’Éducation. Le bureau de [notre partenaire éditorial] The Art Newspaper à Londres a reçu du NCCAH une lettre informant de la nomination du Dr Kafoud comme nouveau président de cette instance. Ce bref communiqué ne fait pas mention du cheikh Saud. Il nous a été impossible de joindre le Dr Kafoud pour recueillir ses réactions. Le bureau londonien du cheikh Saud, l’Islamic Art Society, fermé le 7 février, est actuellement en procédure de liquidation volontaire.
Selon des informations publiées par la presse qatarie, le Qatari Audit Bureau enquête maintenant sur de « sérieux abus et détournements de fonds publics ». Le journal arabophone Al Sharq a relaté qu’un « service important du gouvernement » avait consacré à l’une de ses activités un milliard de riyals qataris (205 millions d’euros), ajoutant que l’un de ses responsables était en détention provisoire et que deux autres personnes liées à cette affaire se trouvaient hors du pays. Le journal anglophone Gulf Times a identifié ce service comme étant le NCCAH.
Œil remarquable
Sous couvert de l’anonymat, un marchand ayant travaillé avec le cheikh nous a confié que le NCCAH lui avait demandé copie de toutes les factures qu’il avait pu adresser au cheikh Saud. De nombreux conservateurs ayant collaboré avec le cheikh au Qatar n’ont pas répondu à nos appels téléphoniques ou à nos courriels. Le Dr Oliver Watson, conservateur en chef au Qatar du Musée d’art islamique (MIA), n’a pas souhaité commenter la mise à l’écart du cheikh Saud, mais nous a assuré, en revanche, que « les projets de construction se poursuivent comme prévu ». Le Dr Watson nous a cependant annoncé sa démission de ses fonctions qataries, étant appelé à devenir sous peu le nouveau conservateur des collections orientales à l’Ashmolean Museum d’Oxford (Grande-Bretagne).
Certains achats du cheikh ont pu exaspérer des membres de la famille régnante Al-Thani, spécialement la Vénus Jenkins, un marbre romain issu des collections du Newby Hall, dans le Yorkshire, acquis chez Christie’s Londres, une figuration féminine nue et sensuelle de surcroît. « Ma famille me prend pour un fou [à cause de mes achats d’art] », avait reconnu le cheikh Saud lors de l’entretien exclusif qu’il nous avait accordé l’an dernier dans sa propriété familiale des environs de Doha (lire le JdA n° 191, 16 avril 2004). Non content de consacrer à l’art des sommes considérables, le cheikh Saud a été l’élément moteur de l’ambitieux programme de construction de musées. C’est lui qui a persuadé des architectes de renommée mondiale comme Santiago Calatrava et Arata Isozaki de concevoir des musées au Qatar.
Alors que les observateurs du marché de l’art sont depuis longtemps étonnés et déconcertés par les sommes énormes que le cheikh Saud est disposé à dépenser dans ses acquisitions, il est possible que l’enquête engagée autour de ses dépenses ne soit rien de plus qu’une intrigue de palais. Les luttes de pouvoir ne sont pas rares dans cette partie du monde et le cheikh Saud avait déjà été mis sur la touche une fois, certains cercles qataris désapprouvant hautement ses dépenses.
« Je pense que le cheikh Saud est victime d’une conspiration de palais, a avancé un marchand qui a eu le cheikh pour client. Il a l’énergie et les moyens de faire avancer tous ces projets muséaux, il a un œil remarquable et une énergie considérable, et je ne vois pas qui d’autre pourrait le remplacer. Ce qu’il a accompli en huit ans relève de l’exploit, et je ne crois pas que tous ces projets puissent aujourd’hui se poursuivre sans lui. »
Un premier indice suggérant que les projets lancés par le cheikh seront poursuivis par la nouvelle équipe du NCCAH est venu du Musée du Louvre à Paris. L’institution a confirmé qu’une exposition programmée pour 2006 autour de 150 œuvres d’art islamique que prêterait le MIA du Qatar sera organisée comme prévu. Elle sera présentée à Paris à la fois au Louvre et au Musée Guimet.
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Intrigue au palais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Intrigue au palais